dimanche 13 novembre 2016

Devenir – Liv Ullman



Devenir – Liv Ullman

Au moment de tourner, j’ai dit i à Liv de concentrer sur ses lèvres tout ce qu’elle j ressentait. C'était là qu'elle devait essayer de placer sa sensibilité. On peut, vous savez, placer le sentiment dans différentes parties du corps. On peut faire venir subitement toutes ses émotions dans son petit doigt, son gros orteil, ses fesses ou ses lèvres. C’est ce que je lui demandais de faire. » Technique.
Il doit toutefois y avoir un équilibre interne entre la technique et l’intuition. L'intuition a été mon point fort en tant qu'actrice. Peter Palitzsch m'a appris à l'intégrer au contexte. Jamais il n’a interféré avec mon expression des choses. En revanche, il a toujours testé mes motivations. Il m'a appris à m’observer, à laisser le rôle se jouer à travers ce que je sais du personnage.
Grusha est assise à côté du bébé abandonné par sa mère, et tandis qu'elle se baisse pour le ramasser, une larme lui monte aux yeux et roule sur sa joue. Subitement la larme est là, et la sensation est merveilleuse. Moi, je me suis simplement efforcée de rester ouverte. En sorte que ce qui arrivait à Grusha arrivait à travers moi. J'étais ouverte à ses larmes et à ses émotions.
Fantastique, quand les larmes arrivent. J’ai été surprise, car j'ignorais qu’elle pleurerait à ce moment-là. Mais ce n’est plus moi qui suis prise dans une émotion, ce n'est pas moi qui pleure.



Rien n’a été changé. Jusqu'aux meubles qui sont restés à la même place.
Le cercle est refermé.
Rien ne se termine jamais. Où que l'on ait enfoncé les racines qui naissent de ce que l’on a de meilleur et de plus véridique, on retrouve toujours une patrie.
Revenir n'est pas revisiter quelque chose qui a échoué. Je peux suivre les sentiers d’autrefois sans l’amertume de me dire que d’autres pieds y prennent maintenant plaisir.
La mer est là, exactement comme elle a toujours été.
Je peux m’asseoir à table pour dîner, me servir des couteaux, des fourchettes et des verres que j’ai un jour achetés et me sentir un peu triste, mais en même temps savoir que je fais encore partie de cette maison, que je suis encore un de ses intimes.
Je suis émue de voir qu’il y a eu si peu de changement, et cela me la rend sympathique. Elle n’a pas essayé de me chasser de ce lieu.
Les gens dont la vie a été très étroitement liée éprouvent le besoin de renouer le contact, même lorsque leurs chemins ont pris une direction différente. Leur nouvelle vie fait partie de ce qu'ils ont désormais à partager.
Personne ne possède personne- Ensemble, nous disposons l’un de l'autre, de la nature, du temps.
C’est aussi simple que cela.
Nous portons les valises au cottage d'hôtes. De la fenêtre, je peux voir la maison principale, je ne l’ai jamais vue de là et l'impression est étrange. Mais mon être intérieur est calme.
Rien ne peut plus me blesser.


Moi, je cherchais la sécurité et la protection absolues. Mon besoin d’appartenir était immense.
Lui, cherchait la mère. Des bras qui s’ouvrent à lui, chauds et sans complications.
Notre amour est peut-être né de la solitude que nous avions connue l’un et l’autre avant de nous rencontrer.
Il rêvait de la femme tout d’une pièce, créée comme cela. Or, moi, au moindre choc, je me désintégrais en mille morceaux et fragments.
Une fois séparés, nous avons vu clairement nos erreurs.
Sa faim d’intimité était insatiable. Et elle devint vitale pour moi.
En un sens, chacun semait la révolution chez l'autre. Nous nous étions ouverts l’un à l’autre si complètement. Non seulement physiquement, non seulement sexuellement, mais, comme des êtres humains possédant un rapport secret, nous nous étions liés l’un à l'autre.
Le moment arriva rapidement où je fus confrontée à sa jalousie violente — sans limites. Je n'avais jamais connu cela auparavant. Maintenant, toutes les portes étaient fermées, condamnées. Les amis et la famille, et même les souvenirs, devenaient une menace pour notre liaison. Terrifiée, je me rendis compte que je n’avais plus que lui.  Et quand sa jalousie eut mis des frontières à ma liberté, je pénétrai sur son territoire, afin d’y dresser les mêmes frontières pour lui. Je n'avais le sentiment de ma propre sécurité que dans la mesure où je pouvais contrôler son existence.
Nous désirions ardemment n'avoir pas de secrets l’un pour l’autre. Nous aurions tant voulu avoir l’un et l'autre le courage d’abdiquer! Quand cela arriva, nous ne vivions déjà plus ensemble.
Nos besoins étaient impossibles à satisfaire.
Et cela devint notre enfer. Notre drame.



