vendredi 18 juillet 2025

Nuits sans nuit et quelques jours sans jour- Michel Leiris

Nuits sans nuit et quelques jours sans jour - Michel Leiris

 

6 JANVIER 1958


(vécu à Neuilly-sur-Seine )
Après l'anesthésie qu’exigeait une opération bénigne, je me retrouve dans mon lit de clinique et, tout d’abord, je crois ne pas l’avoir quitté. Quand, cette erreur rectifiée, j'essaie de récapituler tout ce qui s’est passé, je ressens un trouble profond car je ne découvre derrière moi aucune tranche — même abstraite — de durée qui réponde à l’épaisseur du temps écoulé, à mon insu, entre la soudaine plongée consécutive à la piqûre de penthotal et le réveil entre les murs de la chambre. Nul sommeil ne peut se comparer à un tel blanc ou plutôt un tel rien qui. à l’inverse du sommeil dont on sait toujours évaluer plus ou moins quelles en furent l’opacité et l’étendue, semble n’avoir pas existé : en un éclair, on est tombé dans l’indicible et l’on s’est relevé.

Assez longtemps me restera — comme une étrange lésion — pas même le vide, mais la faille sans mesure que représente ce vrai temps mort intercalé en coup de hache dans ce que j’ai vécu.

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