dimanche 10 janvier 2021

Journaux – Robert Musil

 

Journaux – Robert Musil

TOME 1

 

Nocturnal! J’aime la nuit parce qu’elle est sans voiles; le jour tiraille les nerfs en tous sens jusqu’à l’aveuglement, mais c’est la nuit que certains fauves vous étouffent de certaines prises, que la vie des nerfs se remet de la stupeur du jour et se déploie vers l'intérieur, que l’on renouvelle le sentiment de soi; comme quand, dans une pièce obscure, une bougie à la main, on s’approche d’un miroir resté des jours durant à l’abri de la lumière et qui vous tend soudain votre visage en l’absorbant avec avidité.

De certains fauves avec de certaines prises étouffantes ! Il y a eu des rois qui attelaient des panthères à leur char, et il se peut que leur plus grand plaisir ait tenu à cette vague perspective d’être déchirés à belles dents.

 

 

Plus rien ne filtre de ces responsabilités du jour qui se lèvent er se couchent avec le soleil — parce qu'on ne nous voit plus. Oh! la nuit ne sert pas qu'à dormir, la nuit remplit une fonction importante dans l'économie psychologique de la vie.

 

 

Il y a des vérités, mais pas une vérité. Je puis parfaitement soutenir deux affirmations absolument opposées et avoir raison dans les deux cas. Il ne faut pas comparer le poids de deux pensées : chacune est un monde en soi. Voir Nietzsche. Dès qu’on veut trouver chez lui un système, hors celui de la liberté intellectuelle du sage, quel fiasco.

Les grands donneurs d’amour forment une autre espèce — le Christ, Bouddha, Goethe — moi, aux jours de cet automne où j’aimais Valérie.

 

 

Nietzsche est comme un parc ouvert au public — mais personne n’y entre !

 

 

 

A l'heure du plus profond silence

Tout homme est un cimetière de ses pensées. Pour nous, le plus beau moment est celui de leur naissance; ensuite, il nous arrive souvent d'éprouver tout au fond de nous-mêmes une vive souffrance à constater qu'après nous avoir ravis, elles nous laissent indifférents. L'heure du plus profond silence, c'est entre minuit et une heure de notre âme, quand elles sortent de leur tombe et nous apportent, chacune, un morceau perdu de nous-mêmes. Dès lors, nous ressentons autrement notre moi et nous faisons silence, parce que nous compre­nons la nécessité qui les fait nous quitter sur le coup d’une heure.

 

 

 

Il est des hommes qui se sentent humiliés au moment de consigner leurs pensées. Notre façon d’écrire est un produit de notre vie intel­lectuelle. Deux millénaires écrivent avec nous. Mais surtout nos parents et nos grands-parents. Le point et le point-virgule sont des symptômes de régression — de stagnation. On ne devrait donc pas laisser la syntaxe entre les mains de professeurs encroûtés. Nous n’utilisons pas le point ou le point-virgule seulement parce qu’on nous l’a enseigné, mais parce que nous pensons d’une certaine façon. Là est le danger. Aussi longtemps que l’on pense en phrases à point final, certaines choses ne peuvent se dire — tout au plus se sentir confusé­ment. D'autre part, il serait possible d’apprendre à s’exprimer de telle sorte que telle perspective infinie, encore à peine consciente pour le moment, devînt claire et compréhensible.

Nos désirs étouffés nourrissent nos sentiments. La chair une fois domptée, la valeur de notre âme augmente. Mais qui connaît au­jourd’hui cette puissante loi de la vie morale?

