samedi 5 novembre 2022

Du pouvoir – Bertrand de Jouvenel

Du pouvoir – Bertrand de Jouvenel

 

Présentation du Minotaure

 

Le Minotaure masqué

Du XIIe au XVIIIe siècle la puissance publique n’a point cessé de s'accroître. Le phénomène était compris de tous les témoins, évoquait des protestations sans cesse renouvelées, des réactions violentes.

Depuis lors, elle a continué de grandir à un rythme accéléré, étendant la guerre à mesure qu'elle s'étendait elle-même. Et nous ne le comprenons plus, nous ne protestons plus, nous ne réagissons plus.

Cette passivité toute nouvelle, le Pouvoir la doit à la brume dont il s’entoure.

Autrefois il était visible, manifesté dans la personne du Roi, qui s'avouait un maître, et à qui l'on connaissait des passions.

A présent, masqué par son anonymat, il prétend n'avoir point d'existence propre, n'être que l’instrument impersonnel et sans passion de la volonté générale

 

Le MInotaure a visage découvert

La puissance policière même, qui est l’attribut le plus insupportable de la tyrannie, a grandi à l'ombre de la démocratie1. C’est à peine si l'Ancien Régime l’a connue2.

La démocratie, telle que nous l'avons pratiquée, centralisatrice, réglementeuse et absolutiste, apparaît donc comme la période d’incubation de la tyrannie.

 

Chapitre I – De l’Obéissance civile

Le problème peut être également pris sous un autre angle qui souffre un énoncé plus simple. Partout et toujours on constate le problème de l'obéissance civile. L'ordre émané du Pouvoir obtient l'obéissance des membres de la communauté. Lorsque le Pouvoir fait une déclaration à un État étranger, elle tire son poids de la capacité du Pouvoir à se faire obéir, à se procurer par l’obéissance les moyens d’agir. Tout repose sur l’obéissance. Et connaître les causes de l’obéissance, c'est connaître la nature du Pouvoir.

 

Le mystère de l'obéissance civile

La grande éducatrice de notre espèce, la curiosité, n'est éveillée que par l’inaccoutumé; il a fallu les prodiges, éclipses ou comètes, pour que nos lointains ancêtres s'enquissent des mécanismes célestes; il a fallu les crises pour que naisse, il a fallu trente millions de chômeurs pour que se généralise l’investigation des mécanismes économiques. Les faits les plus surprenants n’exercent pas notre raison, pouvu qu’ils soient quotidiens.

De là vient sans doute qu’on ait si peu réfléchi sur la miraculeuse obéissance des ensembles humains, milliers ou millions d'hommes qui se plient aux règles et aux ordres de quelques-uns.

Il suffit d'un ordre et le flot tumultueux des voitures qui, dans tout un vaste pays, coulait sur la gauche, se déporte et coule sur la droite. Il suffit d’un ordre et un peuple entier quitte les champs, les ateliers, les bureaux, pour affluer dans les casernes.

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Si notre volonté cède à la leur, est-ce parce qu'ils disposent d'un appareil matériel de coercition, parce qu’ils sont les plus forts? Il est certain que nous redoutons la contrainte qu’ils peuvent employer. Mais encore, pour en user, leur faut-il toute une armée d'auxiliaires. Il reste à expliquer d’où leur vient ce corps d'exécutants et ce qui assure sa fidélité : le Pouvoir nous apparaît alors comme une petite société qui en domine une plus large.

 

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Dira-t-on que l'efficacité du Pouvoir n’est pas due aux sentiments de crainte, mais à ceux de participation? Qu'un ensemble humain a une âme collective, un génie national, une volonté générale? Et que son gouvernement personnifie l’ensemble, manifeste cette âme, incarne ce génie, promulgue cette volonté? De sorte que l'énigme de l’obéissance se dissipe, puisque nous n’obéissons en définitive qu’à nous-mêmes?

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C’est donc une erreur grossière de contraster deux Pouvoirs différant d’essence, chacun desquels obtiendrait l’obéissance par le jeu d’un seul sentiment. Ces analyses logiques méconnaissent la complexité du problème.

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Aucun roi n’a disposé d’une police comparable à celle des démocraties modernes.

 

Caractère historique de l’obéissance

 

On obéit essentiellement parce que c'est une habitude de l'espèce.

Nous trouvons le Pouvoir en naissant à la vie sociale, comme nous trouvons le père ne naissant à la vie physique.

 

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Ce principe est tantôt la volonté divine dont ils seraient les vicaires, tantôt la volonté générale dont ils seraient les mandataires, ou encore le génie national dont ils seraient l'incarnation, la conscience collective dont ils seraient les interprètes, le finalisme social dont iis seraient les agents.

