jeudi 10 novembre 2022

Les anges de la désolation - Jack Kerouac

Les anges de la désolation - Jack Kerouac

Livre I les anges de la désolation

mais au lieu de cela je m’étais retrouvé face à face avec moi-même,  pas d’alcool, pas de drogues, pas la moindre chance de faire semblant mais face à face avec ce vieux Duluoz pétri de haine et bien des fois j’ai pensé mourir, expirer d’ennui, ou sauter de la montagne, mais les jours, non les heures passaient et je n’avais pas les tripes pour un saut de ce genre, il me fallait attendre afin de voir la face de la réalité

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Aurore boréale sur Hozomeen —

Le vide plus immobile

 

Hozomeen lui-même finira par craquer et s’effondrer, rien ne dure, ce n’est qu’un voyage-dans-ce-qui-est-tout, en passant, voilà ce qui se passe, pourquoi poser des questions ou s’arracher les cheveux ou pleurer, le gargouillis vaseux du purpurin Lear sur sa lande de chagrins il n’est qu’un vieil affolé aux favoris flottants alerté par un fou - être et ne pas être, voilà ce que nous sommes — Le Vide prend-il part en aucune façon à la vie et à la mort ?

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Tiens bon, Jack, passe à travers tout, et tout est un seul rêve, une seule apparence, un seul éclair, un seul œil triste, un seul mystère de cristal lucide, un seul mot - Tiens ferme, vieux, retrouve ton amour de la vie et descends de cette montagne et sois simplement - sois - sois les fertilités infinies du seul esprit d’infinité, pas de commentaires, pas de plaintes, pas d’évaluations, pas d’aveux, pas de proverbes, pas d’étoiles filantes de la pensée, passe simplement, passe, sois tout, sois ce qui est, ce n’est que ce qui est toujours — Espoir est un mot pareil à une congère - Voilà le Grand Savoir, voilà l’Éveil, voilà la Viduité - alors tais-toi, vis, voyage, aventure-toi, bénis et ne regrette pas - Prunes, prune, mange tes prunes — et tu as de tout temps été, et de tout temps seras, et tous les coups de pied inquiétants dans les portes d’innocentes armoires ce n'était que le Vide faisant semblant d’être un homme faisant semblant de j ne pas connaître le Vide -

Je ramène à la maison un homme nouveau.

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Mais je serai le Vide, bougeant sans avoir bougé.

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Mais ici sur Désolation le vent tourbillonne, chant désolé, soulevant du sol des madriers, procréant la nuit — Ombres de chauves-souris géantes des nuages planent sur la montagne.

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-                     Ouais mais, ah, trois, quatre voyages en trois heures ? »

Ma vie est une vaste légende insensée s'étendant partout sans début ni fin, comme le Vide — comme Samsara — Mille souvenirs me reviennent comme des tics à longueur de journée troublant mon esprit vital de leurs spasmes, presque musculaires, de clarté et de mémoire — Chantant avec un faux accent angliche Loch Lomond pendant que je fais mon café du soir dans le crépuscule rose et froid,

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Il y a mille ans Hanshan a écrit des poèmes sur des falaises

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« L’Amérique est aussi libre que ce vent fou, là-dehors, toujours libre, libre comme à l’époque où il n’y avait pas de nom sur cette frontière pour l’appeler Canada et que les vendredis soir quand les pêcheurs canadiens arrivent dans leurs vieilles voitures sur la vieille route au-delà du petit lac de montagne »

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Il a dit, « Ton voyage a été long, sans limite possible, tu es arrivé à cette goutte de pluie appelée ta vie, et que tu dis tienne - nous avons voulu que tu fasses le vœu d’être éveillé — quand bien même au cours d’un million de vies tu négligerais ce Souverain Conseil, ce serait toujours une goutte de pluie dans la mer et qui s’en soucie et qu’est-ce que le temps - ?

