Manuel d'instruction pour le vaisseau spacial Terre - Richard Buckminster Fuller
Je souhaite» avant tout» procéder à l'examen des réalités vitales» celles qu'il nous faut affronter dans le présent. Et» parmi celles-ci, le fait que la moitié de l'humanité doit subsister dans un état de pauvreté misérable1» condamnée prématurément, à moins que nous entreprenions la transformation globale de notre environnement. Expulser les pauvres de leurs taudis, remplacer ces derniers par des appartements de luxe si dispendieux que les anciens locataires ne peuvent même plus rêver à les occuper à nouveau, voilà ce que Ton ne peut pas nommer une «solution» à un problème Notre société se suffit souvent de tels palliatifs, tout à fait superficiels. Trop de gens sont encore prêts à se faire accroire que les problèmes sont résolus parce que l’on a déplacé et masqué les tares du passé. J’ai l'impression que si nos luttes d'aujourd'hui sont si vaines, c'est que, souvent, nous avons une approche économique erronée : nous estimons nos coûts a trop court terme. Partant, nous sommes ensuite débordes par les coûts inattendus provoqués par notre étroitesse d'esprit.
Il va de soi que nos échecs sont le résultat de nombreux facteurs. Il en est un, selon moi, qui a une importance plus grande que les autres: c'est celui de la spécialisation. En effet. la société fonctionne d'après la théorie admise que la clé du succès passe par la spécialisation, de telle sorte qu'il est impossible de comprendre que cette même spécialisation inhibe toute idée com-préhensive. Le résultat de ce malentendu implique que les avantages techno-économiques, intégrables théoriquement et que la société est en droit d'attendre de toutes ces spécialisations, ne sont jamais disponibles en pratique car personne ne s'entend à considérer ces spécialisations globalement et en fonction d'une intégration générale. Il n'y a qu'une exception à cet état de tait, hélas négative : la course aux armements ou l'obsession qu'ont les militaires du potentiel industriel.
La société prend pour acquis que la spécialisation est naturelle, inévitable, souhaitable même. Les universités elles-mêmes ont été progressivement organisées en fonction d'une course à là spécialisation de plus en plus pousse Pourtant, si nous observons un petit enfant, nous voyons qu’il s’intéresse à tout. Il veut percevoir, comprendre. Il coordonne spontanément un inventaire toujours croissant d’expériences. Allons dans un planétarium; les enfants forment un auditoire des plus enthousiastes!
Un des aspects de la nature humaine semble être celui de tout com-prendre et de tout mettre ensemble.
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La vérité est que la spécialisation n'est qu'une forme sophistiquée d'esclavage. La vérité est que l' <expert » est une dupe, des qu'il accepte cette mise en servitude contre l'illusion qu'il occupe, en retour de scs services, une si tuation permanente, en toute sécurité, à laquelle soin rattachés bénéfices et privilèges socio-culturels La vérité est que la grande doctrine generale concernant la sphéricité de la terre et la navigation stellaire demeurait Pet clusif privilège des Grands pirates, par opposition au concept d'un monde plan à quatre coins et à un savoir réduit aux limites de l'empire ou du royaume, ce savoir dont les limites étaient celles même des préoccupations locales du royaume. !
La connaissance du monde et de ses ressources restai la propriété exclusive des Grands pirates, de même que les arts de la navigation, la construction et le pilotage de bateaux, les grandes stratégies logistiques, le jeu des balances commerciales et des opérations de change internationales. Tout cela échappait a l'attention des Nations qui n’en voyaient que l'illusion trompeuse. Ainsi, tell une «banque» dans le jargon d'une maison de jeu, meilleur des pirates gagnait toujours quand il jouait.
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Quand vint le tour de Karl Marx, ce grand idéologue pragmatique, il récupéra la théorie, de Darwin et de Malthus, de l'entropie pour affirmer: «Eh bien! les travailleurs sont donc les mieux adaptés, car ils sont les seuls à savoir comment produire les biens matériels: c’est donc eux qui doivent survivre». Ainsi commença la grande «lutte des classes». En réalité, toutes nos idéologies actuelles se situent à un point quelconque entre celles des Grands pirates et celles des marxistes. Toutes, cependant, présupposent que le globe ne possède pas assez de ressources pour satisfaire tout le monde. Ce fut aussi l'hypothèse de travail sur laquelle se sont appuyés tous les États souverains pour justifier leurs revendications sur des territoires toujours plus vastes. Le capitalisme et le socialisme sont morts tous les deux. Et pourquoi? Tout simplement parce que la science démontre maintenant que le globe possède assez de ressources pour satisfaire tout le monde, à condition que soient abolies les frontières. Les principales théories du genre « toi-ou-moi, pas-assez-pour-nous-deux, donc-un-doit-mourir », sont choses du passé.
