jeudi 19 novembre 2015

Les livres qui prennent soin de nous – Régine Detambel



Les livres qui prennent soin de nous – Régine Detambel

A ceux qui s’enlisent dans une période de déprime, le Dr Maurice Corcos conseille de lire Les Nourritures terrestres d’André Gide, pour ses accents solaires et hédonistes, ou, à l’inverse, le bouleversant Face aux ténèbres de l’Américain William Styron, afin d’apprendre à connaître les aspects de la plongée dépressive de l’être qu’on accompagne.

Quel psychologue ardent osera conseiller en cas d'asthénie la merveilleuse folie de Marina Tsvetaïeva, qui s’était soignée toute sa vie aux vapeurs de la poésie, et avait bien pressenti son purgatoire : “A quoi sert tout mon travail de vingt ans, toute ma vie ?—A amuser les bien-portants qui s’en passent” ?

Le livre est ce lieu psychique qu’on appelle “espace transitionnel” (D. W. Winnicott), où se jouent les échanges entre le monde psychique (le for intérieur) et le monde extérieur. C’est pourquoi le rôle de la lecture en milieu hospitalier ou auprès de groupes sociaux en difficulté (détenus, alcooliques, drogués en réinsertion, sujets âgés ou handicapés chez qui l’on porte des documents à domicile...) est fondamental.

Après des heures de somnolence sur son sofa, à cause de la fièvre, l’hiver 1904, Kafka dolent écrivit pourtant à son ami Oskar Pollak : “On ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? Pour qu'il nous rende heureux, comme tu l’écris ? Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions à la rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous (...) — un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois.”

L’effort de lecture est signe de guérison. Elle n’est pas seulement demande d’évasion et d’oubli, clic réclame, elle exige la saine présence du lecteur. Si l’imaginaire est resté là-bas, avec le mort ou l’absent, il n'y a plus de lecture. Voilà ce que j’ai cru comprendre. J’aime lire ne veut rien dire. J’aime vivre dans les livres est sûrement ce qui se rapproche le plus de la vérité.

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