lundi 7 novembre 2016

La leçon inaugurale – Roland Barthes



La leçon inaugurale – Roland Barthes

Ainsi, par sa structure même, la langue implique une relation fatale d’aliénation. Parler, et à plus forte raison discourir; ce n’est pas communiquer, comme on le répète trop souvent, c’est  assujettir : toute la langue est une rection généralisée.


Mais la langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste, car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire.

Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la lange entre au service d’un pouvoir. En elle, immanquablement, deux rubriques se dessinent : l’autorité de l’assertion, la grégarité de la répétition. D’une part la langue est immédiatement assertive : la négation, le doute, la possibilité, la suspension de jugement requièrent des opérateurs particuliers qui sont eux-mêmes repris dans un jeu de masques langagiers; ce que les linguistes appellent la modalité n’est jamais que le supplément de la langue, ce par quoi, telle une supplique, j'essaye de fléchir son pouvoir implacable de constatation. D’autre part, les signes dont la langue est faite, les signes n’existent que pour autant qu'ils sont reconnus, c’est-à-dire pour autant qu'ils se répètent; le signe est suiviste, grégaire; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu'en ramassant ce qui traîne dans la langue. Dès lors que j’énonce, ces deux rubriques se rejoignent en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je dis, j’affirme, j’assène ce que je répète.
Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement. Si l’on appelle liberté, non seulement la puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout celle de ne soumettre personne, il ne peut donc y avoir de liberté que hors du langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur ; c’est un huis clos.

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