 

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Chose remarquable, il n’est même pas nécessaires pour aider au Pouvoir que ces systèmes abstraits lui reconnaissent cette Souveraineté ou lui confient la tâche-de réaliser ce Bien Commun : il suffit qu'elles en forment les concepts dans les esprits. Ainsi Rousseau, qui se faisait une très grande idée de la Souveraineté, la déniait au Pouvoir et la lui opposait. Ainsi le socialisme, qui a créé la vision d'un Bien Commun infiniment séduisant, ne remettait nullement au Pouvoir le soin de le procurer : mais au contraire, réclamait la mort de l'État. Il n'importe, car le Pouvoir occupe dans la Société une place telle que cette Souveraineté tellement sainte, lui seul est capable de s’en emparer, ce Bien Commun tellement fascinant, lui seul apparaît capable d'y travailler.

 

Chapitre 2 – Les théories de la Souveraineté

Chapitre 3 – Les théories organiques du Pouvoir

Mais si la Société n’est qu’un assemblage artificiel d'hommes naturellement autonomes, que n’a-t-il pas fallu pour les plier à des comportements compatibles et pour leur faire admettre une autorité commune! Le mystère de la fondation sociale exige l’intervention divine ou du moins une première convention solennelle de tout le peuple. Et quel prestige encore ne faut-il pas pour maintenir quotidiennement la cohésion de l’ensemble! On doit supposer un droit qui force le respect, et qui, à cette fin, ne sera jamais trop exalté, la Souveraineté — que d'ailleurs on accepte ou non de la confier immédiatement au Pouvoir.

 

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Et quant au Pouvoir, qu'est-ce que l’idée nouvelle implique? Puisqu'il existé un Être collectif, infiniment plus important que les individus, à lui évidemment appartient le droit transcendant de Souveraineté. C'est la| Souveraineté Nationale, bien différente, comme on l'a souvent mis en lumière1, de la Souveraineté du Peuple. Dans celle-ci, comme l’a dit Rousseau, « le souverain n’est formé que des particuliers qui le composent2 ». Mais dans celle-là, la Société ne se réalise comme Tout qu'autant que les participants se connaissent comme ses membres et la reconnaissent comme leur but : il en résulte logiquement que seuls ceux qui ont acquis cette conscience acheminent la Société vers sa réalisation. Ils sont des conducteurs, des guides, et seule leur volonté s'identifie à la Volonté Générale : elle est la Volonté Générale.

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De même encore le parti fasciste est la partie consciente de la Nation, veut pour la Nation, et veut la Nation telle qu’elle doit être.

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Résumons : l’expérience de l’émotion nationale commune a fait regarder la Société comme un Tout. Non pas réalisé, parce que beaucoup des individus présents dans la Société ne se comportent pas encore comme des membres d'un Tout, faute de se savoir membres plutôt qu'individus. Mais ce Tout se réalise comme tel à mesure que les membres conscients : amènent les autres à se comporter et à sentir comme il faut pour que le Tout s’accomplisse comme tel. Et donc ils peuvent et doivent indéfiniment pousser et tirer les inconscients. Il paraît que Hegel n’a pas voulu construire une théorie autoritaire. Mais elle se juge à ses fruits.

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Division du travail et organicisme

Cependant, à mi-chemin du xixc siècle, les esprits étaient aussi frappés du progrès industriel et des transformations sociales résultantes qu’ils l’avaient été au début du siècle par le phénomène du nationalisme.

Or, ce changement prodigieux, s’accomplissant à un rythme fougueux à peu près depuis l’époque du Contrat Social, avait été interprété, dès le moment où il prenait son essor, par l'Écossais Adam Smith. Dans des pages tout de suite célèbres et qui le sont restées, l'auteur de La Richesse des Nations mettait en lumière l’influence de la division du travail sur l’accroissement de la productivité sociale,

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Mais le concept de division du travail n'a pas fini son étonnante carrière. Il va envahir la biologie, et de là revenir dans la pensée politique, par le canal de Spencer, avec un contenu enrichi et un impétus accru.

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La vie d’une société comme d’un organisme est indépendante des destins particuliers qui la composent : les unités constituantes naissent, croissent, travaillent, se reproduisent et meurent, tandis que le corps total survit et va augmentant de masse, de complication structurelle et d'activité fonctionnelle.

 

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De l'eau au moulin nu Pouvoir

Nous avons passé en revue quatre familles de théories, quatre conceptions abstraites du Pouvoir.

Deux, les théories de la Souveraineté, expliquent et justifient le Pouvoir par un droit qu'il lire du Souverain, Dieu ou le peuple, et qu'il peut exercer à raison de sa légitimité ou juste origine. Deux, que nous avons, appelées théories organiques; expliquent et justifient le Pouvoir par sa fonction ou sa fin, qui est d'assurer la cohérence matérielle et morale de la Société.

Dans les deux premières le Pouvoir apparaît comme un centre ordonnateur au sein d’une multitude. Dans la troisième comme un foyer de cristallisation, ou si l’on préfère une zone éclairée à partir de laquelle la lumière se propage. Dans la dernière enfin, comme un organe dans un organisme.

Dans les unes, le droit de commander est conçu comme absolu, dans les autres la fonction est conçue comme croissante.

Si différentes soient-elles, il n'en est aucune dont on ne puisse tirer, et dont on n’ait à un moment quelconque tiré justification d'un empire absolu du Pouvoir.

