vendredi 18 juillet 2025

Audre Lorde - New York

Audre Lorde - New York

Contrechant, Anthologie de poésie, editions les prouesses, 2023

I


Comment écrire le changement

comme des dessous publicitaires usés

avec une conserve vidée des significations d’hier

avec les noms d’hier ?

À quoi joue l’oiseau-nous qui a perdu ses je?

Il ne reste rien de beau dans les rues de cette ville.

j’en suis venue à croire à la mort et au renouveau par le feu.

Au-delà des interrogations sur les obligations du sang

sur ce qui fait que ce devrait être mon époque ou celle de mes enfants

qui verra trembler cette ville triste    pour renaître peut-être

noircie à nouveau mais déterminée cette fois;

lassée de cet éternel temps du passé des affirmations

et des répétitions des trips narcissiques dans un soi incomplet

là où il y a deux ans être fière sonnait comme une promesse maintenant

c’est l’heure des fruits et toutes les souffrances sont stériles

seuls les enfants poussent;

(...)

II

Je me cache derrière les immeubles et les métros

dans des ruelles fluorescentes        et regarde tandis que les flammes

arpentent l’autel de cet empire

font rage dans les veines de ce pot puant sacrificiel

étalé sur la côte est d’un continent fou

conçu dans le crépuscule psychique

de meurtriers et de pèlerins qui puent l’argent

et les cauchemars             et trop de gens inutiles

qui ne veulent ni se pousser ni mourir

qui ne peuvent pas plier         même devant les vents

de leur propre préservation même sous le poids

de leurs propres haines

Qui ne peuvent ni corriger ni concevoir

ni même apprendre à partager         leurs propres visions

qui posent des bombes dans des églises et réduisent les enfants en mortier

transforment des abats de plastique         et du métal et la chair

de leurs ennemis

en temples de métro aux heures de pointe 

où des prêtres obscènes 

se doigtent et s’adorent en secret.

Ils croient prier quand ils s'accroupissent

pour chier des galets de fric            moulés comme le cerveau de leurs

parents - 

eux qui existent            pour devenir poussière            pour exister à nouveau

plus bruts et plus enflés

et sans jamais céder ni espace

ni souffle ni énergie de leur magot privé,

Je n'ai pas besoin de faire la guerre ou la paix

avec ces diacres prétentieux et meurtriers

qui refusent de reconnaître leur rôle

dans cette alliance qui régit nos vies

et en sont venus à craindre et mépriser

jusqu’à leurs propres enfants ;

mais je nous condamne moi

et mes amours passées et présentes

et les enthousiasmes heureux de tous mes enfants

à cette ville sans raison ni futur

sans espoir pour qu’on nous éprouve

comme on éprouve l’acier neuf

avant de nous confier à l’abattoir.
J'arpente les membres faiblissants

de New York ma dernière maison délaissée

et il ne reste plus rien à sauver dans cette ville

que des voix lointaines et ténues comme des échos

d’enfants autrefois beaux.

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