jeudi 7 janvier 2021

Notes d’hiver sur impression d’été - Dostoïevski

 Notes d’hiver sur impression d’été - Dostoïevski

Eh oui, maintenant, nous sommes entièrement consolés, et consolés de nous-mêmes. Tant pis si, autour de nous, même maintenant, tout n'est pas très très beau ; nous, en revanche, nous sommes tellement splendides, tellement civilisés, tellement européens que ça rend même le peuple malade de nous regarder. Maintenant, le peuple nous prend réellement pour des étrangers, il ne comprend pas une seule de nos paroles, pas un seul de nos livres, pas une de nos pensées - et ça, n'est-ce pas, on a beau dire, c'est un progrès. Maintenant, ça y est, notre mépris du peuple et de toutes ses bases est si profond que nous éprouvons devant lui une sorte de répugnance toute nouvelle, encore jamais vue, une répugnance qui n'existait pas même à l'époque de nos Montbazon et de nos Rohan, et ça, on a beau dire, c'est un progrès. En revanche, comme nous sommes fiers de nous, maintenant, de notre vocation civilisatrice, comme nous réglons de haut tous les problèmes, et ce qu'ils sont, justement, ces problèmes : pas de sol natal, pas de nation—, la nationalité n'est rien que le système de capitation que l'on connaît, l'âme, c'est une table rase, un petit morceau de cire avec lequel on peut vous sculpter à l'instant un homme véritable, l'homme général universel, l'homunculus - il suffit d'appliquer les fruits de la civilisation européenne, et de lire deux ou trois livres. Et, en revanche, ce que nous sommes sereins, si grandiosement sereins maintenant, parce que nous ne doutons de rien, nous avons tout réglé, tout signé. Avec quelle satisfaction sereine nous avons, par exemple, envoyé une volée de bois vert à Tourgueniev parce qu'il avait osé, lui, ne pas être serein avec nous, et ne pas se satisfaire de nos grandioses personnalités, qu'il a refusé de les prendre pour idéal, et qu'il cherchait quelque chose de mieux que nous. Mieux que nous, non mais, Seigneur Jésus !

 

 

Le pauvre Socrate n'est qu'un phraseur stupide et nuisible et il n'a droit au respect qu'au théâtre parce que le bourgeois aime toujours respecter la vertu au théâtre. Un homme étrange, ce bourgeois : il proclame que l’argent est la vertu suprême et un devoir de l’homme, pourtant il aime aussi terriblement s’amuser un petit peu à la noblesse sublime. Tous les Français ont un air de noblesse étonnante.

 

Mais, deux mots sur Gustave. Gustave, bien sûr, c’est la même chose que le bourgeois, c'est-à-dire un commis, un marchand, un fonctionnaire, un homme de lettres, un officier. Gustave, c’est un célibataire, mais c’est toujours un bribri. Mais la question n’est pas là, elle est de savoir dans quoi se drape et déguise aujourd’hui Gustave, de savoir de quoi il a l’air aujourd’hui, quelles sont les plumes qu’il arbore. L’idéal de Gustave change selon les époques et se reflète toujours au théâtre tel qu’il existe dans la société. Le bourgeois aime particulièrement le vaudeville, mais il aime encore plus le mélodrame.

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