Cependant, parce que fondées sur une vision nominaliste de la Société, et sur la reconnaissance de l’individu comme seule réalité, les deux premières comportent une certaine répugnance à l'absorption de l'homme elles admettent l'idée de droits subjectifs. La toute première enfin, parce qu’elle implique une Loi divine immuable, implique un Droit Objectif dont le respect s’impose impérativement. Dans les théories les plus récentes, il ne peut y avoir de Droit Objectif que forgé sur la société et toujours modifiable par elle, et de droits subjectifs qu’octroyés par elle.

Il semble donc que les théories s'étagent historiquement de telle sorte qu’elles sont de plus en plus favorables au Pouvoir. Un phénomène bien plus sensible est l'évolution propre de chaque théorie. Elles peuvent être engendrées dans l'intention de poser des obstacles au Pouvoir, elles finissent néanmoins par le servir, alors que le processus inverse, d'une théorie née favorable au Pouvoir et qui lui deviendrait hostile, n’est nulle part observable.

Tout se passe donc comme si je ne sais quelle force d'attraction du Pouvoir faisait bientôt graviter autour de lui jusqu’aux systèmes intellectuels conçus contre lui.

C’est là une des propriétés que manifeste le Pouvoir. Chose qui dure, chose capable d’action physique et morale, nous est-elle à présent connue dans sa nature? Nullement.

Laissons donc les grands systèmes qui ne nous ont ; point enseigné l'essentiel, et partons à la découverte, du Pouvoir.

D’abord, tâchons d’assister à sa naissance, ou du moins de la surprendre le plus près possible de ses lointaines origines.

 

LIVRE 2 – Origines du pouvoir

Chapitre 4 – les origines magiques du Pouvoir

La conception classique : l’autorité politique issue de l’autorité paternelle

Dans notre vie d'homme, l’autorité paternelle est la première que nous connaissions. Comment ne serait- elle pas aussi la première dans la vie de la société? Depuis l'Antiquité jusqu'au milieu du xixl siècle, les penseurs-ont tous vu dans la famille la société initiale, cellule élémentaire de l'édifice social subséquent; et dans l'autorité paternelle la première forme du commandement, support de toutes les autres.

L'ÈRE IROQUOISE : LA NÉGATION DU PATRIARCAT

Cette conception classique de la Société primitive comme fondée sur le Patriarcat est brutalement jetée ; à bas, autour des années 1860, à peu près concurremment avec la secousse darwinienne.

C’est ce que nous appellerons ici l’« ère iroquoise » parce que l'impulsion part de la découverte faite par un jeune ethnologue américain, qui a vécu plusieurs années chez les Iroquois. Il a constaté d'abord — ce que Lafitau avait déjà noté — que l'hérédité chez eux est maternelle, non paternelle, d'autre part que les appellations de parenté ne correspondent pas aux nôtres, que le nom de « père » s’applique aussi à l'oncle paternel, celui de « mère » aussi à la tante maternelle. Après n'y avoir vu que des singularités, le savant, retrouvant ces phénomènes dans d'autres nations de l'Amérique du Nord, se demande s'il n'est pas sur la trace d’une constitution familiale tout autre que patriarcale.

 

L’êre australienne : l'autorité magique

Mc Lennan, le premier, avait fait observer, dès 1870, que des groupes primitifs portent un culte à quelque plante ou quelque animal particulier : c'est leur totem.

 

Le gouvernement invisible

Ce qui apparaît de plus en plus certain, à mesure qu'on avance dans les études ethnologiques, c’est que les société sauvages ne rentrent pas dans notre classification triparti te, monarchie, aristocratie, démocratie. Les comportements individuels et l’action collective ne sont point prescrits par la volonté d'un seul, de plusieurs ou de tous, mais ils sont nécessités par des puissances qui dominent la société et que certains sont habiles à interpréter.

Chapitre 5 – L’avènement du guerrier

LIVRE 3 – De la nature du pouvoir

Chapitre 6 – Dialectique du commandement

La société moderne offre le spectacle d’un immense appareil d'Êtat, complexe de leviers matériels et moraux, qui oriente les actions individuelles et autour de quoi s'organisent les existences particulières.

Il se développe à l'occasion de besoins sociaux, ses maladies affectent la vie sociale et les vies individuelles; de sorte que, mesurant les services rendus par lui, pris de vertige à l'idée, presque inconcevable, de sa disparition, il nous est naturel de considérer un appareil ayant un tel rapport avec la Société comme construit pour elle.

Il est composé d'éléments humains que la Société a, fournis, sa force n'est qu’un quantum mobilisé, centralisé, des forces sociales. Il est, en un mot dans la Société.

Si l’on cherche enfin ce qui le meut, quel vouloir anime ce Pouvoir, il est manifeste qu'une foule d'impulsions s'exercent sur lui, qui ont leur foyer en différents points de là Société; sans cesse elles se contrarient et se combinent, prennent à certains moments la forme de vagues qui impriment à l'appareil entier une nouvelle direction. Il est commode, au lieu d'analyser cette diversité, de la consolider, de l'intégrer en une volonté, dite générale. Ou encore volonté de la Société. Et le Pouvoir, qui fonctionne comme son instrument, doit donc avoir été forgé par elle.

