samedi 30 janvier 2021

La guerre des mots – Derkaoui et Framont

La guerre des mots – Derkaoui et Framont

 

C’était justement pour dénoncer ce «droit du plus capable» afin de conserver l’hégémonie politique que le sociologue britannique proche du Parti travailliste Michael Young a inventé le terme de «méritocratie» dans son roman L’ascension de la meritocratie, publié en 1958. Dans ce livre dystopique, le sociologue décortique la façon dont les élites cherchent à maintenir leur domination et leur légitimité à travers leur intelligence et leurs compétences. Elles deviennent ainsi arrogantes, dominatrices, et les masses, exaspérées par leur mépris et l’autoritarisme de la Méritocratie, se révoltent en 2033.

Ironie de l’histoire, le terme a fini par être utilisé et instrumentalisé année après année par cette même élite bourgeoise, précisément pour légitimer ses positions dominantes dans notre société. La méritocratie est devenue, à droite comme chez une partie de la gauche de gouvernement, le modèle de référence de la plupart des pays capitalistes. Elle se caractérise par le succès de l’expression «quand on veut, on peut», serinée aux individus dès le début de leur parcours scolaire.

 

 

Résilience : Capacité d’un individu ou d’un groupe à prendre acte d’un traumatisme et à se reconstruire de façon socialement acceptable - du point de vue des bourgeois. Concept qui a été théorisé en psychologie et qui a pris une grande place dans les entreprises privées contemporaines, ainsi que dans la rhétorique politique néolibérale. Face à la violence des choix politiques et managériaux, salariés et citoyens sont sommés, individuellement, de se blinder, de prendre sur eux, de réguler leurs émotions pour ne pas emmerder le monde (bourgeois) et remettre en cause ce qui leur arrive.

 

 

 

Le même cocktail a fait le succès de «Cauchemar en cuisine», toujours sur la même chaîne. Dans ce programme de téléréalité, le chef Philippe Etchebest débarque dans un res­taurant au bord de la faillite et tente de sauver la situation. Comme le précise le générique, lancer un restaurant est le rêve de milliers de Français, mais qui peut vite tourner au cauchemar. Etchebest joue le client mystère, commande le plat du jour et, après force grimaces ponctuées d’expressions de dégoût, fait irruption dans la cuisine pour mettre le chef, l’apprenti et la serveuse face au «travail de merde» qu’ils font. On crie, on s’excuse, on pleure... La première partie de l’émission met en scène le laisser-aller, l’échec, le désespoir. La seconde partie est celle de la réhabilitation. Après avoir bien pleuré, on se reprend en main ! Philippe Etchebest refait la déco ringarde du restaurant, donne quelques recettes simples et sûres et, surtout, édifie psychologiquement chacun des membres du restaurant. Escalade de falaise pour surmonter sa peur, nage avec les dauphins pour retrouver sa bonté naturelle, thérapie de couple pour mieux affronter la tempête... La scène finale montre un restaurant et ses tenanciers transformés. Ils ont surmonté leurs échecs, appris de leurs erreurs et savent désormais qui ils sont.

 

 

Les « petits gestes écolos », une tartuferie bourgeoise de plus

Un lien de causalité direct existe entre réchauffement climatique et développement de la mondialisation capitaliste, notamment dans sa phase financiarisée. Pourtant, depuis plusieurs années, la tendance des petits gestes écolos, individualistes et narcissiques, remplace la critique des structures et des grandes entreprises polluantes. Cette doctrine petitsgestiste consiste à dire que, si chacun y met du sien dans son coin, on peut venir à bout de tous les problèmes. Vision dépolitisée et inconséquente de la lutte pour la préservation de notre environnement, elle postule donc que l'addition de choix individuels suffirait, rendant inutiles d'autres méthodes, comme - au hasard - nationaliser des entreprises ou renverser le capitalisme.

Selon cette doctrine, c'est l'humain, en général, qui serait responsable de «l'anthropocène» et de la catastrophe écologique. Il faudrait donc demander au paysan bosniaque qui cultive son modeste champ sans engrais, possède un petit téléviseur et ne part pas en vacances de «faire des efforts pour sauver la Terre».

En réalité, ce sont bien les classes bourgeoises de l'ensemble de la planète qui ont un mode de vie dispendieux, avec leurs voyages en avion (l'hiver dans les Alpes, l'été à Mykonos, l'automne à Bali), leurs résidences secondaires... Et, surtout, ce sont elles qui ont mis en place, dirigent et promeuvent, directement ou non, le système capitaliste, seul véritable responsable de la catastrophe écologique.

Le bourgeois petitsgestiste a donc beau jeu de se dire écolo puisqu'il ne se donne en vérité que de petits objectifs qui ne l'affecteront qu'à la marge : pratiquer le zéro-déchet mais être cadre dans le marketing, manger bio mais voyager aux quatre coins du monde pour se « ressourcer» dans des paysages luxuriants - et exploser son empreinte carbone au passage-, etc. Mais leur réussite lui apportera une satisfaction morale narcissique dont il saura bien sûr se prévaloir... voire tirer une raison de plus de mépriser ces « beaufs » de Gilets jaunes qui manifestent pour pouvoir continuer à rouler au diesel.

C'est bien la preuve que, pour le bourgeois - aisé ou non -, l’écologie petitsgestiste est un loisir de distinction sociale comme un autre et un point de capital symbolique en plus.

 

 

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