lundi 7 novembre 2016

Eloge de la faiblesse – Alexandre Jollien



Eloge de la faiblesse – Alexandre Jollien

SOCRATE
Tout cela voudrait dire que la pitié blesse plus que le mépris?
ALEXANDRE
Oui, pas de pitié. Une fois de plus, je donne raison à Nietzsche. Je crois qu’il voit juste quand il condamne la pitié, l’hypocrisie ou le paraître. Chaque jour, je rencontre ce regard condescendant qui croit me faire plaisir, peut-être sincèrement, mais qui nie ma liberté et me nie ipso facto.




ALEXANDRE
Nombre d’entre nous risquions de perdre toute confiance spontanée en la vie. À ce propos, des études récentes ont prétendu que les premiers mots prononcés à la naissance d’un nouveau-né exercent une influence insoupçonnée sur son développement.
Hegel a beaucoup insisté sur la problématique du regard d’autrui. Il voit dans la rencontre de l’autre un moyen de s’élever, de grandir, de devenir pleinement humain... Sartre décrit tout au long de son œuvre, notamment dans sa célèbre pièce Huis clos, notre besoin viscéral et profond de nous sentir reconnu, besoin jamais assouvi.
[Mutisme de Socrate.]
Le regard d’autrui, selon moi, construit, structure notre personnalité. Cependant, il peut aussi nuire, condamner, blesser.
SOCRATE
J’imagine que tu as quantité d’exemples.
ALEXANDRE
Je me promène avec une amie. À mots feutrés, elle est en train de me confier qu’elle voulait se suicider.
Nous rencontrons un garçon de seize ans. Le voilà qui lance un regard dédaigneux à mon amie, m'examine de la tête aux pieds, puis l’interpelle : «Tu as oublié la laisse?» Interloquée, mon amie éprouve un violent sentiment de révolte.


ALEXANDRE
[…] la peur d’être repoussé par l'ami, ou plutôt par celui dont je dépends, est effectivement un poison dangereux. Il instrumentalise l’autre, le réduit au rang de moyen pour combler un vide, moyen pour combler ma solitude. On s’accroche, on rampe vers l’autre pour se fuir soi-même. Une modalité du divertissement, dirait Pascal. Jean-Paul Sartre a aussi traité de ce problème, je t’en ai touché quelques mots : il décrit le regard de l’autre comme le moyen de se valoriser. Dès lors que l’autre me valorise, je vais tout mettre en œuvre pour lui plaire, pour recevoir au goutte-à-goutte son amitié, son approbation.
SOCRATE
Gardons-nous de simplifier à l’excès !

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