Telle est la dépendance du Pouvoir à l'égard de la Nation, telle la conformité de son activité aux nécessités sociales, qu’il vient presque forcément à l'esprit que les organes de commandement ont été élaborés consciemment, ou inconsciemment sécrétés, par la Société, pour son service. De là vient que les juristes identifient l'État avec la Nation : l'État est la nation personnifiée, organisée comme elle doit l'être pour se régir et traiter avec d'autres.

Cette vue est très belle : malheureusement elle ne rend pas compte d’un phénomène qui n’est que trop fréquemment observable : la saisie de l'appareil d'État par une volonté particulière qui use de lui pour dominer la Société et l'exploiter à des fins égoïstes.

Que le Pouvoir puisse renier sa juste cause et sa juste fin, se détacher en quelque sorte de la Société pour se situer au-dessus d'elle comme un corps distinct et oppresseur, ce simple fait ruine le système de l’identité.

 

Le Pouvoir a l'état pur

Je prendrai donc le Pouvoir à l'état pur, commandement existant par soi et pour soi, comme concept i fondamental à partir duquel j'essaierai d’expliquer, les caractères développés par le Pouvoir au cours de son existence historique, et qui lui ont donné un aspect tellement différent.

La reconstruction synthétique du phénomène

Cette notion se heurte au sentiment fort répandu que le  commandement est un effet. L'effet des dispositions d'une collectivité portée par les besoins qu’elle éprouve à « se donner » des chefs.

L'idée du commandement-effet se justifie mal. Entre deux hypothèses supposées invérifiables, la saine méthode commande de choisir la plus simple. Il est plus simple d'imaginer un ou quelques-uns ayant la volonté de commander que tous ayant la volonté d'obéir, un ou quelques-uns poussés par l’envie de dominer, plutôt que tous inclinant à se soumettre.

 

Le Pouvoir pur se nie lui-même

Quoi, dira-t-on, un phénomène tellement immoral! Attendez.

Car voici un admirable retour des choses; l’égoïsme du commandement tend à sa propre destruction.

Plus la société maîtresse, animée par son appétit social, étend l’aire de sa domination, plus aussi • force devient insuffisante à contenir une masse grandissante de sujets, et à défendre contre d'autres appétits une proie toujours plus riche.      

C'est pourquoi les Spartiates, qui offrent le parfait modèle de la société exploiteuse, limitèrent leurs conquêtes.

Plus aussi la société maîtresse alourdit la charge qu’elle fait peser, plus elle excite l'envie de secouer le joug. L'empire d'Athènes lui échappa lorsqu'elle eut appesanti les tributs qu'elle exigeait. C'est pourquoi les Spartiates ne tiraient des hilotes qu'une redevance modérée, et leur permettaient de s’enrichir.

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Le Pouvoir par un processus proprement naturel est passé du parasitisme à la symbiose.

Il saute aux yeux que le monarque est à la fois destructeur de la République des conquérants, et le constructeur de la Nation. D’où d’ailleurs le double jugement porté par exemple sur les empereurs romains, maudits par les républicains de Rome, bénis par les sujets des lointaines provinces. Ainsi le Pouvoir commence sa carrière en abaissant ce qui est élevé, et en élevant ce qui est abaissé.

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Si on veut regarder la nation comme une « personne morale », dotée d'une « conscience collective », et capable d'une « volonté générale », alors il faut reconnaître dans le Pouvoir, comme fait Rousseau, une autre personne, avec sa conscience et sa volonté et qu'un égoïsme naturel entraîne à poursuivre son avantage particulier.

Sur cet égoïsme, on peut aligner des témoignages frappants :

Il est vrai, constatait l'écrivain Lavisse, que la puissance publique en France, sous tous les régimes, le républicain: comme les autres, a ses fins propres, égoïstes, étroites. Elle est, pour ne pas dire une coterie, un consortium de personnes arrivées au pouvoir par un accident initial, occupées à prévenir l’accident final. La souveraineté nationale est certainement un mensonge1.

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Le Commandement est une altitude. On y respire un autre air, on y découvre d'autres perspectives que dans les vallées de l’obéissance. La passion d’ordre, le génie architectural dont notre espèce a été dotée, se déploient alors. Du haut de sa tour, l’homme agrandi s'aperçoit ce qu'il pourrait forger avec les masses fourmillantes qu'il domine.

 

Les formes nobles de l'égojsme gouvernemental

Il faut se garder d'une conception trop étroite et trop sordide de l'égoisme gouvernemental: ce que nous appelons ainsi n'est que la tendance à exister pour soi-même que nous avons reconnue inhérente au Pouvoir. Mais cette tendance ne se manifeste pas seulement dans l'utilisation du Pouvoir pour l'avantage matériel de ceux qui l’exercent. Sauf aux âmes irrémédiablement basses, sa possession procure de bien autres voluptés que celle de l'avidité satisfaite.