Rien n’existait hors de nous-mêmes. Ni joie, ni peine, qui n’ait été infligée par l’autre.
Lentement, cela devient la raison de notre rupture. Nous noc ressemblions tellement. Tout ce qu’il avait ignoré en lui-même, il commença de le voir en moi – comme dans un miroir.


J’étais censée apporter à un enfant la sécurité et la tendresse, mais je n’avais guère le sentiment d’en recevoir moi-même suffisamment. Dans la solitude de l'île, je fus souvent une mère nerveuse et peu patiente. Ma vie avec l’enfant a été influencée par la situation dans laquelle je me trouvais, et celle-ci n’était pas toujours bonne. Mes déceptions se répercutèrent parfois sur elle. Il y eut les jours de culpabilité, où je me transformais en paillasson pour l’un et pour l’autre. Lui, qui siégeait dans son bureau et voulait m’avoir pour lui tout seul. Elle, qui pouvait à peine marcher et m'appelait de ses cris à l’autre bout de la maison. Je me précipitais de l'un à l’autre, et toujours pleine de remords. Incapable de donner complètement ce que je souhaitais moi-même recevoir.
Nous avons beaucoup de photographies de Linn à cette époque. Elle est potelée et heureuse, ses yeux ont déjà Pair de juger tout ce qui se passe autour d'elle. Dès yeux pleins d’humour.
Je sais que je ne pourrai jamais réparer tout le préjudice que je lui ai causé. Tous les choix que j’ai faits à son détriment. Toutes mes absences — quand je la laissais dans des mains étrangères.
Je me demande ce qu’elle pensait, ce qu’elle attendait.
J’éprouve aujourd’hui le besoin pressant de la prendre sur mes genoux, de lui dire combien je l’aimais et combien sa chaleur me manque, son odeur, son absolue confiance.
Au temps où j'étais tout son univers, j’étais remplie de mon propre univers. C’était le temps où elle dormait à un bout de la maison et nous à l’autre. Je tendais l’oreille dans mon lit, car elle était si loin; j’avais peur de ne pas l’entendre, si elle s’éveillait.


Je pense qu’il est bon de savoir ce qu'est exactement le moment que l’on vit et de le prendre comme un cadeau.
Je donne naissance à un enfant pour la première fois. Cet événement aux dimensions incalculables, je ne le revivrai pas, mais il donne de l’importance à tout ce que je ressentirai par la suite.
Assise près d’une bougie, je sais bien que jamais je n’aurais pu percevoir la flamme vacillante de cette bougie comme je le fais, si je n'avais vu un jour Linn venir au monde.
J'ai quitté Farô. Et jamais plus je n'ai laissé mes racines s'enfoncer ailleurs. Elles plongeront à jamais dans l'expérience que m'a apportée l'île.
Les cadeaux ne sont pas que bonheur. Ça, je crois, je l’accepte.
Et c'est probablement cela mon plus grand changement.


Il lui raconte que son âme est comme une suite de plateaux montagneux entrecoupés d’abimes profonds et obscurs dans lesquels il ne peut pas regarder.
En fait le seul abime dont elle ait conscience, dans son âme, est celui om sont contenues sa peur et sa solitude sans lui.