-♦Typiquement fin de siècle**-  Claude Larcher

 

 

Amour Nous sommes de ceux qui doivent toujours jouer le tout pour le tout. Le risque d'être trompé n’a guère de sens pour nous, puisque nous agissons toujours sous une très forte pression intérieure, et l’objet de notre amour a pour unique tâche de réduire celle-ci. C’est pourquoi nous sommes naïfs comme des enfants quand il s’agit de juger la bien-aimée. Même quand celle-ci ne demande qu’un flirt et un peu de sentiment, nous sommes assez aveugles pour vouloir tout lui donner — toute notre âme. Nous sommes ridicules — mais pour de bonnes raisons

 

 

 

Note à Husserl

Sur un point, pourtant, c’est le nominalisme qui devrait être en partie dans le vrai. A savoir : quand j'exprime une pensée sous la forme d’une phrase, je ne pense certainement pas l'intention de chaque mot, mais n’ai qu’une demi-conscience de l’intention de la phrase dans son ensemble, et les mots me viennent aux lèvres mécaniquement (pour la conscience). On peut bien supposer que l'intention est inconsciente, mais les mots viennent souvent tout seuls et comme à l’essai, souvent ! soumis à correction, et c’est en eux et à travers eux que se déploie l’intention de la phrase.

 

 

 

On ne se reconnaît qu’à ses actes. Non à sa conscience. Les actes prennent leur source dans l’inconscient (le juste dosage de conscient et d’inconscient est l’idéal des Romantiques. Le tarissement de l’inconscient sous le regard trop desséchant du conscient, leur fatalité).

Si nous substituons au couple non psychologique ou du moins prématuré « conscient-inconscient » le couple «réfléchi-irréfléchi»(au sens propre, à mi-chemin entre le premier couple de notions et celui de « logique-alogique »), nous retrouvons un raisonnement connu, mais digne d’être poussé plus loin.

Le seul homme vrai, c’est l’homme qui agit — rien d’autre en nous ne peut jamais être reconnu « vrai », parce qu’on n’en prend jamais conscience assez nettement.

 

 

 

Provisoirement, on peut définir ainsi cette sorte de technique (je pense à la scène entre Niels Lynhe et Mme Boye — vie intérieure ! oppressante et bruit des poignées de porte que l'on astique, ou les pas sur le trottoir, ou la conversation qui résonne comme dans un milieu dur, hautement conducteur): tenir compte de la différence entre l’ouverture d’une porte et la pression sur une tête de clou discrète qui la fait s’ouvrir. Au lieu de dire que telle ou telle émotion est ressentie, on doit mentionner quelque chose, si possible un détail passé inaperçu comme les bruits dans l’exemple ci-dessus, qui entraîne infaillible­ment, par association suggestive, la pensée non dite.

Le soir dans le tram : sortis du théâtre, les comédiens ne peuvent presque jamais garder la bouche immobile. Ils grimacent pour les propos les plus banals, leurs lèvres, en particulier, ne présentent jamais un dessin tranquille, personnel. Ils ont honte : c’est leur organe génital.

 

 

 

1) La moralité d’une belle âme réside dans l’ensemble de sa nature c’est déjà un mérite àAnders se rappelle cet état éthique où apparaît comme un malentendu grossier ß que celle-ci existe. Ellen  Key à propos d’une pensée de Schiller.

Chez Goethe, l’art de vivre, c’était l’intensification. Au cours d’une vie, l’histoire du monde aboutissait inconsciemment, et l’esprit consciemment, à une intensification ?

Chez Schiller, on trouve l’idée que l'action morale doit devenir belle et gracieuse. Ce sont les sentiments immédiats, les instincts ->cela aussi, il le tient pour un autre presque imperceptible malentendu<- et non le devoir et le sacrifice qui guident les actions de la belle âme (cf. plus haut). L'Etat, l'Eglise, la loi, la coutume, le travail, le plaisir, aujourd'hui, ne servent que fragmentairement. Mais la fin recherchée est l'harmonie, le modèle la Grèce antique, le moyen l'éducation esthétique. Il faut entourer l'homme d'impressions belles, de symboles d’harmonie; associer, dans tous les domaines, la pléni­tude de la vie naturelle à la liberté de la vie morale. Le libre jeu | commun de toutes les forces est le moyen suprême de promouvoir une culture accomplie. ->Diotime<- État que l'on atteint dans le jeu et dans la création artistique ; parce que les talents agissent là sans autre fin queux-mêmes.