Chapitre 7 – le caractère expansionniste du Pouvoir

De l’égoïsme a l’idéalisme

Si l’on avoue la nécessité d'un Pouvoir dans la Société, on doit convenir qu'il lui faut une force conservatoire, et cette force lui vient de l'attachement des dirigeants aux fonctions qu’ils confondent avec eux-mêmes, par le moyen desquelles ils prolongent leur sensibilité physique jusqu'aux extrémités du corps social. Ce phénomène concret, observable a engendré, par des démarches inconscientes de la pensée, la théorie si répandue de la Nation-personne dont l'État est l'expression visible. Elle n'a de vérité que psychologique : pour ceux qui s'identifient avec l'État, la Nation est en effet l'expression de leurs personnes.

Le moteur égoïste de la croissance

En tant que le commandement est un égoïsme, il tend naturellement à se grandir.

L’homme, observe Rousseau, est limité, « sa vie es courte, ses plaisirs ont leur mesure, sa capacité de jouir est toujours la même, il a beau s'élever en idée, il reste toujours petit. L’État1, au contraire, étant un corps artificiel, n’a nulle mesure déterminée, la grandeur qui lui est propre est indéfinie, il peut toujours l'augmenter2 ». Et les égoïsmes qui l’informent et l'animent s’épanouissent en conquêtes.

Chapitre 8 – de la concurrence politique

Tant que les personnes de chaque catégorie se conduisent selon des normes certaines et connues de tous, leurs actions en toute circonstance peuvent être  prévues de leurs associés, et la confiance règne dans les relations humaines. Tandis qu'inversement une conduite aberrante renverse tous les calculs, oblige à toutes les précautions, par les torts et les souffrances ; qu'elle cause éveille des représailles et, si cet accident se multipliait, la défiance, la colère et la violence se trouveraient déchaînées.

C'est donc à bon droit que les Anciens tenaient l’étranger à distancé. C'est celui qui a d'autres mœurs, et dont on ne peut savoir ce qu'il va faire. Il était également logique de punir avec la dernière sévérité tout comportement heurtant le cours normal des choses. A ces conditions, il ne fallait pas beaucoup de gouvernement, puisque l’éducation avait suffi à régler les pratiques.

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Le sauvage éprouve une allégresse visible dans la conformité. Veut-on le pousser à un acte inhabituel, il montre une répugnance qui va bientôt jusqu’à l’épouvante. On l'explique aisément. Tout ce qui n’a pas encore été essayé éveille des émotions confuses de crainte. Le Ce-Qui-Ne-Se-Fait-Pas présente un volume énorme dans lequel ne sont nullement découpées les tranches qui nous sont familières, de l’Immoral, de l’illégal, du Choquant, du Dangereux. Le Mauvais se présente comme une masse indifférenciée qui encombre presque tout le champ de vision du primitif. Si l’on se représente tout le physiquement possible comme un plan, le moralement faisable n’est qu'une zone étroite, presque une ligne sur ce plan. Ou pour mieux dire, c’est, au travers d’un marais inexploré, l’étroit sentier battu par les ancêtres et qu'on peut suivre sans dommage.

Quand bien même une telle société aurait un despote à sa tête, on sent que l’extrême fixité des mœurs le condamne à marcher dans le sentier. Loin d’être, comme on l'a cru si légèrement, l’auteur de cette discipline sociale, il en est lui-même justiciable.

 La notion de législation est toute moderne : par quoi je n’entends pas qu'elle soit exclusivement de notre époque, mais bien qu'elle ne s’introduit au cours de la vie d’une société quelconque qu’à un stade très avancé de son évolution.

Une société jeune ne conçoit pas que les hommes quelconques puissent; prescrire les normes de comportement. Ces normes constituent un donné impératif pour tous les membres de la société, pour le plus puissant comme le plus faible.

Ces normes sont soutenues de toute l’autorité des ancêtres qui partout inspirent un respect craintif. Les sauvages ne sont pas incapables d’expliquer leurs "lois" si on veut les appeler ainsi. Chacune est justifiée par une fable qui se rapporte à un ancêtre mythique et surhumain.

 

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Ce qui nous apparaît comme la plus haute expression de l'autorité, dire ce qui doit être fait et ce qui ne doit pas être fait, distinguer le licite et l'illicite; cela n'a point appartenu au Pouvoir politique avant un stade extrêmement tardif de son développement.

Cette vérité est capitale. Car un Pouvoir qui définit le Bien et le Juste est tout autrement absolu, quelle que1 soit sa forme, qu'un Pouvoir qui trouve le Bien et le Juste définis par une autorité surnaturelle. Un Pouvoir qui règle les conduites humaines selon les notions de l'utilité sociale est tout autrement absolu qu'un Pouvoir régissant des hommes dont les conduites sont prescrites par Dieu. Et l'on sent ici que la négation d'une législation divine, que l’établissement d'une législation humaine, sont le pas le plus prodigieux qu’une Société puisse accomplir vers 1 absolutisme réel du Pouvoir2.