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Le mémoire en anthropologie examinait le dossier historique de toutes les sociétés humaines tribales connues qui avaient disparu. Quant au mémoire en biologie, il faisait rapport de tous les cas de disparition d'espèces biologiques connues. Les deux savants tentaient de découvrir quelles étaient les raisons de ces « extinctions ». Tous les deux en décelèrent une dont on découvrit qu'elle était identique quand on fit, par accident, le rapprochement entre les deux travaux.
Dans les deux cas, les causes d'extinction étaient dues a une spécialisation excessive.
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La sélection génétique et la spécialisation se sont toujours au détriment de cette adaptabilité générale.
II existe une loi énergétique dans l’univers selon laquelle les phénomènes de grande dimension, tels les tremblements de terre, ont une fréquence moindre, considéré une région précise, que les phénomènes impliquant petites quantités d’énergie.
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Avec un ensemble partait, les chefs politiques durent s'engager à ne défendre et à n'avantager que les intérêts de leurs propres pays. Tous croyaient à la validité du concept de Malthus et de Darwin du « toi-ou-moi-dans-une-lutte-à-mort ». Ce fut sous le couvert du postulat «qu'il ne peut y en avoir suffisamment pour tout le monde » que les chefs politiques les plus agressifs exercèrent leur pouvoir dans le but de mener leur peuple à la guerre. C'était une façon de dominer le monde et de se débarrasser d'un excédent insupportable de population par les biais de l'extermination et de la famine, formules mortelles et séculaires imposées par les ignorants. Toutes les sociétés du monde allèrent dès lors en se spécialisant, que cela soit sous un régime fasciste, communiste ou capitaliste. En fait, toutes les grandes idéologies prenaient pour acquis l’imminence d'un Armageddon. la bataille apocalyptique qui mettrait fin à l'histoire.
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C'est pourquoi, en 1946, nous étions sur la.voie rapide qui mène à l'extinction, malgré la création de l’Organisation des Nations Unies en faveur de laquelle les membres refusèrent d’ailleurs d’abdiquer tous les pouvoirs exclusifs aux pays souverains. Soudain, bien qu'on ne le reconnut pas pour tel quand il fit son apparition, survint l'anticorps évolutif capable de s’opposer à l'extinction de la race humaine condamnée par sa spécialisation.
Ce fut l'ordinateur. Avec son automation commandée par com-préhension. il rendait l’homme désuet en tant que spécialiste de la gestion et de la production matérielle. Il était temps. En tant que super-spécialiste, l’ordinateur peut s’occuper, jour après jour, jour après nuit, à distinguer le rose du bleu et ce à des vitesses surhumaines. Il peut aussi travailler dans des conditions de chaleur ou de froid extrêmes qui tueraient l’homme. L’homme, en tant que spécialiste, se fera complètement éliminer par l'ordinateur. Ainsi, l’homme est force de rétablir en lui sa fonction innée de com-préhension, de l’apprécier et d’en faire usage.
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Il ne faudrait pas oublier de plus que la validité de la richesse de notre milliardaire naufragé remonte à la validité «divine» de la force et de la ruse qui s'emparèrent des terres grâce aux armes pour y établir leur souveraineté. Ces terres turent par la suite transmises légalement et devinrent des propriétés «légales» protégées par les lois et les armées des nations souveraines. Ces propriétés furent éventuellement transformées en actions boursières de corporations à responsabilité limitée qu'on imprima sur du papier.
Nous sommes à la recherche de la procédure qui soit celle de la vraie démocratie. La demi-démocratie accepte la dictature de la majorité avec ses lois arbitraires et partant non naturelles. La vraie démocratie, par un long travail d’expérimentation et son exigence d’un accord unanime, découvre quelles sont les lois de la nature et de l’univers qui assurent le maintien physique cl la satisfaction métaphysique de la fonction de l'intelligence humaine dans l'univers.
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Nous approchons du but. En autant que nous en savons de plus en plus sur notre vaisseau «Terre», son vaisseau de ravitaillement en radiations, le Soleil, et sur son <<alternateur>> gravitationnel, la Lune (ces deux derniers corps constituant ensemble le mécanisme de génération et de régénération du système d'entretien de la vie sur terre ), je dois ajouter que nous ne serons capables d'entretenir la vie que si nous réussissons à emprisonner sur terre plus d'énergie rayonnante du soleil que nous en perdons par réfléchissement et dissipation. Nous pourrions bien sûr utiliser notre vaisseau lui-même comme carburant pour obtenir de l'énergie, mais cela ne nous laisserait pas grand avenir. Notre véhicule spatial est semblable à un enfant. C'est un agrégat en voie de complexification, compose de processus physiques et métaphysiques et non pas un cadavre en voie de décomposition, en tram de s'effriter.