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Les cous de taureaux des bateliers la couleur pourpre de For et les parements de soie nous emporteront intacts sans traverser les vides passables sans passer vers la petite lumière, où Ragamita dont la paupière à œil doré s’entrouvre pour soutenir le regard — Des souris trottinent dans la nuit sur la montagne sur de petites pattes de glace et de diamant, mais mon temps (mortel héros) n’est pas encore venu de savoir que je sais ce que je sais, aussi, approchez

Mots...

Les étoiles sont des mots...

Qui a réussi ? Qui a échoué ?

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la Puissance n’est véritablement qu’extase et ses manifestations le rêve, c’est l’Éternité d’Or, toujours pacifique, ce rêve vaseux de l’existence n’est qu’un malaise dans sa — les mots me manquent –

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21. Je me réveille au milieu de la nuit et me souviens de Maggie Cassidy et comment j’aurais pu l’épouser et devenir vieux Finnegan avec sa jeune Plurabelle irlandaise, comment j’aurais pu avoir ma petite maison, une petite maison irlandaise rose et délabrée au milieu des roseaux et des vieux arbres des berges de la Concord et aurais travaillé comme serre-frein sinistre, veste, gants, casquette de baseball, dans la nuit froide de la Nouvelle-Angleterre, rien que pour elle et ses cuisses d’ivoire irlandaises, elle et ses lèvres en marshmallow, elle et son accent et son « Erin, ô vert joyau » et ses deux filles -

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23. Avec ses nombreuses pattes horribles d’insecte la chenille verte des montagnes progresse dans son univers de bruyère, tête pâle comme une goutte de rosée, corps épais se dressant à la verticale pour grimper, suspendue à l’envers comme un fourmilier d’Amérique du Sud

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Les jours s’en vont —

ils ne peuvent rester —

Je ne saisis pas

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— « Oui » — « Alors vous êtes Bouddha » et que les 400 tous ensemble se prosternent en adoration, et que je m’assois soudainement dans un parfait silence de diamant - même alors, et je ne serais pas surpris (pourquoi être surpris ?), même alors je comprendrais qu’il n’y a ni Bouddha ni éveilleur et qu’il n’y a ni Signification ni Dharma, et que tout ça n’est que la tromperie de Maya

37. Car la matinée dans Lightning Gorge n’est qu’un beau rêve — le pi-piou-pi d’un oiseau, la longue ombre bleu-brun de brouillard mêlée de la rosée originelle en évaporation dans la lumière tombant à travers les pins, le bruissement toujours constant de la rivière, les arbres paresseux et puissants avec leurs cimes enfumées autour d’une nappe centrale de gouttes de rosée, et toute la fantasmagorie des éclosions de lumière céleste orange doré dans mon appareil oculaire qui est relié à la Tromperie pour la voir, les porches de l’oreille dans un balancement liquide afin de purifier l’audible en sonore, l’esprit moucheron toujours agité qui discrimine et contrarie les différences, les vieilles crottes sèches de mammifère dans l’abri, le bizong bizong des mouches le matin, les rares volutes des nuages, l’est silencieux d’Amida, la bosse de la colline coup de matière saturée, tout ça est un rare rêve liquide s’imprimant (s'imprimant ?) sur mes terminaisons nerveuses et au moment où je ne dis même pas ça, mon Dieu pourquoi vivons-nous pour être trompés ? - Pourquoi nous trompons-nous pour vivre - trous dans les bois qui bruissent, chuintement d’une chute d’eau du ciel sur jean de cet acabit, pulpe du parc en piles de papier, saletés de sécheresse en rigole, à tremper, pénétrer, absorber, tournoyer, véreuses feuilles vertes essorées par constant labeur - petit insecte couinant subsiste misérablement chante à contrecœur le matin vide dépourvu de loi - Assez, j’ai tout dit, et il n’y a même pas de Désolation dans la Solitude, pas même cette page, pas même des mots, mais l’exhibition jugée d’avance des choses affectant l’énergie de vos habitudes - O frères ignorants, ô sœurs ignorantes, O moi ignorant ! Il n’y a rien à écrire, tout est rien, il y a tout à écrire !