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LA LOI ET LES LOIS

Ainsi donc il y a deux sortes de lois. D’abord ce qu’on pourrait appeler la Loi-Commandement, qui est reçue d’en haut, soit qu’un peuple profondément religieux la croie dictée à un prophète, soit qu'un peuple plus confiant dans l'intelligence humaine estime ses sages capables de la faire connaître. En tout cas, Dieu en est l’auteur. Enfreindre cette loi. c’est l’offenser. On en sera puni, que le pouvoir temporel y prête la main ou non.

Et puis, il y a les lois-règlements, faites par les hommes pour discipliner des conduites que les progrès de la complication sociale diversifient sans cesse.

Cette dualité s’éclaire d’autant mieux qu’on porte plus d’attention au processus d’évolution sociale. L’homme qui change peu à peu d’habitudes demeure fidèle à certaines pratiques, respectueux de certains interdits. Un impératif rigoureux maintient ces constantes sociales. C’est le domaine de l’Absolu.

D’autre part, des activités et des contacts nouveaux font apparaître de nouveaux problèmes, nécessitant, de nouveaux modèles de comportement. Il faut des prescriptions relatives aux situations.

 

LA LOI ET LA COUTUME

Mais si Loi et Coutume ne sont pas logiquement solidaires, elles le sont effectivement.

Les sentiments de vénération qui s’adressent à la

Loi transmise par les ancêtres s'étendent à leurs pratiques. « Mon père, qui craignait Dieu, agissait de telle façon. » Les comportements et les institutions traditionnels, même religieusement indifférents, se sont en quelque manière incorporés à la religion comme les échoppes autrefois adossées au flanc des cathédrales

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Il ne s'est rien produit dans l'Histoire de plus propre à étendre le Pouvoir. Et les plus grands esprits du XVIII siècle l'ont tellement compris qu'ils ont voulu donner au législateur une digue et un incontestable guide : c'est la « religion naturelle » de Rousseau, c’est la « morale naturelle » de Voltaire même. Nous verrons comment ces freins ont fonctionné au xix1 siècle, et comment ils ont enfin cédé2.

Logiquement, ils ne pouvaient tenir. Car une fois l'homme déclaré « mesure de toutes choses », il n’y a plus ni Vrai, ni Bien, ni Juste, mais seulement des opinions égales en droit, dont le conflit ne peut être tranché que par la force politique ou militaire; et chaque force triomphante intronise à son tour un Vrai, un Bien et un Juste qui dureront autant qu'elle.

 

LIVRE 5 – Le pouvoir change d’aspect mais non de nature

Chapitre 12 – Des révolutions

La « volonté générale » ne se forme que dans l'Assemblée1 et la consultation populaire n'est qu'une sorte de cuisson qui réduit toute la Nation en un microcosme de six cents personnes qui, par la plus hardie des fictions, sont censées être la Nation elle- même assemblée2.

 

Chapitre 13 – Impérium et démocratie

Nous avons vu tout au long de l'Histoire se créer une concentration de pouvoirs au bénéfice d'un personnage, l'État, qui dispose de moyens de plus en plus amples, qui revendique sur la communauté des droits de plus en plus étendus, qui tolère de moins en moins des puissances existant en dehors de lui. Il est commandement et veut être le principe organisateur de la Société, monopoliser toujours plus complètement ce rôle.

Nous avons vu d'autre part des puissances sociales se défendre contre lui, opposer leurs droits aux siens, leurs libertés souvent anarchiques ou oppressives à son autorité.

Entre elle et lui s'est déroulée une lutte incessante.

Lutte de l'intérêt qui se dit général contre des intérêts qui s'avouent particuliers.

 

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Cette Volonté Générale est une notion assez mystérieuse sur laquelle on s’est bien trompé : quelque soin que Rousseau ait pris de l’opposer à la volonté de tous2, on veut y voir simplement une somme, une moyenne ou une composante de volontés particulières : mais c'est tout autre chose, une volonté purgée de tout élément subjectif, devenue objective, comme dira Hegel, et qui alors tend nécessairement au meilleur. Cette volonté du meilleur existe en chacun de nous, mais masquée par nos passions particulières qui sont beaucoup plus fortes. La consultation générale a pour effet, suppose Rousseau, d'annuler et d'éteindre les passions particulières, tandis que la passion patriotique inspire à chacun et à tous une même Volonté Générale.

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Peut-être saisira-t-on mieux cette conception par un rapprochement avec la pensée, celle-là contemporaine, de Léon Duguit. Le grand juriste ne tient pour vraie loi que celle qui se trouve conforme à la « règle de droit». Et cette règle de droit, il l'imagine inscrite dans la conscience sociale. On pourrait dire, empruntant son langage, que la proposition de la loi au peuple, dans le système rousseauiste, n'a pas seulement pour objet d’empêcher que le citoyen ne soit soumis à des obligations qu'il n’aurait pas souscrites, mais encore d’assurer la confrontation de la loi avec la conscience sociale et par là avec la règle de droit.

