jeudi 7 janvier 2021

Vienne au crépuscule – Schnitzler

 Vienne au crépuscule – Schnitzler

- À des sujets divers. Je connais une période assez agitée. J’entame de nombreux projets, mais je, ne termine rien. En général, l’achèvement m’intéresse rarement. Il faut croire que, par nature, j’en ai trop vite terminé avec les choses.

- Et avec les gens, ajouta Else.

- Possible. Le malheur est qu’on reste parfois sentimentalement attaché à des êtres, alors que, depuis longtemps déjà, la raison n’attend plus rien d’eux. Un poète, si vous me permettez ce mot, devrait s’éloigner de toute personne qui ne lui pose plus de problèmes... particulièrement d’une personne qu’il aime.

 

 

Les mots ne conviennent jamais parfaitement, plus ils prétendent à la précision, moins ils l’atteignent.

 

 

Vous avez raison, dit Satuber en souriant, mais vous me pardonnerez peut-être ce point de vue rétrograde en considérant que je suis plus âgé que vous, un homme d’un autre temps. Et échapper à l’influence de son époque, même un homme de caractère assez indépendant… ce que je me flatte d’être… ne peut y parvenir totalement. C’est vraiment une chose étrange. Mais, croyez-moi, il existe encore de nos jours parmi les jeunes gens nourris de Nietzsche et d’Ibsen autant de philistins qu’on en comptait il y a trente ans, mais ils ne se laissent pas reconnaître à moins d’être eux-mêmes pris à la gorge, par exemple quand on séduit leur sœur ou quand il prend à madame leur épouse la fantaisie de vivre sa vie… certains restant conséquents avec eux même et continuent à jouer leur rôle… mais c’est plus une question de maitrise de soi que d’idéologie. Autrefois, de mon temps, lorsque les principes étaient fixés une fois pour toute, et que chacun savait exactement à quoi s’en tenir, par exemple : il faut honorer ses parents, sinon on est un vaurien… ou bien : un amour véritable n’existe qu’une fois dans la vie… ou bien : on est heureux de mourir pour la partie… A l’époque, chaque honnête homme brandissait quelque drapeau ou, tout au moins, avait une devise sur sa bannière… Croyez-moi, en ce temps-là déjà, les idées prétendument modernes avaient plus de partisans qu’on ne le suppose. Avec cette différence que ces partisans doutaient parfois, qu’ils se méfiaient de leurs idées, qu’ils se prenaient pour ainsi dire pour des êtres en marge, voire des criminels. Vais-je vous confier un secret cher baron ? il n’y a absolument pas d’idées nouvelles. Des changements d’intensité de la pensée, cela oui. Croyez-vous sérieusement que Nietzsche ait inventé le surhomme et Isben le mensonge vital, et Anzenbruber la vérité que les parents exigent de leurs enfants respect et amour doivent se comporter de même ? pas du tout. Toutes les idées morales ont toujours existé, et l’on serait bien surpris si l’on savait quels sots ont pensé les prétendues grandes vérités nouvelles, et peut être même les ont exprimées, bien avant les génies à qui nous en sommes redevables, ou plutôt à qui nous devons le courage de tenir ces vérités pour exactes.

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