mardi 12 janvier 2021

La transparence des choses – Schnitzler

 La transparence des choses – Schnitzler

 

A trop chercher la pureté, on risque de se perdre « dans les limbes d’un lointain sans espoir ».

 

 

Bien souvent, les hommes se connaissent mal. L’un aime le parfum des fleurs et se prend pour un botaniste, un autre compte les étamines et se prend pour un poète.

Dans la vie, la plupart des gens n’habitent que l’étage intermédiaire de leur maison, là où ils sont confortablement installés, bien au chaud, avec tout le confort. Ils descendent rarement dans les pièces du bas où ils imaginent des fantômes qui leur donneraient la chair de poule ; ils montent rarement dans la tour où ils auraient le vertige à regarder en bas et au loin. Bien sûr il y a des gens qui adorent justement séjourner à la cave, parce qu’ils se sen­tent mieux dans l’obscurité qui fait frémir qu’à la lumière, exposés aux responsabilités, tandis que d’autres aiment bien grimper dans la tour d’où leur regard se perd dans des lointains insondables qui leur resteront à jamais inaccessibles. Mais les plus infortunés sont ceux qui n'arrêtent pas de courir entre la cave et la tour, toujours dans les escaliers, et qui laissent  à l'abandon et à la poussière les vraies pièces  destinées à l'habitation.

 

 

Ce que nous appelons la sincérité sans bornes et sans fard est la forme la plus perfide ou la plus naïve du mensonge.

 

 

Ce ne sont pas les imbéciles qui causent le plus de dégâts dans le développement de l'humanité, mais toutes ces personnes intelli­gentes ou trop intelligentes qui, sans véritable hypocrisie ni mensonge et suivant l'avantage qu’elles peuvent en retirer sur le moment ou simplement pour leur confort, ont la merveilleuse faculté de mettre arbitrairement leur jugement en veilleuse, comme on le fait avec l’éclairage d’une pièce que l’on souhaite assombrir.

 

 

La conscience d'avoir fait du tort à quelqu’un nous pousse rarement à faire montre de plus de douceur envers lui. Au contraire, cela éveille en nous le besoin d’être encore moins indulgent par la suite, ne serait-ce que pour nous assurer une raison d’atténuer nos torts de la première fois.

 

 

Les gens qui se laissent abuser par le men­songe sont plus dangereux que ceux qui men­tent ; et ceux qui se laissent corrompre sont plus misérables que les corrupteurs. Car c'est une loi psychologique, que les imbéciles et les faibles recherchent - et nullement de façon inconsciente — ceux dont ils attendent mensonge et corruption» et ne s'accordent aucun repos avant de les avoir trouvés.

 

 

Deux personnes voulant se comprendre l’une l’autre jusqu’au plus profond d’elles- mêmes, sont comme deux miroirs disposés l’un en face de l’autre, se renvoyant sans cesse leurs propres images, de toujours plus loin, dans une sorte de curiosité désespérée, jusqu’à finir par se perdre dans les limbes d’un lointain sans espoir.

 

 

D’après Goethe, il faut postuler l’impossible pour essayer de tendre vers le possible. Au lieu de cela, la plupart des gens préfèrent en général postuler l’impossible certes, mais souvent à seule fin de se mettre à l’abri de l’obligation de seulement tendre vers le possible.

 

 

Nous jugeons trop souvent les gens par la façon dont ils se comportent avec nous, même quand nous savons quel est leur comportement avec les autres. Nous ne disposons ainsi que d’un petit nombre d’éléments psychiques pour juger du caractère d’une personne. Pourtant, même le comportement de l’individu le plus et le plus authentique varie énormément suivant les différentes personnes avec qui il est en relation. Cela aussi permet de discerner, ou du moins d’entrevoir, à quel point la notion de vérité est obscure ou diverse.

 

 

La profondeur d’une souffrance ne peut être mesurée qu’à l’aune du souvenir, lorsque les conséquences psychiques de cette souffrance auront eu l’occasion de se manifester d’une façon ou d’une autre.

Pour prendre conscience de sa fidélité, il faut avoir été au moins une fois infidèle, tout au moins en pensée. Et l’on ne peut rien savoir de son courage si, l’instant d’avant, on n’a pas eu quelque lâcheté dans un recoin caché de son âme.

 

 

La gratitude est quelque chose de totalement artificiel, de contre nature en un certain sens. C’est l’ingratitude qui est élémentaire. C’est pourquoi les femmes et les enfants sont profondément ingrats et ne font que jouer la gratitude, souvent en toute bonne foi, parce qu’on la leur a inculquée depuis leur plus jeune âge et parce qu’ils savent d’expérience que c’est à leur avantage. Le peuple, l’humanité est ingrate et ne joue même pas la gratitude. Elle peut s’en passer ; sa diversité, sa complexité, son anonymat la mettent à l’abri de toute responsabilité.

Ce n’est qu’au milieu de tes semblables que tu as le droit de te sentir seul.

 

 

Toute relation amoureuse comporte trois stades qui se confondent insensiblement : dans le premier, on est heureux ensemble, même dans le silence ; dans le second, on s’ennuie en silence ; et dans le troisième, ce silence, qui a pris forme en quelque sorte, s’interpose entre les amants comme un ennemi pernicieux.

Les femmes sont à la fois plus près de la nature et plus conditionnées par la société que les hommes ; telle est la contradiction où vient s’enraciner la problématique de la plupart des relations amoureuses.

Contrairement à l’homme, la femme adultè­re éprouve le besoin de se justifier après coup, ne serait-ce qu’à ses propres yeux : c’est pour­quoi elle ne s’arrête pas à la tromperie, elle renie et trahit en même temps.