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Supposons un pays où le Pouvoir n’a point de 'passé, mais où on le constitue ex nihilo. Où s’opposent à lui des pouvoirs locaux plus anciens et qui longtemps bénéficient de plus d'attachement. Où d'ailleurs une législation fondamentale est posée qui trouvera des gardiens dans un pouvoir judiciaire 'attaché à un système traditionaliste de droits individuels. Il arrivera nécessairement qu’un Imperium improvisé restera longtemps faible, tenu en échec ,par une puissance législative que lui-même il arrête, tous deux étant contenus tant par les règles de la législation fondamentale que par la jalousie efficace des pouvoirs particuliers. C'est le cas des États-Unis.

Il en est autrement où le Minotaure a entassé déjà entre ses mains de vastes pouvoirs; où il a réduit les contre-pouvoirs sociaux à une défensive de plus en plus désespérée. Il constitue là une telle proie, un tel enjeu, que tous les désirs, toutes les ambitions doivent tendre à s'en emparer. Si un corps est chargé de régler par lois l'exercice de l'Imperium, la supériorité dont il est investi lui paraîtra fallacieuse tant qu’il ne pourra pas mettre la main sur ce trésor d’honneurs et de pouvoirs. Il sera d’autant moins fidèle à sa mission de contrôle et d'autant plus enclin à conquérir qu’il sera moins représentatif d’intérêts aristocratiques qui ont à se défendre et plus représentatif d'intérêts populaires qui veulent s'avancer. Il arrivera donc que le Pouvoir législatif censé représenter le contrôle populaire sur l' Imperium, tendra de plus en plus à s’emparer de l’Imperium. Et comme il n'existe pas dans ce pays de système de droits individuels autonome, la capacité de légiférer sera employée sans qu’aucune règle supérieure la dirige, sinon les sentiments de classe du corps législateur et bientôt souverain. C’est le cas de la France.

Chapitre 14 – La démocratie totalitaire

PROUDHON l'a dit1, l'instinct populaire saisit mieux la notion simple de Pouvoir que la notion compliquée de contrat social. Les causes psychologiques expliquent assez la dégénérescence du principe démocratique que, d'abord conçu comme Souveraineté de la Loi, et qui n'a triomphé qu'entendue comme Souveraineté du Peuple.

Le complexe de droits, de fonctions et de moyens constitué durant l'ère monarchique au bénéfice du roi est simplement passé en d'autres mains, celles de représentants du peuple.

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Mais c'est lâcher la proie pour l'ombre.

Il semble que la co-Souveraineté du citoyen soit un plus qui embrasse le moins de la Liberté, laquelle trouverait ainsi sa garantie certaine et définitive

Erreur que Montesquieu avait par avance réfutée :

Comme dans les démocraties le peuple paraît faire à peu près ce qu'il veut, on a mis la liberté dans ces sortes de gouvernements, et on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple1.

Cette confusion est le principe du despotisme moderne.

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Il fallut introduire cette notion que tous ne sauraient concourir à la formation de la volonté générale, parce que tous ne sont pas indépendants et éclairés et ne peuvent donc être citoyens actifs. Ainsi. parle Kant :      

La faculté de donner son suffrage constitue seule la qualité de citoyen; mais cette faculté présuppose l'indépendance de celui qui non seulement veut faire partie de la République mais veut aussi en être un membre, c'est-à-dire une partie agissante d'après sa propre volonté en communion avec les autres. Cette dernière qualité rend nécessaire la distinction entre le citoyen actif et le citoyen passif ... »

Et le philosophe rangeait parmi les passifs « tous ceux qui pour la conservation de leur existence, leur  nourriture ou leur protection, dépendent d’un autre particulier », c’est-à-dire qu’il aurait refusé le droit de vote à tout le personnel salarié d'une usine. Ce n’est pas, chez d’autres penseurs, l’indépendance : mais le loisir qui est le critère des droits civiques. Et ici l’on sent l’influence d’Aristote : c’est le loisir de réfléchir aux affaires publiques qui fait le citoyen, point de loisir point de citoyen. On trouve chez Sieyès et même chez Rousseau comme un regret honteux des facilités que l’esclavage antique donnait à l’homme libre pour former une opinion éclairée.

Chez les Anciens, la servitude d’un grand nombre d'individus avait pour effet, disait Sieyès, d’épurer les classes libres. Il en résultait que tout homme libre pouvait être citoyen actif. De nos jours, la base de l’association est heureusement plus large, les principes sont plus humains, la protection de la loi égale pour tous. Mais précisément parce que le « civiciat » embrasse tous les étages de l'édifice social, il y a des hommes qui demeurent bien plus étrangers par leur intelligence et par leurs sentiments aux intérêts de l’association que ne pouvaient l’être les citoyens les moins estimés des anciens États libres1. »

 

De la machine politique :

LE RACOLAGE DES VOTES ET COMMENT LES DIRIGEANTS DE LA MACHINE DEVIENNENT ENFIN MAITRES DES ÉLUS

La machine politique est peut-être la plus importante invention du xix" siècle; il semble qu'il faille en faire honneur à l'Américain Martin van Buren.