Otto Ludwig a montré que l’école, l’art et la société sont devenus, de nos jours, les instruments du démembrement de la personnalité.

Lamprecht a fait remarquer que l’idéal humaniste de Lessing et de la religion naturelle, l’idée leibnizienne d’auto-accomplissement, la culture de soi de Goethe, la représentation de soi de Schleiermacher, le surhomme de Nietzsche ne sont que des manières différentes d’exprimer le moi éthico-esthétique.

Carlyle partage avec Goethe l’opinion de Spinoza selon laquelle le premier devoir est de sauvegarder la singularité la plus intime ->cela existe-t-il l’essence originelle de la vie personnelle. A l’instar de Goethe, il pressent que l'inconscient est la source de toutes les grandes forces. Le héros était à ses yeux la manifestation suprême de cette énergie née de l'obscur. Seul celui qui a dans sa propre nature une parcelle de grandeur peut vénérer les grands hommes et en tirer quelque profit.

Thoreau a insisté sur la simplification de la vie comme aspect essentiel de l'art de vivre, Whitman sur un autre aspect de celui-ci : la plénitude, l'ivresse vitale.

 

 

 

Pour Hanka  Aimer parce que l'autre vous trompe — voilà ce qu’il faut montrer (on aime son égoïsme naïf, son animalité, etc.) — les êtres les meilleurs, les plus épris eux-mêmes — souhaitent la mort de l'autre — c'est un des problèmes de la solitude dans l’amour. (Quels sont les autres? Cette question pourrait éventuellement servir de fil conducteur.)

 

 

 

Le soir, chez Martha, j’ai lu l'Accomplissement de l'amour et je  suis très déçu, alors que, voilà quelques jours seulement, cela me semblait si bon. Cette fois encore, la première partie m'a beaucoup plu, elle est parfaitement calme et simple (Martha dit «décantée» et je crois que le mot convient). J'ai lu la deuxième partie distraitement, mais la troisième m’a paru encore mauvaise. De beaux passages, mais cela fait trop essai, considérations enfilées les unes dans les aunes, paraphrases intellectuelles sur un thème choisi. Très déprimé. Sur le chemin du retour, je me suis proposé d’accentuer encore, dam la dernière phase du travail, les étranges perspectives intellectuelles qui forment le noyau de chaque scène, d’être encore plus intellectuel afin de prévenir toute lassitude due au poids des images (d'approfondir et même de gauchir!); d’autre part, de mieux concentrer les parties autour du développement général (vague des pensées jusqu’à la recon­naissance de la valeur du mensonge, de la solitude, de l'infidélité en amour). Troisièmement, comme je me le suis déjà proposé naguère, de faire une part un peu plus grande à la narration banale; on a non seulement le droit de suivre l’évolution d’un processus intérieur sou­mis à des nécessités intérieures, mais aussi le devoir de montrer un être tomber, par degrés, d’une situation dans l’autre.

M’étant proposé tout cela, je suis curieux de ce que je ferai en réalité; jusqu’ici en effet, les notes du projet théorique ont toujours abouti à la réalisation de quelque chose de tout différent.

Pour ce qui est des événements extérieurs récents, noter seulement que nous sommes allés un soir, Martha et moi, chez les Casper.

 

 

 

Impressions en refondant la partie centrale de la Maison enchantée: Kerr dit — 5 septembre — : il ne faut pas peindre une atmosphère, c'est de l’élaboration objective des faits que doit découler la mesure souhaitée de poésie. Dans la Maison enchantée, je peins une atmos­phère. Avec parfois une prolixité intolérable; ce qu’une phrase dit, trois autres le reprennent sous un vêtement nouveau. Il me semble que les deux choses sont liées: (comme ce que j’ai noté plus haut, qu’il faut faire de la narration au sens usuel, décrire les situations d’un personnage, dissimuler chaque pensée derrière une situation, etc.). Ce que l’on dit doit aussi pouvoir être communiqué avec des mots de tous les jours. Doit aussi avoir une valeur dans la vie réelle. En d’autres termes, ce doit être, simplement, une pensée réelle, non un vague balbutiement. Une pensée rattachée à des situations réelles, à des sentiments, profonds, importants. Ce doit être quelque chose qui m’importe réellement personnellement, qui importe à ma personne lucide.