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Après avoir compris que l'ignorance de la société en ce qui concerne la vraie richesse est un facteur majeur de frustration dans la planification efficace de la vie, et après avoir compris le vrai sens de la richesse ( sur lequel nous sommes tous d’accord et sur lequel nous apporterons plus de précision un peu plus loin ), nous nous attaquerons maintenant à la prochaine étape de la survie totale de l'humanité, de sa prospérité, de son bonheur et de son inspiration régénératrice à l'aide de l'outil fabuleux de solution qu'est la théorie des systèmes généraux alliée à la stratégie informatique ( la cybernétique ) et à la synergétique Cette dernière est capable de résoudre des problèmes en prenant pour point de départ les comportements connus de systèmes entiers et les comportements connus de certaines parties de ces systèmes ; à partir de ces informations, il est possible de découvrir les autres parties du système et de spécifier leur comportement, comme, par exemple, en géométrie où la somme connue des angles d'un triangle ( 180 degrés ) et le comportement connu de deux côtés et de l’angle qu’ils forment nous permettent de découvrir les valeurs précises ‘ des trois autres parties.
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En déclarant que l'univers physique est entièrement de l'énergie et en symbolisant eette dernière par E. Einstein formula sa célébré équation E = Mc² (la masse de la matière» expliquée en termes de e2 - la vitesse d’expansion, sans obstacles et dans le vide, d'une onde om-nidirectionnelle). L’hypothèse générale d'Einstein selon laquelle l’énergie est de la matière et l'énergie est une radiation fut prouvée de façon explicite par la fission qui démontra que la matière et les radiations étaient deux covariables interchangeables.
Les physiciens découvrirent aussi expérimentalement que l'énergie ne peut ni se perdre ni se créer. Il existe une quantité finie d'énergie qui peut être infiniment conservée. Cette découverte expérimentale de certaines données fondamentales de l'univers physique contredit les conceptions des cosmologues, des cosmogomstes et des économistes du début du XX* siècle, avant que ne fut mesurée la vitesse de la lumière.
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la richesse, c'est de l'anti-entropie à un degré fabuleux de concentration. La différence entre la conscience (mind) et le cerveau (brain ) se résume à ceci : le cerveau ne s'occupe que d'expériences objectives, ou d'événements précis, mémorises et subjectifs, tandis que la conscience en extrait les principes généraux qu'elle utilise en les intégrant et les interreliant. Le cerveau ne traite exclusivement que du physique, la conscience, que du métaphysique. La richesse est le résultat de la maîtrise de plus en plus grande de la conscience sur la matière; c'est la quantité précise, en journées humaines futures, d'avantages établis de régénération métabolique, traduits en heures de vie disponibles pour un nombre précis d'individus libérés de l'esclavage entropique de certaines tâches laborieuses et libres dorénavant d'investir ce temps, de façon à la fois individuelle et cooperative, dans des activités anti-entropiques.
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Nous donnons une valeur intrinsèque aux objets matériels à laquelle nous ajoutons les coûts de fabrication, c'est-à-dire l'énergie, le travail, les Irais généraux et la marge de profil. Nous dévaluons ensuite le chiffre obtenu en postulant une rapide obsolescence de la valeur du produit. À l’exception de droits ou de royautés minuscules, qu’on s'arrange généralement pour n’avoir pas à payer, on ne donne aucune valeur à l' invention elle-même ou aux avantages synergétiques qu’un produit entraîne chez un autre grâce à leur complémentarité dans un travail d'équipe qui décuple leurs avantages, comme par exemple l'invention de certains alliages a permis les foreuses de puits de pétrole.
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Le mérite de l'homme est d'avoir décentralise ses fonctions individuelles, intégrales, en un réseau mondial d'outils complexes, lesquels constituent ce que nous appelons l'industrialisation mondiale.
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Ainsi l'homme avait développé un organisme extériorisé de régénération métabolique impliquant tout le vaisseau spatial «Terre» et toutes ses ressources. N'importe quel être humain peut utiliser physiquement cet organisme alors qu'un seul humain à la fois peut utiliser un outil d'artisanat intégré à l'organisme. 91 des 92 cléments chimiques découverts jusqu'à maintenant à bord du vaisseau spatial sont complètement impliqués dans le réseau industriel tout autour du globe. Toute la famille des éléments chimiques est inégalement distribuée, c’est pourquoi toute notre planète s'occupe sans arrêt à intégrer industriellement les comportements physiques uniques de chacun des éléments.
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