Comme toute autre machine, celle-ci a le mérite d’épargner beaucoup d’efforts d’une part, au prix d'une immense complication d'autre part.

Le candidat doit, au moment de la campagne, prendre la peine de convaincre le corps électoral que ses opinions sont les plus saines et sa personne la plus digne. La machine lui évite le plus gros du travail en lui apportant des électeurs qui adhèrent à ses vues sans qu’il ait eu besoin de les exposer et qui acclament son nom sans jamais l’avoir entendu auparavant.

 

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Le meilleur moyen est-il de leur rebattre les oreilles d’idées poli- tiques ? Les hommes sont-ils tellement sensibles aux : arguments intellectuels? Le sentiment n'a-t-il pas plus d’empire sur eux?

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C’étaient de grands esprits, les Rousseau, les Jefferson. Les techniciens de la machine n’ont pas de si : hautes prétentions; mais ils connaissent l’homme réel, qui veut de la chaleur, de la camaraderie, de l’esprit d’équipe, et qui est capable pour son clan de ; nobles sacrifices.

 

Du CITOYEN AU MILITANT ; LA COMPÉTITION POUR LE POUVOIR SE MILITARISE

L’histoire de la machine aux États-Unis et en Angleterre où elle fut introduite par Joseph Chamberlain, a été admirablement écrite par le Russe Ostrogorski1. Son ouvrage fut traduit en plusieurs «langues. Et chaque pays en a fait son profit. Partout on a compris que puisque les votes donnaient le Pouvoir, l’art suprême de la politique était celui de faire voter. Ce qui est affaire d organisation et de propagande.

 

Vers le régime plébiscitaire

Plus les partis s'organisent, plus c'est le « drapeau » et la « machine » qui assurent l’élection, plus aussi l’élu est inféodé à la « machine », véritable maîtresse de son siège. Le Parlement n’est plus alors une Semblée souveraine où une élite d'hommes indépendants comparent des opinions libres et parviennent à une décision raisonnable. Ce n'est que la chambre de compensation où les partis mesurent l'un contre l'autre leurs paquets de votes.

Plus la « machine » est puissante, plus les votes sont disciplinés, moins la discussion a d'importance : elle n'affecte plus le scrutin. Les claquements de pupitres tiennent lieu d'arguments. Les débats parlementaires ne sont plus l'académie des citoyens mais le cirque des badauds.

La machine a commencé d’écarter les intelligences et les caractères. Maintenant ils s'écartent d’eux-mêmes.

 

 

 

 

La compétition des partis « MACHINISÉS » ABOUTIT a la

DICTATURE D’UN PARTI, c’EST-A-DIRE D'UNE ÉQUIPE

Que l’une d’elles enfin apporte plus de système dans son organisation, plus d’art dans sa propagande, réduise sa doctrine en termes encore plus simples et partant plus faux, qu’elle dépasse ses adversaires en injures, en mauvaise foi, en brutalité, qu’elle saisisse la proie convoitée et, l’ayant saisie, ne veuille plus la laisser échapper, voilà le totalitarisme.

Tous les exclus se répandent alors en plaintes indignées. N'ont-ils pas cependant concouru à ce résultat?

Un homme, une équipe, disposent de ressources immenses accumulées dans l'arsenal du Pouvoir. Qui les entassa successivement sinon ces autres qui ne trouvaient jamais l'État assez développé lorsqu'ils en étaient les occupants?

Il n'existe dans la Société aucune contre-force capable d'arrêter le Pouvoir. Qui donc les a détruits, ces corps puissants sur lesquels les monarques de jadis n’osaient point porter la main?

Un parti unique fait sentir dans toute la chair nationale les serres du maître. Qui donc d'abord a voulu écraser les individualités sous le poids écrasant du parti? Et qui a rêvé le triomphe du sien?

Les citoyens acceptent cette tyrannie et ne la haïssent que trop tard. Mais qui donc les a déshabitués de juger par eux-mêmes, qui a remplacé chez eux l'indépendance du citoyen par le loyalisme du militant?

Il n’y a plus de liberté, mais la liberté n'appartient qu'aux hommes libres. Et qui s’est soucié de former des hommes libres?

 

Chapitre 15 – le pouvoir limité

Chapitre 16 – le pouvoir et le droit

Chapitre 17 les racines aristocratiques de la liberté

Chapitre 18 – liberté ou sécurité

Chapitre 19 – ordre ou protectorat social

Conséquences d'une fausse conception de la Société

Si nous voulons résumer ce panorama cursif, il nous apparaît que le financier, l’industriel, le journaliste, l'agent de publicité, sont coupables d'inconduite sociale alors même qu’ils sont honnêtes gens, parce qu'il n’y a pas d’honneur fonctionnel suffisamment précis et impératif qui conduise leur activité dans des voies sociales.

 

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