2 janvier 1911

En d’autres termes : il ne s’agit pas de s’installer à sa table dans l’attente d’une humeur particulière, difficile à exprimer; il faut écrire des choses réelles avec son entendement, comme on peut en écrire à tout moment.

 

 

 

En disant: dans l’inclination pour un animal, il peut y avoir quelque chose de l’attachement à un prêtre, ou : une infidélité peut constituer, dans une région plus profonde de l’être, de nouvelles noces — on a circonscrit le sujet de Véronique et celui de Claudine. Ces deux nouvelles ne contiennent rien de plus. Certes, leur domaine intérieur se trouve désormais enrichi d’une subtile complexité. Mais celle-ci, du point de vue éthique, ne sera jamais caractérisée que par cette enve­loppe. L’influence formatrice du livre sur la vie intérieure du lecteur s’épuisera toujours en elle, etc. Ethiquement, cet approfondissement du problème reste sans conséquence. Ethiquement pauvre. Supposé qu’il y ait vraiment un moyen de montrer que c’est bien le problème de fond qui a une efficacité éthique, et non pas, à un même degré, l’idée que l’on peut être désespéré (et donc infidèle) faute de pouvoir rejoindre en soi sa propre intériorité. Et de montrer pourquoi. On pourrait alors postuler un autre art, opérant avec un ensemble indivis d’unités telles qu’on en trouve ici une à l’état de subdivision.

 

 

 

Présenter au moins 100 personnages, les principaux types de l'homme d'aujourd'hui : l'expressionniste, la Courts-Mahier ; le trafiquant, le psycho-pédagogue, le Steinerien, etc. Puis combiner leurs mouvements. ->♦Enquête psychologique: comment faire pour que les personnages ne s’estompent pas dans la mémoire du lecteur. <-

Idée fondamentale: l’institution du royaume de l'esprit. Qui, na­turellement, échoue. (Et dans le 1er roman n'apparaît pas encore.) (Ou sous forme d'ébauche insuffisante.)

L’époque vue comme dans le drame. Au seuil d'une néo-formation. Les anciennes tragédies abolies, etc.

 

 

 

Napoléon

Flatter, quand on ne le fait pas avec excès et jusqu’à l'affadissement, est utile à qui l’on flatte, accroît son amour-propre, sa tension, sa capacité de production. Flatter avec goût est une vertu sociale. Quelqu'un d’un peu plus intelligent que Harrach pourrait fonder là-dessus une théorie de la vertu de cour. Un homme qui méprise la culture bourgeoise et pousse cela ad absurdum chaque fois qu’il le peut.

D'ailleurs, on pourrait aussi montrer la parenté entre ces raisonneurs et les révolutionnaires ; simple question de variantes.

 

 

 

Le bien et le mal en soi sont indifférents, mais sur la surface de contact avec la société (dont l'attitude est inverse), il se produit une différence de tension et un mouvement d’ordre moral. (Potentiel.) Le crime est un concept juridique, non moral. Ce qui importe dans nos réalisations, c'est le fait de l’expansion ou de la pression exercée par le monde. (Le monde se déverse en vous ou vous vous déversez dans le monde) — : une imagination morale se crée.«-

Jusqu’ici, la morale était statique. Caractères et lois solides, idéaux. Aujourd’hui : morale dynamique.

Ou : le bien et le mal ne sont que des degrés inférieurs de la morale.