 

 

Rien ne ternit autant l'image du monde que de se croire obligé à la solidarité. Cette erreur crée des relations entre des gens qui n'ont rien de commun entre eux et empêchent que d'autres relations se nouent entre des gens faits pour s’entendre. Ajoutez à cela qu'elle contraint des gens honnêtes à prendre le parti de fripouilles et à devenir ainsi eux-mêmes des fripouilles.

Se réfugier dans la solitude ou se retirer complètement en soi-même par mépris des hommes est rarement un signe de force ou de grandeur, mais bien plus souvent une marque d'indolence ou d'arrogance. Prêcher l'amour pour les hommes est loin d'être toujours une preuve de bonté ou de sagesse, mais plus souvent un signe de sensiblerie, voire même de faiblesse d'esprit. Au lieu de mépriser ou d'aimer tout le monde, il serait plus digne, et plus utile aussi pour la communauté, que chacun commençât par prendre conscience de son appartenance à un tout dictée par la nature et des devoirs qui en découlent, et agisse en conséquence.

 

La solidarité dans l'effort vous attache par des ficelles, 1a solidarité dans la destinée vous lie par des cordes, la solidarité dans la respon­sabilité vous soude par des chaînes.

 

 

La politique est le sujet tout trouvé pour les incultes et les bavards, la religion un sujet tout trouvé pour les débiles dépourvus d'idées. Professionnellement, la politique est faite pour les irresponsables sans cœur, la religion pour les pauvres d'esprit et les hypocrites.

 

 

Ce qui fait du terrorisme une idée aux finalités totalement absurdes, c'est le fait que les partis les plus extrémistes finissent toujours nécessairement par se rejoindre au fil des évènements, en dépit de l'hostilité manifestée dans leurs idées politiques. cela s'explique simplement par le fait que ces partis ont placé au dessus des idées particulières qu'ils prétendent servir, celle de la violence, qui les relie nécessairement.

 

 

Il faut déjà être un individu d’une certaine qualité pour ne pas confondre désir de liberté et envie de se décharger de toute responsabi­lité.

 

 

Même la parole la plus intelligente ne sera que bavardage si elle ne mène pas il l'action d’une façon ou d’une autre.

 

 

Il est possible que la base sur laquelle nous édifions notre système de pensée soit une fiction, ou du moins ne corresponde pas, dans sa conception, aux règles architectoniques intel­lectuelles ; — mais en général, une telle base ne nous est nécessaire qu'au début de notre œuvre. L'important c'est que la construction que nous cherchons à édifier en nous appuyant sur nos convictions a priori, soit porteuse de sa propre énergie et de sa propre loi pour se maintenir d'elle-même, lorsqu'elle cherche à gagner les hauteurs.

 

 

Au cœur de tout aphorisme, qu’il paraisse neuf ou même paradoxal, il y a toujours une vérité vieille comme le monde.

 

 

Solitude.

Chaque individu est enfermé en lui-même, un monde pour soi. Mais c’est une banalité.

 

 

Toutes les tentatives pour jeter des ponts entre les individus ne sont pas des échecs, et l'homme intelligent réussira d'autant mieux a se libérer de son sentiment de solitude qu'il cherchera à mieux connaître les autres. Il n’y a qu’au milieu des inconnus que l’on est seul. C'est pourquoi les imbéciles sont toujours seuls sans s’en rendre compte.

D’une certaine façon d’ailleurs, toute la lâche de la culture c’est d’abolir l’isolement pour ainsi dire animal des individus.

 

 

Si le monde a un sens dans sa totalité, alors tout ce qui est absurde ou nous apparaît absurde doit aussi en avoir un. Tel est le tourbillon dans lequel nous nous débattons. Notre existence, et même la possibilité de poursuivre cette existence sans être ridicule à nos propres yeux ou devenir fou, repose en fait sur trois hypothèses très problématiques : la première, c’est que l’humanité est le centre du monde, la seconde que le Moi est le centre de l’humanité, la troisième enfin que ce Moi est habité par une libre volonté toujours agissante. Et aussi douteuse que puissent nous apparaître ces sup­positions, nous ne pouvons que les accepter comme des faits prouvés et intangibles, sinon nous serions obligés d’abandonner complète­ment notre travail, nos aspirations, nos lois, notre haine, notre amour, notre conscience, tout ce qui est nous-mêmes.

 

 

Les trois critères de l’œuvre d’art : unité, intensité, continuité.

L’action apaisante des œuvres d’art s’explique surtout par le fait que, dans une œuvre d’art, ce que nous appelons hasard est éliminé.

De la même façon, le hasard semble être éliminé de l’histoire (dans la mesure où il s’agit du passé), et tout ce qui est historique apparaît comme une nécessité.

Seul le présent, en particulier notre propre existence, est exposé et soumis à ce que l’on appelle les contingences.

 

 

Nous ne percevons jamais qu’un certain nombre d’enchaînements de causalité, et en plus jusqu’à un certain point seulement, alors que chaque instant que nous vivons représente le point de recoupement d’un nombre infini d’enchaînements de causalité qui viennent de l’infini et se poursuivent dans l’infini.

 

 

Etre artiste : savoir polir les surfaces rugueuses de la réalité jusqu’à ce qu’elles reflètent l’infini, de l’empyrée jusqu’aux profondeurs de l’enfer.

 

 

Le pire qui puisse arriver à un poète : ne pas être mûr pour son idée.

 

 

Il est si facile d'écrire ses souvenirs quand on a une mauvaise mémoire.

 

 

 

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