jeudi 17 juillet 2025

Notes pour comprendre le siècle - Pierre Drieu la Rochelle

Notes pour comprendre le siècle - Pierre Drieu la Rochelle


Ainsi donc, voilà l’homme de cette fin de siècle tel que l’a fait le rationalisme — et le romantisme qui n’est que le retournement du rationalisme contre soi-même. Symbolistes et naturalistes sont des romantiques. Des romantiques qui ont poussé à fond chacun une des deux tendances du romantisme, d’une part la mélancolie, le chagrin, le désespoir de l’âme destituée, séparée du corps, retournée sur elle-même, et d’autre part l’abandon du corps sans âme à soi-même dans l’infatuation, l’abus, puis la dégradation.
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 Le poète Mallarmé montre l’âme perdue, le romancier Zola montre le corps perdu et chacun ne croyant montrer que la perte de l’un montre la perte de l’autre.

Et ainsi se dénoncent les derniers effets du rationalisme : l’âme et le corps séparés s’en vont chacun à la dérive. Les excès du corps correspondent aux excès de l’âme. 

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 Zola croit que le réel, c’est le corps. Il décrit les mouvements du corps. Mais le corps qu’il voit, c’est le corps de l’homme des villes. Ce corps est une chose cachée, sournoise, difforme, convulsive, hideuse. C’est une chose que se disputent le travail mécanique et l’érotisme, l’amour de l’argent et l’alcool.

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 Fascisme, hitlérisme, totalitaires dépassent socialisme et nationalisme comme ils anéantissent capitalisme et libéralisme. L’action brise ces systèmes séparés, ces morphologies particulières : cela ne veut pas dire qu’elle n’en fait pas l’analyse et n’en restitue pas des éléments à nouveau viables. L’action brise les vieux enchaînements d’idées, elle libère ainsi mainte idée et cela d’autant mieux qu’elle brise et disperse les groupements d’hommes qui maintenaient la rigidité des idéologies.

—    Le totalitarisme offre les chances d’une double restauration corporelle et spirituelle à l’homme du xxe siècle, à cet homme qui exige son intégrité et qui l’impose aux conditions insuffisantes qu’il a trouvées.

—    Ce jeune ouvrier dont le corps a été restauré par le sport, l’entraînement athlétique et militaire, on ne peut le respecter dans son corps qu’en le respectant dans son âme. Il faut donc remanier à cet effet le mécanisme du profit. C’est ainsi que sport et athlétisme rendent concret le souci socialiste. Futuristes, nietzschéens annulent le socialisme abstrait de Marx et développent le problème en plein soleil.

—    La condition humaine ne souffre pas seulement du capitalisme, elle souffre du capitalisme dans son embrouillement avec le nationalisme. Ce n’est pas seulement l’abus du profit qui entrave et brise l’homme dans l’usine et le bureau, c’est la mauvaise répartition des matières premières et du travail entre nations. Ici le totalitarisme se heurte au nationalisme. Lui qui dépasse tout va se servir du nationalisme contre le nationalisme.

—    Le peuple allemand est le plus nombreux de beaucoup en Europe et le plus industriel ; il souffre donc plus que les autres peuples des mauvaises conditions de l’Europe écartelée entre vingt capitalismes nationaux. Le peuple allemand avec un rude orgueil prolétaire assume la revendication Des Français, les uns croyaient encore à la suffisance de cette mécanique par habitude, par ignorance, par sottise, les autres essayaient tant bien que mal d’en déprendre la France et de la relancer dans le grand battement de la révolution européenne. D’un côté, les apparences, les retards de l’expérience russe venaient flatter et prolonger les faux-fuyants du rationalisme français. De l’autre, l’amour-propre, une inhibition faussement patriotique empêchait l’esprit français de se mettre dans le nouveau battement de l’Europe.

— La France des scouts, des routiers, des skieurs n’était pas assez forte pour s’imposer à la France des assis, des pêcheurs à la ligne, des buveurs de pernods, des bavards de comités, de syndicats ou de salons. La France des militants déterminés d’extrême gauche ou d’extrême droite n’était pas assez forte pour s’imposer aux bavards conservateurs qui se nommaient encore sans honte modérés, radicaux ou socialistes.

La France qui avait lu Sorel, Barrés, Maurras, Péguy, Bernanos, Céline, Giono, Malraux, Petitjean n’était pas assez forte pour s’imposer à la France qui lisait A. France, Duhamel, Giraudoux, Mauriac, Maurois.

La France du Maroc, de l’Indochine, des aviateurs et des missionnaires ne pouvait s’imposer à la France des casaniers, des joueurs de belote et de boules, des ignorants de la géographie.

— La maçonnerie vétuste ; le catholicisme des évêques-préfets ânonnant un rationalisme plus bas que celui des professeurs en Sorbonne sous le nom usurpé de thomisme ou un radotage gâteux de vieilles filles sur le Sacré-Cœur ou le Cœur de Joseph ; la Légion d’honneur avec ses deux cent mille « membres » ; les sociétés de secours mutuel et de pompes funèbres qui portaient en terre à peine née la jeunesse intellectuelle...

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