samedi 28 novembre 2015

La fête de l’insignifiance – Milan Kundera



La fête de l’insignifiance – Milan Kundera

Plus que l'inutilité. La nocivité. Quand un type brillant essaie de séduire une femme, celle-ci a l'impression d'entrer en compétition. Elle se sent obligée de briller elle aussi. De ne pas se donner sans résistance. Alors que l'insignifiance la libère. L'affranchit des précautions. N'exige aucune présence d'esprit. La rend insouciante et, partant, plus facilement accessible.


Bien sûr », dit Charles et il reposa le livre sur la table : « Car personne autour de lui ne savait plus ce que c'est qu'une blague. Et c'est par cela, à mes yeux, qu'une nouvelle grande période de l'Histoire annonçait sa venue. »



les morts deviennent des vieux morts, personne ne se souvient plus d'eux et ils disparaissent dans le néant


Ils sont devenus célèbres grâce à leurs ambitions, leur vanité, leurs mensonges, leur cruauté. Kalinine est le seul dont le nom restera dans la mémoire en souvenir d'une souffrance que chaque être humain a connue, en souvenir d'un combat désespéré qui n'a causé de malheur à personne sauf à lui-même. »


Je me répète ? Je commence ce chapitre par les mêmes mots que j'ai employés au tout début de ce roman? Je le sais. Mais même si j'ai déjà parlé de la passion d'Alain pour l'énigme du nombril, je ne veux pas cacher que cette énigme le préoccupe toujours, comme vous êtes vous aussi préoccupés pendant des mois, sinon des années, par les mêmes problèmes (certainement beaucoup plus nuls que celui qui obsède Alain).


Quand elle est sortie de la voiture, l'avenir n'existait plus. Elle n'avait rien à cacher. Tandis que maintenant, soudain, il faut tout cacher.


Celui qui a voulu lui imposer la vie est mort noyé. Et celui qu'elle voulait tuer dans son ventre reste vivant. L'idée du suicide est radiée à jamais.


Se sentir ou ne pas se sentir coupable. Je pense que tout est là. La vie est une lutte de tous contre tous. C'est connu. Mais comment cette lutte se déroule-t-elle dans une société plus ou moins civilisée? Les gens ne peuvent pas se ruer les uns sur les autres dès qu'ils s'aperçoivent. Au lieu de cela, ils essaient de jeter sur autrui l'opprobre de la culpabilité. Gagnera qui réussira à rendre l'autre coupable. Perdra qui avouera sa faute. Tu vas dans la rue, plongé dans tes pensées. Venant vers toi, une fille, comme si elle était seule au monde, sans regarder ni à gauche ni à droite, marche droit devant elle. Vous vous bousculez. Et voilà le moment de vérité. Qui va engueuler l'autre, et qui va s'excuser ? C'est une situation modèle : en réalité, chacun des deux est à la fois le bousculé et le bousculant.


Il est aussi recommandable, pour le naturel de la parole, d'imaginer derrière ces sons absurdes une construction grammaticale et de savoir quel mot est un verbe et lequel est un substantif.


: « L'être humain n'est que solitude.
—  Oh, comme c'est juste! s'écria la jeune D'Ardelo.
—  Une solitude entourée de solitudes », ajouta La Franck



Nous avons compris depuis longtemps qu'il n'était plus possible de renverser ce monde, ni de le remodeler, ni d'arrêter sa malheureuse course en avant. Il n'y avait qu'une seule résistance possible : ne pas le prendre au sérieux. Mais je constate que nos blagues ont perdu leur pouvoir.


Kalinine n'en sait rien. Ainsi, selon sa vieille habitude, rasé par leur ignorance, Staline répond lui-même :
« L'idée la plus importante de Kant, camarades, c'est la "chose en soi", ce qui se dit en allemand : "Ding an sich". Kant pensait que derrière nos représentations se trouve une chose objective, un "Ding", que nous ne pouvons pas connaître mais qui, pourtant, est réelle. Mais cette idée est fausse. Il n'y a rien de réel derrière nos représentations, aucune "chose en soi", aucun "Ding an sich". »


« La grande idée de Schopenhauer, camarades, c'est que le monde n'est que représentation et volonté. Cela veut dire que derrière le monde tel que nous le voyons il n'y a rien d'objectif, aucun "Ding an sich", et que, pour faire exister cette représentation, pour la rendre réelle, il doit y avoir une volonté ; une volonté énorme qui l'imposera. »

Timidement, Jdanov proteste : « Josef, le monde comme représentation! Toute ta vie tu nous as obligés à affirmer que c'était un mensonge de la philosophie idéaliste de la classe bourgeoise ! »
Staline : « Quelle est, camarade Jdanov, la première propriété d'une volonté? »
Jdanov se tait et Staline répond : « Sa liberté. Elle peut affirmer ce qu'elle veut. Passons. La vraie question est celle-ci : Il y a autant de représentations du monde qu'il y a de personnes sur la planète ; cela crée inévitablement du chaos ; comment mettre de l'ordre dans ce chaos? La réponse est claire : En imposant à tout le monde une seule représentation. Et l'on ne peut l'imposer que par une seule volonté, une seule immense volonté, une volonté au-dessus de toutes les volontés. Ce que j'ai fait, autant que mes forces me l'ont permis. Et je vous assure que sous l'emprise d'une grande volonté les gens finissent par croire n'importe quoi ! Oh, camarades, n'importe quoi ! » Et Staline rit, avec du bonheur dans la voix.



« Mais qu'est-ce que l'humanité ? Ce n'est rien d'objectif, ce n'est que ma représentation subjective, à savoir : c'est ce que j'ai pu voir autour de moi de mes propres yeux. Et qu'est-ce que j'ai vu tout le temps de mes propres yeux, camarades? Je vous ai vus, vous! »


Alain continua : « Chacun de ces quatre lieux d'or représente un message érotique. Et je me demande quel est le message érotique dont nous parle le nombril. » Après une pause : « Une chose est évidente : contrairement aux cuisses, aux fesses, aux seins, le nombril ne dit rien de la femme qui le porte, il parle de quelque chose qui n'est pas cette femme.



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