L’homme absolument mauvais est celui qui ne contribue en rien à la création.

Quelqu’un qui commet son premier vol peut être, ce faisant, près de Dieu.

Différence de tension, différence de température, différence de niveau — libèrent de la force, du mouvement, du travail.

Mais cette relation juste ou non avec le milieu présuppose une relation morale avec lui. Il faut l’introduire autrement. Donnée fon­damentale de la sociabilité.

Idéaux: producteurs d’illusion.

On peut considérer le devoir de l’individu comme une fonction de la société ou le devoir de la société comme une fonction de celle-ci : point de vue social. Ou le devoir de l’individu et celui de la société comme une fonction de l’individu : point de vue individualiste. Ou l’un et l’autre comme une fonction à la fois de l'individu et de la  société: point de vue mixte.

Il y a des vertus, des biens, des valeurs qui s'expliquent uniquement comme fonctions de l’individu ou uniquement comme fonctions de la société. D’autres dont la valeur tient aux deux.

Contre cette morale de l’état créateur et de l’esprit subsiste une objection : elle néglige le bonheur de l’im-pro-visa-tion. Ce que Müller nomme le rythme.

 

 

 

On dit pseudopodes, processus pseudo-vivants, etc. Rayer le mot pseudo! Les phénomènes élémentaires ne sont ni vivants, ni morts. Les processus psychologiques sont aussi physiologiques. Ce sont les représentations verbales et la conscience de soi qui les rendent psychi­ques. Mais il s’agit toujours de phénomènes, non d’une autre « ma­tière ».

Normalement, on dit : on ressent, puis l’on ajoute : une sensation différente ou identique, on classe.

Normalement, on dit : un stimulant se produit, c’est un processus physiologique dans le cerveau et cela reste à jamais autre chose qu’une sensation.

Mais la grande difficulté que l’on se crée ainsi devrait se présenter également dans les organismes primitifs. Il ne nous semble pas compréhensible qu’un unicellulaire, sous le coup d’une excitation, fasse un mouvement de préhension. Bien qu’en lui aussi, l’excitation ne soit qu’un processus physiologique, on la localise au dehors. Il suffit donc d’expliquer que, chez les autres êtres, s’ajoute une conscience. (Caractère accessoire de la conscience.)

 

C’est intéressant = cela occupe.

 

 

 

 

Expressionnisme

En poésie, avant mon départ pour l'armée, c’était le règne du lyrisme explosif, intellectuel, un lyrisme de l’intuition intellectuelle, des éclats de pensées philosophiques revêtus de lambeaux de chair de sentiment.

A mon retour, l’expressionnisme triomphait.

Aveuglé par une longue absence, je cherche d’abord à m’orienter en scrutant le mot lui-même. L’expressionnisme devait être le contraire de l’impressionnisme. Mais qu’entend-on par impressionnisme? Les croquis d’Altenberg? On pourrait les qualifier d’impressions, mais aussi bien de brèves réflexions; et plus il vieillit, plus l’élément réceptif cède le pas à l’élément réflexif.

Hermann Bahr? Il a écrit naguère des pages qu’il a qualifiées d’impressionnistes. Mais c’étaient des interviews pleines de vie, et l’on ne fonde pas une orientation littéraire sur le refus d’un certain travail journalistique. Le premier Schnitzler? C’était un moraliste; profond ou non, peu importe. Ibsen est un moraliste et un critique; Hauptmann choisit pour perspective l’évolution de la bourgeoisie sur fond de renouveau allemand. Thomas Mann? Il s’est défini comme un émule de C. F. Meyer et de Storm, donc pas un impressionniste non plus.

 

 

TOME 2

 

Le péché consiste à refuser un apport d’énergie personnelle et matérielle à l'effort commun de progrès. L’égoïsme économique et l’égoïsme social sont un péché au même titre que la dissimulation, l’abus et la non-utilisation des énergies spirituelles qui peuvent répandre parmi les autres hommes la chaleur et la lumière de l’esprit.