— Temps ! Temps ! Choses ! Choses ! Pourquoi ? Pourquoi ? Trompés ! Trompés ! Trois Trompés Douze Trompés Huit et Soixante-Cinq Millions de Tourbillons d’innombrables Époques de Trompés ! — Que voulez-vous que je fasse, que je m’insurge ?—C’était la même chose pour nos aïeux, qui depuis longtemps sont morts, depuis longtemps de poussière composés, trompés, trompés, pas de transmission du Grand Savoir en nous par chenille chromosomée — Ce sera la même chose pour nos arrière-petits-enfants, pour encore longtemps à naître, d’espace composés, et poussière et espace, que ce soit de poussière ou d’espace qu’importe ? — approchez, maintenant, petits enfants, réveillez-vous — approchez, le temps est venu à présent, réveillez-vous — regardez bien, vous êtes trompés — regardez bien, vous rêvez — approchez, maintenant, voyez — être et ne pas être, quelle est la différence ? — Orgueils, animosités, peurs, mépris, affronts, soupçons, sinistres pressentiments, orages de foudre, mort, rocher, QUI VOUS A DIT QUE RADAMANTHUS ÉTAIT BIEN LÀ ? QUI ÉCRIT À FAUX SUR LE QUI LE POURQUOI LE QUOI ATTENDEZ 0 CHOSE IIIIIIIIIIIIIO MODIGRAGA NA PA RA TO MA NI CO SA PA RI MA TO MA NA PA SHOOOOOOO BIZARIIII IOOOO-MMM-SO-SO-SO-SO-SO -SO-SO-SO-SO-SO-SO

 

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Après cela il n’y eut jamais

C’est tout ce qu’il y a sur ce qu’il n’y a pas -

Boum

Là-haut dans la vallée et en bas de la montagne,

L’oiseau —

Éveille-toi ! Éveille-toi ! Éveille-toi ! Veille

Veille Veille Veille ÉVEILLÉ

ÉVEILLE ÉVEILLÉ

ÉVEILLÉ

MAINTENANT

Voici la sagesse du rat millénaire - Theriomorphous, Rat de la plus haute perfection

Noir noir noir noir ni ni ni ni noir noir noir noir ni ni ni ni noir noir noir noir ni ni ni

 

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Deuxième partie : Désolation dans le monde

Aussi debout je suis et bondissant sac sur le dos, écrasé, et je grimace de douleur à cause de mes chevilles et je dévale le sentier de plus en plus vite, allongeant le trot et bientôt au galop, penché en avant, comme une vieille femme chinoise un fagot de bois sur la nuque, cliquetis de la course et pistons des genoux raides sur les rochers du sous-bois et dans les virages, quelquefois je dérape hors du sentier et le reprends en braillant, d’une façon ou d’une autre, ne le perds jamais, le chemin a été tracé pour être suivi — En bas de la montagne je rencontre un jeune type mince qui commence l’escalade, je suis gros avec un énorme sac à dos, je vais aller me soûler dans les villes avec des bouchers, et c’est le Printemps dans le Vide — De temps en temps je tombe, sur le derrière, glissade, le sac à dos est mon pare-chocs arrière, je fonce tout droit rebondissant en direction de la foire, quels mots pour décrire en pagaille et beuverie la dégringolade sur le sentier, parpity, prapooty - Sifflement, sueur - Chaque fois que je cogne mon doigt de pied abîmé je crie « Presque ! » mais ça n’est jamais au point de m’estropier - Le doigt de pied, abîmé dans les mêlées de football à Columbia sous les projecteurs dans les crépuscules de Harlem, un gros type de Sandusky l’a piétiné avec ses crampons et de toute la force de ses gros mollets - Doigt de pied jamais réparé — foutu et douloureux dans toutes les directions, quand un rocher se pointe ma cheville se tord complètement pour le protéger — toutefois, se tordre la cheville est un fait accompli* pavlovien, Airapedanz ne pourrait pas mieux me démontrer comment ne pas croire que j’ai une foulure à une cheville, une cheville bien utile, ou même une entorse — c’est une danse, une danse de rocher