Mes semblables devenaient des objets que je pouvais rencontrer et utiliser à des fins professionnelles.
J’essuyais les larmes d'un personnage que j’incarnais à la scène et je passais sans voir les larmes qui j coulaient dans ma propre maison.
Oh ! oui. J'ai vu le danger. J'ai hésité.
J'ai rencontré un jour un athlète au sommet de la gloire. Je l'ai entendu parler de ses records, où quelques dixièmes de seconde seulement le séparaient du coureur suivant. Mais qu'avait-il sacrifié pour ces instants-là? A quoi ressemblait le revers de la médaille ? N’avait-il pas payé ces quelques secondes de triomphe par des jours, des mois et des années, même, durant lesquels il avait dû dire non à tout le reste? Etait-ce ce que j'allais, moi, faire de la liberté que je venais de gagner ?
Je fis mes bagages et je rentrai à Oslo, où je signai un contrat avec le Théâtre Norvégien. Enfin, j’avais de nouveau un lien professionnel avec la Norvège.
J’étais comme la figure de proue d'un vieux navire. Celle qui a l'air si fière à l’avant, qui fend les vagues et fixe la route de son regard, alors que tout son corps, à un certain angle, se presse, contre le navire dont elle fait partie.


J ai en tout cas appris une chose :
A savoir qu'un mari est une sorte de justification pour une femme, quel que soit l'envers du décor.
Il peut être adipeux, stupide et vieux, cela ne l'empêchera pas de dénigrer le corps défraîchi et la ménopause de sa femme et d'avoir droit à la sympathie s’il l'échange pour une femme plus jeune. Cela est vrai pour la vie professionnelle. Et cela est vrai pour la vie privée.
Il m’est arrivé à certaines périodes de ma vie de me trouver dans la situation exposée d'une femme célibataire ou d'une femme divorcée. D'être la femme dont tout le monde sait qu'« elle n’a personne ».
Un homme peut aller seul un soir au restaurant, moi je ne peux pas, à moins que de risquer : a) d'être critiquée, b) de me voir offrir une compagnie masculine dont je n’ai aucune envie, ou c) de faire pitié.
En discutant mon salaire, j’ai demandé le même salaire qu’un collègue masculin. Or, bien que nous ayons travaillé au théâtre durant le même nombre d'années, on m'a répondu qu’il devait gagner plus, parce qu'il était soutien de famille. Mais moi qui ai un enfant, une maison et des responsabilités, je n'entre pas dans cette catégorie. Parce que je suis une femme.


Les scènes de la vie conjugale ont été pour moi une occasion d’atteindre les autres. Tant de gens se sont, en effet, reconnus dans ce film, ne fût-ce qu'un  moment.
Le film traite de la communication, de la vie quotidienne avec un autre être humain, de la possibilité de voir les autres tels qu’ils sont, de distinguer les masques et les personnes réelles.
Aucun rapport humain n'est parfait.
Il n’y a pas de violons pour jouer lorsqu’un homme que j’aime m'embrasse. Le « happy ending » de Hollywood est un produit manufacturé qui n'a pas sa réplique dans la vie réelle. Un rêve trompeur, qui incite les gens à se laisser prendre toujours par de nouvelles rengaines. Bien convaincus que cette fois ils ont trouvé la « bonne ».
Quand Marianne et Johan divorcent, ils découvrent que les liens qui les unissent sont autrement plus forts que les simples liens du contrat de mariage. Ils savent qu'ils s'appartiennent l’un l’autre d’une manière indéfinissable, car en se libérant l’un de l’autre, ils ont appris quelque chose sur eux-mêmes et ils se connaissent mieux.
Ils ne sont pas parfaits. Leur amitié n’est pas parfaite. Ils ont de nombreuses blessures. Mais ils ont survécu.
Et ils se sont retrouvés, alors qu’ils croyaient que tout était terminé.
Marianne pense constamment à l’amour, s'inquiète de ne pouvoir le faire ressembler à l’idée qu’elle se fait de ce qu’il devrait être.
« Qu'est-ce que l'amour? »
« Ce que j’ai, est-ce cela l’amour? »
La fin du film apporte la réponse : c’est la tendresse qui existe entre eux — celle qu'ils ont maintenant l’un pour l'autre.
Dans un bonheur tout simple.