L'idée que le premier devoir de l’homme est de vivre pour le bien commun et de s’intégrer dans une recherche organisée du progrès, matériel et spirituel, commun, c’est ce que nous appelons le socialisme. Il a pour conséquence une intensification maximale des énergies personnelles qui s’orientent, en même temps, vers les tâches humaines les plus hautes.

Il est de l’essence du socialisme de cultiver l’énergie personnelle, l’émulation entre les personnes, de favoriser le choix d’hommes forts et sains, ennoblis par leur ambition éthique et sociale; parce que toute vie forte, ascendante, implique une intensification de la personnalité.

A tout instant, un peuple dispose de possibilités de naissance d’espèce bonne et mauvaise. La nation doit opérer un travail permanent de réforme sociale et culturelle pour encourager l’actualisation des possibilités de « naissances bonnes »... et empêcher la propagation des mauvais germes.

La distinction entre le peuple et les fonctionnaires aura coûté sa liberté au peuple pendant des millénaires.

La part de la personne : ce qui, étant radicalement nouveau, imprévisible et indéfinissable, ne saurait être soumis à la comparaison, à la mesure, à l’organisation, à des règles extérieures ou à la contrainte.

 

 

 

Le revoir

4 personnes qui ont été jeunes ensemble naguère, se retrouvent.

Un écrivain et sa femme. Ils se sont «aimés» naguère. Puis traités «mal». La femme l’a trompé, il a été jaloux, l’esprit de possession avait pris possession d’eux. Ils se sont reproché mutuellement d’être sortis de l’état d’amour.

Aujourd’hui, l’écrivain est au bout du rouleau. Il a écrit beaucoup de livres, mais pas celui de l’amour. Il comprend qu’il a échoué.

Tous deux sont, matériellement aussi, à bout. L’écrivain, au bord de la célébrité, a épuisé toutes ses ressources et celles de sa femme (en fait, le mari parasite des amants). L’idée d’écrire une nouvelle œuvre lui répugne.

Ils entrent en clinique. Veulent se tuer. Se méfient des raisons nerveuses. Veulent être sûrs qu’ils n’agissent pas ainsi par neurasthé­nie. Et, de surcroît, jouir de leurs dernières semaines.

Un ami de jeunesse, un universitaire ->type sthénique<- est devenu médecin en second de la clinique. La science l’a déçu. Auprès de lui, la femme fidèle, qui l'aime toujours, avec laquelle on n’est pas heureux non plus.

Ils décident de faire une fois, avant la fin, l’expérience de vivre à quatre « en amour ».

Le tout dans une clinique et, vu de là, une histoire de fous. Une idée de malades. La chose la plus importante du monde!

(Quand on conseille de faire de la gymnastique, de prendre de l’exercice, c'est déjà une action du type calcul, définition, etc.)

 

 

 

«Autre état»

Klages : Vom kosmoganiscben Eros

Distingue entre inclination et instinct comme au moins deux aspects differents de l'expérience de l'amour. Inclination = penchant » attirance » simple qualité d'état du sentiment. L'instinct pousse à des mouvements qui ont pour conséquence réelle la fusion, il ébranle, il oriente en direction de l'objet, alors que l'inclination va plutôt dans le sens monter ou descendre.

Les instincts sont violents, les inclinations profondes.

L’aversion évite, l'antipathie attaque.           Voir 6, 7.

L'amour instinctuel est toujours instinct de l’union physique. 7

(Distingue dans l'amour maternel l'instinct qui s'étend à tous ses enfants et qui ne fait pas de différences intra-individuelles, de la sympathie pour certains enfants. Cet amour maternel est simple instinct de conservation et d'union. L'amour des enfants pour les animaux comme le mal du pays sont du même ordre.)

