lundi 7 novembre 2016

Mélancolie – Peter Nadas



Mélancolie – Peter Nadas

On dit mélancolique tout être contraint de céder sans conditions à ce sentiment d’errer dans les ténèbres en quête de lumière, et l’on désigne un tel état par le mot de mélancolie.
La couleur de l’état d’âme mélancolique est le noir, sa saison l’automne, ses jours la nuit, son point cardinal le Nord. Il y a bien des mots pour la mélancolie : mal du siècle, déréliction, spleen, vague à l’âme; et bien des spécifications: abattement pathologique, découragement morbide, disposition d’esprit durablement chagrine, stagnation des forces vitales, reflux de nos humeurs, absence, vide, apathie. Le mot de dépression nous sert souvent de nos jours, et désigne, en géographie, les parties effondrées de la surface du globe situées au-dessous du niveau de la mer et généralement englouties;


Ainsi, l’homme tourné vers le sombre horizon n’observerait pas la course des nuages, mais guetterait la marée.
La mélancolie est souvenir. S’il y a eu tempête, il y aura tempête. S’il y a reflux, il y aura flux. L’homme mélancolique n’observe pas ce qu’il y a, mais attend la venue de ce qu’il n’y a pas. De son esprit, il se raccroche au présumable, mais le souvenir qu’il garde des imprévus de sa vie n’a pas manqué de saper la confiance qu’il plaçait dans la raison. Comme il craint ce qu’il n’y a pas, il redoute la venue de ce qu’il attend. Il sait que ce qu’il n’y a pas maintenant trouvera tôt ou tard le moyen d’advenir, mais n’oublie pas que ce qu’il y a quand même maintenant peut, tôt ou tard, tout aussi bien disparaître. Ce qu’il y a maintenant promet certes bon nombre d’incertitudes, puisque tout peut encore arriver, mais n’en reste pas moins toujours plus sûr que de simples peut-être, tant la foule innombrable des virtualités en suspens offre moins d’assurance que le premier avènement venu.


Je reconnais d’emblée que cette affirmation semble assez insaisissable. D’autant que je n’ai parlé jusqu’ici que du savoir selon les sentiments et des sentiments selon le savoir - en prenant soin de distinguer ces deux axiomes des sentiments qu’on ne sait pas et du savoir qu’on ne sent pas -, mais comme je n’ai rien dit ni de l’âme ni de l’esprit, reste à savoir ce que j’entends par là. Les sentiments créent des tableaux, le savoir crée des concepts.
L’activité de l’homme mélancolique tend à établir des correspondances entre les images de ses sentiments et les concepts de son savoir, dans le but de les démêler par des jeux successifs d’inductions et de déductions. Mais en agissant de la sorte, il se façonne cet espace mort excessivement instable où niche le sentiment du néant du savoir ou le savoir du néant des sentiments.
C’est dans cet espace que nous nommons esprit le sujet du savoir dénué de sentiment, et âme le sujet des sentiments dénués de savoir.

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