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les capsules des bouteilles de bière et tape sur la caisse enregistreuse et tout est emporté par le battement — C’est la génération beat, ça vient de béat*, c’est le battement à tenir, c’est le battement du coeur, c’est être battu et abattu aux yeux du monde et comme le bout de la nuit autrefois et comme dans les civilisations antiques les esclaves enchaînés au battement des rames de la galère et les serviteurs façonnant la poterie en suivant le battement du tour –

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Le poème s’intitule “À Jack Duluoz, Bouddha- poisson” — Voilà c’est comme ça — » Et il me lit ce long poème insensé au téléphone pendant que je m’appuie contre le comptoir des hamburgers, et il crie et lit (et j’absorbe chaque mot, chaque expression de ce génie italien du Lower East Side de New York réincarné de la Renaissance) je pense « Oh mon Dieu, que c’est triste ! - j’ai des amis poètes qui me hurlent leurs poèmes dans les villes —

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LIVRE DEUX : EN PASSANT

PREMIERE PARTIE

Le Mexique en passant

1. Et maintenant, après l'expérience au sommet de la montagne où j’avais été seul pendant deux mois sans le moin- dre être humain pour me questionner ou m’observer, j’entrais dans une période de complet retournement de mes sentiments à l’égard de la vie — Je voulais maintenant reproduire de cette paix absolue ailleurs, en société, tout en étant avide de certains plaisirs procurés par elle (spectacles, sexe, confort, boissons et mets délicieux), rien de tel dans la montagne - Je savais maintenant que ma vie était une quête de la paix en tant qu’artiste, mais pas seulement en tant que tel - En tant qu’homme contemplatif plutôt qu’en tant qu’homme d’actions trop nombreuses, au sens du vieux Tao chinois du « Ne rien faire » (Wu Wci) qui est en soi un mode de vie plus beau qu’aucun autre, une sorte de ferveur cloîtrée au milieu des fous délirants en quête d’action dans ce monde « moderne » ou tout autre monde « moderne »

 

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L’expression « non-conformiste » était quelque chose dont j’avais vaguement entendu parler quelque part (Adler ? Eric Fromm ?) - Mais je m’étais déterminé à être heureux ! Dostoïevski a dit « Donnez à un homme son Utopie et délibérément il la détruira, le sourire aux lèvres » et je m’étais déterminé, avec le même sourire aux lèvres, à prouver le contraire à Dostoïevski ! —

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24. Ces longues traversées vrombissantes d’un État en un après-midi, certains d’entre nous dormant, d’autres discutant, d’autres mangeant les sandwiches du désespoir. Quand je voyage comme ça, je me réveille toujours d’un petit somme avec l’impression d’être emporté au Ciel par le Chauffeur céleste, peu importe qui conduit. Il y a quelque chose d’étrange dans le fait qu’une personne conduise la voiture pendant que les autres rêvent et qu’il a leurs vies entre ses mains, quelque chose de noble, quelque chose de vénérable dans l’humanité, une sorte de vieille confiance faite au Vieux. Vous sortez encore somnolent d’un rêve de draps sur un toit et vous vous retrouvez au milieu des pinèdes désertes de l’Arkansas, fonçant à 100 à l’heure, en vous demandant pourquoi et en regardant le type au volant qui est concentré, immobile et seul.

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Mais je ne me sentais pas insulté parce que je savais ce qu’il voulait dire, ayant lu Servitude humaine et le testament de Shakespeare, et Dimitri Karamazov aussi.

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Si Paris est une femme pénétrée par l’invasion nazie, Londres est un homme qui n’a jamais été pénétré et s’est contenté de fumer sa pipe, de boire sa bière brune ou son lait écrémé, et de bénir la tête de son chat qui ronronne.

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