La volupté bornée au pur sexuel est une limitation. Il y a aussi une volupté de la victoire, du triomphe, de la cruauté. La volupté sexuelle comporte aussi quelque chose de l'état érotique. Le sexe est un instinct qui pousse non à la volupté, mais à l’accouplement. L'éros n'est pas un instinct, mais un «état complet»; de plus, non un état de besoin, mais un état d'accomplissement « en soi »... Totalement libre de toute visée; il ne doit donc pas être confondu avec l'amour et le sentiment, qui comportent une visée. C'est une sorte d'extase, une extase volup­tueuse de l’âme. Aucune félicité (spirituelle ou sensuelle) ne peut avoir le caractère d'un assouvissement (d’un désir ou d’un instinct). Tout assouvissement se réduit à l’instant du passage de la non-possession à la possession, auquel succède le vide.

L’assouvissement sexuel, dans la mesure où il participe de l’éros, est volupté; pour le reste, il est satisfaction d’un instinct et d’une vo­lonté.

L’ivresse érotique peut être provoquée par toutes sortes de circons­tances. Elle peut être «fureur déchaînée» ou «transport cristallin». Ce qu’elle comporte de pression, c’est la pression du débordement, de l’épanchement radieux, du don illimité de soi.

 

 

 

[Cette description imprécise laisse beaucoup de jeu.] Formulation subséquente :

L’image n’a d’actualité qu’au moment où elle est vécue — la chose est établie une fois pour toutes. L’image se mêle au flux de la vie — la chose est figée, indissoluble. L’image n’est présente que vécue par qui la vit — la chose l’est dans tout acte de perception de quiconque perçoit. [Cette subjectivité non-subjective de l’image n’est pas forcé­ment contradictoire. Contr.  objet de la perception. Faire abstrac­tion de l’élément subjectif entraîne du côté des généralisations conceptuelles. Mais on peut aussi concevoir la détermination subjec­tive objectivée. Dans le premier cas, c'est la chose qui est sujette à généralisation, dans le second, le vécu. Mais cela aussi reste imprécis.] On peut certes se rappeler une image, mais non l’actualiser dans le jugement — alors qu’on peut à tout moment, par la pensée, se référer à une chose. L’image, prise dans le temps, se transforme (comme l’âme vivante) — la chose, elle, prise dans le temps, est vouée à la destruction (parce quelle est en dehors du temps). L’image est reçue — la chose est produite par l’esprit en se fondant sur celui qui la reçoit. L'image a une réalité indépendante de la conscience (? «elle reste en effet totalement hors de son atteinte, que je m’en souvienne ou non après coup »). — La chose est introduite dans le monde par la pensée et n'a d’existence que pour l’intériorité des êtres personnels. [On pourrait dire aussi que l’image a une égoïté indépendante de l’ego.] Par conséquent : pour qui fait éclater les limites de la personne dans l’extase, le monde des faits s’abolit aussitôt, remplacé par le monde des images. L’âme contemplante est son pôle intérieur, la réalité contemplée son pôle extérieur. Ils sont liés : gamos perpétuel, mais ne fusionnent jamais: perpétuelle contemplation. Le contact des pôles extérieur et intérieur engendre perpétuellement l’image qui se donne à elle-même une âme: création perpétuelle. [Mais le monde extérieur est tout de même une image, lui aussi?] «Le dehors, l'extérieur, c'est le dedans élevé à l’état de mystère. » Novalis .

 

 

 

Continue, pour se distancier de Schopenhauer : au contraire du  concept, général, l'image originelle est rigoureusement liée à l’instant et, de ce fait, unique, irrépétable. Par rapport à l’image, la chose, l’événement, l’objet sont de nature générale et conceptuelle ; on intro­duit sous l’impression actuelle un élément constant auquel on peut se référer à tout moment.

L’expérience vécue de l'amant ne s’adresse pas à la personne de l’aimé, mais à son image prise dans le flux du temps. Il faut, pour atteindre à l’image, faire abstraction de l’objet conceptuel.

Mais pourquoi la « forêt contemplée » reste-t-elle une forêt ?

