La vitesse des choses –
Rodrigo Fresán
Je regarde les fêtes
comme si c’étaient des tableaux. Je les regarde et les fixe sur le négatif
inversé de ma rétine fatiguée.
Le suicidaire effraie parce qu’il ne craint pas
la mort, mais la vie, et qu’en quelque sorte, il est tout à fait logique de
penser ainsi.
En mourant, le suicidaire ne fait que nous rappeler l’absurdité de
l’erreur dans laquelle nous vivons.
Lorsqu'on fait la
connaissance d’une personne dont on se doute qu’elle deviendra spéciale, on
commet toujours l’erreur de lui montrer les chambres mal ventilées de son passé
au lieu de commencer la visite guidée par les portes aux gonds bien huilés du
présent, celles qui donnent sur un éventuel avenir en commun. Nous sommes plus
sûrs de ce qui nous est arrivé que de ce qui nous arrive et - nous sentant plus
confiants dans le souvenir de l’inaltérable, dans la grâce supposée de nos greatest hits anecdotiques —, nous
perdons du temps à marcher à reculons et à teindre en sépia les couleurs
brillantes d’ici et de maintenant.
Pour l'essentiel, les photos sont des formes socialement acceptées du
mensonge. Ce qu’elles montrent n’a jamais été, bien qu’il se présente à nous
comme étant rigoureusement vrai. Quelqu’un nous demande de sourire, de prendre
la pose, de regarder l’objectif et d’offrir une seconde de notre vie à la
postérité. Mais il s’agit d’une seconde artificielle qui ne reflète en aucun
cas la vérité.
Pour moi, l’acte de
regretter équivalait à cette espèce de spectre qui apparaît sur le papier peint
lorsqu’on décroche un tableau resté là pendant des années. La mémoire
considérée comme la silhouette d’un vide délimitant parfaitement l’endroit où
ce qui n’est plus a existé un jour. Le souvenir de ce qui a cessé de faire
partie de ce monde triomphe sur le souvenir de ce qui a été. Évoquer par
omission, par amnésie sélective. J’ai lu quelque part que les gens ayant une
excellente mémoire perdent le plaisir du doux châtiment qui consiste à se rappeler, car ils n’ont
jamais fréquenté les vertus du verbe oublier.
Rendez votre vie réelle
! Nous racontons et vivons des histoires pour nous assurer que nous sommes
vivants. Nous racontons et vivons des histoires parce que nous vivons dans des
histoires. Le genre d histoires que les gens changent en vies ; le genre de
vies que les gens changent en histoires. Ou nos vies deviennent des histoires,
ou il ne sera pas possible de leur donner un sens. La vie n’existe pas par
elle-même, car si elle n’est pas contée, elle est juste quelque chose qui se
passe, rien de plus. Les histoires n’arrivent qu’à ceux qui peuvent les
raconter. Nous devenons les histoires que nous racontons sur nous-mêmes. Mais
ceci est également vrai : les histoires peuvent nous sauver. Et, à la fin, les
histoires sont tout ce qui reste de nous.
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