D'après Goethe, notre moi ne peut que déclarer son amour lorsque nous nous trouvons devant un être qui nous est supérieur.
Pour moi, cependant, les choses ne se passent pas du tout comme cela :
        Ingmar dans le hall de l’hôtel Pierre, un vague sourire sur les lèvres tandis qu'un garçon l'introduit dans l'ascenseur en s'inclinant;
        Linn, qui saisit ma main et m'interroge du regard pour savoir ce qu'elle doit faire;
        Un homme que j'aime, dont la voix s'étouffe en parlant et qui s'efforce de refouler les larmes qu’il ne veut pas me montrer;
        Maman, un soir de première, toutes voiles dehors et vulnérable dans son immense fierté, parce que incapable de comprendre que tout le monde n’est pas obligé de partager son enthousiasme pour le travail de sa fille;
        Ma meilleure amie, qui m'écrit une longue lettre pour parler de vétilles et mentionne en post-scriptum, comme en passant, que l'homme avec lequel elle a vécu de nombreuses années a subitement épousé quelqu’un d'autre.
Images d’êtres qui me sont chers, à des moments où je voudrais les embrasser, les abriter, les caresser et les remercier, parce qu'ils sont si totalement vulnérables. Ce sont ces images qui suscitent mon amour.


Certaines femmes seraient assurément plus heureuses en vivant seules, mais il leur semble qu’elles doivent absolument posséder quelqu’un, pour donner en quelque sorte la preuve de leur valeur.
Leur sentiment de solitude vient en fait d’un manque suscité par la société, qui les traite avec la condescendance que l'on éprouve pour celui qui a le mauvais rôle : elles n'ont pas trouvé de partenaire. Elles ne vivent pas « à deux ».
Je crois, personnellement, qu'il est parfois moins pénible de se réveiller seule et d’éprouver un sentiment de solitude parce que l’on est effectivement seule, que de se sentir seule alors qu'on se réveille à côté de quelqu'un d’autre.
Je voudrais qu'il soit possible pour deux êtres de se développer ensemble, côte à côte, et de s’apporter mutuellement de la joie. Sans qu'il faille toujours que l’un des deux soit réduit à néant pour que l'autre puisse rester fort.
La maturité ne consiste-t-elle pas, peut-être, à laisser les autres exister ?
A me laisser moi-même exister ?
« Personne ne sacrifiera son honneur à son amour », dit Helmer.
Et Nora lui répond : « Des millions de femmes l'ont fait. »



Ma vie a été remplie de tout ce qu'un être humain peut attendre - et bien plus même.
J’ai aimé et j'ai été aimée. J'ai connu la peine et le chagrin, mais aussi un bonheur bien plus grand que je ne le rêvais étant jeune fille.
Je n'ai jamais eu faim. Tout juste est-il arrivé, par-| fois, que je sois obligée de compter pour savoir si je pouvais m'offrir du beurre, plutôt que de la margarine.
Il m'arrive d'être heureuse, de me réveiller le matin et de sourire à un homme que je peux aimer en paix.
Je vis en permanence dans un état de changement, bien qu'au fond de moi je reste la « jeune fille qui refuse de mourir ».
Nous qui vivons présentement ne sommes qu'une infime partie de quelque chose qui a existé de toute éternité et qui continuera à exister quand il ne restera plus rien pour témoigner que la terre a existé. Pourtant nous devons sentir et croire que nous sommes tout.
Ceci est notre responsabilité — non seulement vis-à-vis de nous-mêmes, mais vis-à-vis de toute chose et de tout être avec qui nous partageons notre vie ici-bas.
Qu'est-ce que le changement ?
Est-ce quelque chose qui arrive en moi-même? Ou quelque chose dont l'expérience m’est fournie par les autres ?
Peut-être est-ce un mouvement conscient plus fort encore ? Et si oui, où mène-t-il ?
Quel est le résultat que je m'efforce d’obtenir?
Devenir le meilleur être humain possible? Ou la meilleure artiste ?
Que ferai-je du changement ?
Mais, peut-être, n’est-il pas si important de le savoir?         
Peut-être n'est-il pas si important d’arriver ?



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