Image due à l’impression

/                                   \

chose dicible               contemplation désubjectivée (image originelle)

 

Les images originelles possèdent, en plus de ce que l'esprit peut saisir dans l’image-impression, un nimbe. Le nimbe (contact polaire d’une âme réceptrice avec un démon agissant) ne peut être analysé conceptuellement. Une coupe de détail nous permet de saisir l’âme du monde. C'est là qu’il situe la comparaison poétique. Affirme que jadis, les comparaisons se réalisaient (un arbre dans sa robe de feuilles de soie vu comme fiancée du roi). Ce qui était pour le regard quotidien individu parmi d’autres devient pandémonium.

La réalité d’où sourd l’image n’est pas objectivement transformée, mais les limites qui séparent l’objet de la réalité s’effacent. Ce qui est pris dans le rayon de la contemplation cesse d’être une chose parmi d'autres pour devenir le centre du monde. Dans l’événement de la contemplation, l'âme revit le commencement toujours recommencé du monde. Tout ce qui se produit et s’est produit depuis toujours reçoit lumière et sens de l’image surgie dans l’instant. Mais, comme tout cela se passe hors conscience, on ne peut le communiquer; du moins en va-t-il ainsi de l'extase parfaite.

La considération de près et la considération de loin, qui correspon­dent aux deux impressions différentes du proche et du lointain, sont deux comportements différents. Quiconque vise à distinguer traite même le lointain comme du proche, en le soumettant à des mesures partielles; quiconque s’absorbe dans la considération traite même le proche non comme un objet enclos dans des limites, mais comme un ensemble entouré d’images voisines. Le proche a un caractère de chose, le lointain un caractère d’image.

 

 

 

Questions préalables :

Qu’est-ce qu’une expérience éthique?

2 groupes d’expériences vécues : fixables et transmissibles non-fixables et non-transmissibles.

Dites aussi ratioïdes et non-ratioïdes.

 

 

 

Des mots comme «bon». «C’est bon.» On les comprend, c'est donc qu’ils sont fondés sur un élément commun. Approuver, être satisfait, tranquillisé, norme, bonté. ->Mais, comme le spectre, ils se perdent aux deux extrémités dans le flou et ne sont pas univoques comme l’expérience des choses.<- ->On prétend que l’accommodation pratique entraîne forcément l’univocité. Il devrait alors en être ainsi, a fortiori, dans l’évaluation. Or, c’est peut-être justement là qu’éclate la différence entre éthique et morale. <-

 

 

 

->Conclusion erronée : si on comprend le mot « bon », c’est qu’il existe

un «bien» universel.

Si on comprend le mot « arbre », c’est qu’il n’y a qu’un seul arbre. «-

Probablement aussi une expérience spécifique d’accomplissement du devoir.

Partialité historique : souligner le caractère de conciliation générale de cette expérience éthique. Où il y a des hommes, il y a sans doute une expérience du « bien », donc la possibilité de définir un quelcon­que caractère universel; néanmoins, tout jugement éthique un peu subtil se fonde non pas sur le caractère commun, mais sur les nuances des objets désignés comme «bons». En éthique, nous en sommes encore à la scolastique, et avons beaucoup à apprendre de la nature.

 

 

 

Schopenhauer pose comme conditions de l’état contemplatif l’indé­pendance à l’égard des «motifs» de la volonté, l’absence de subjecti­vité, la rigoureuse objectivité dans la considération des choses, aux­quelles on s’abandonne totalement, non en tant que «motifs», mais en tant que pures représentations.

 

 

 

La forme la plus générale, et moderne, de ce scepticisme : les idéaux ne sont que des illusions de l’affectivité.

La morale est faite pour que nous ne soyons pas pires encore. Ou pour que nous puissions trouver une bonne excuse à nos méchancetés.

L’homme qu’un peuple exalte malgré cela est le plus grand : consé­quence peu bienvenue.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire