samedi 12 novembre 2016

Sur le contrôle de nos vies – Noam Chomsky



Sur le contrôle de nos vies – Noam Chomsky


Dans le domaine politique, le slogan classique est “souveraineté populaire dans un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple”, mais la structure en place est bien différente. Selon la structure en place, le peuple est considéré comme un ennemi dangereux. Il doit être contrôlé pour son propre bien. Ce qui nous ramène des siècles en arrière, aux premières révolutions démocratiques modernes, dans l’Angleterre du XVIIe siècle et dans les colonies nord-américaines au siècle suivant. Dans les deux cas, les démocrates furent vaincus – pas complètement et certainement pas pour toujours, loin de là. Dans l’Angleterre du XVIIe siècle, une grande partie de la population ne voulait être gouvernée ni par un roi ni par un parlement. Ces deux-là sont, dans la version traditionnelle de la guerre civile, les deux adversaires ; mais, comme dans la plupart des guerres civiles, une bonne partie de la population les rejetait l’un comme l’autre. Ainsi que le montrent les pamphlets de l’époque, le peuple voulait être gouverné “par des gens de la campagne comme nous, qui connaissent nos aspirations” et non par “des chevaliers et des gentlemen qui nous font des lois, qui sont choisis par peur et ne font que nous opprimer, et ne connaissent rien des misères du peuple”.


Sautons les étapes pour arriver au vingtième siècle (je ne retiendrai ici que le côté prétendument démocrate ou progressiste de l’échiquier politique – c’est plus rude sur l’autre versant). Aujourd’hui les peuples sont considérés comme “des étrangers au système, ignorants et importuns”, dont le rôle est celui de “spectateurs” et non de “participants”, hormis en de périodiques occasions où ils ont le droit de choisir parmi les représentants du pouvoir privé4. C’est ce qu’on appelle les élections. Au cours des élections, l’opinion publique est considérée comme essentiellement négligeable si elle entre en conflit avec les exigences de la minorité des nantis qui possèdent le pays. Nous en avons en ce moment même, très concrètement, l’illustration sous les yeux.


Alan Greenspan a déclaré devant le Congrès qu’une “plus grande insécurité du travailleur” était un facteur important dans ce qu’on appelle “l’économie de contes de fées”. Elle maintient l’inflation à un bas niveau, les travailleurs n’osant pas réclamer d’augmentations et d’avantages sociaux. Ils sont en situation d’insécurité. Et cela se lit assez clairement dans les statistiques. Au cours des vingt-cinq dernières années, cette période de baisse forcée des prix, de crise de la démocratie, les salaires ont stagné ou diminué pour la majorité de la main d’oeuvre, pour les travailleurs de base, et les heures de travail ont très sévèrement augmenté – elles sont devenues dans notre pays les plus élevées du monde industriel – ce qui n’a pas échappé, bien sûr, à la presse d’affaires, qui décrit ce processus comme “un développement opportun d’une importance transcendante”, se félicitant de voir les travailleurs obligés d’abandonner leurs “modes de vie luxueux”, tandis que les profits des entreprises sont “éblouissants” et “prodigieux” ( Wall Street Journal, Business Week et Fortune).


Mais ce n’est pas comme ça que cela se passe. La dette inique est une arme de contrôle très puissante et on ne saurait l’abandonner. Grâce à elle, de nos jours, la politique économique nationale d’à peu près la moitié de la population mondiale est en fait dirigée par des bureaucrates à Washington. De même, la moitié de la population mondiale (pas la même moitié, mais les deux se chevauchent) est sujette à des sanctions unilatérales de la part des États-Unis, autre forme de coercition qui, une fois de plus, mine sévèrement la souveraineté, et qui fut condamnée de façon répétée, tout récemment encore, par les Nations unies comme inacceptable, mais sans que cela change quoi que ce soit.



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