Les livres qui prennent
soin de nous – Régine Detambel
A ceux qui s’enlisent
dans une période de déprime, le Dr Maurice Corcos conseille de lire Les Nourritures terrestres d’André
Gide, pour ses accents solaires et hédonistes, ou, à l’inverse, le bouleversant
Face aux ténèbres de
l’Américain William Styron, afin d’apprendre à connaître les aspects de la
plongée dépressive de l’être qu’on accompagne.
Quel psychologue ardent
osera conseiller en cas d'asthénie la merveilleuse folie de Marina Tsvetaïeva,
qui s’était soignée toute sa vie aux vapeurs de la poésie, et avait bien
pressenti son purgatoire : “A quoi sert tout mon travail de vingt ans, toute ma
vie ?—A amuser les bien-portants qui s’en passent” ?
Le livre est ce
lieu psychique qu’on appelle “espace transitionnel” (D. W. Winnicott),
où se jouent les échanges entre le monde psychique (le for intérieur) et le
monde extérieur. C’est pourquoi le rôle de la lecture en milieu hospitalier ou
auprès de groupes sociaux en difficulté (détenus, alcooliques, drogués en
réinsertion, sujets âgés ou handicapés chez qui l’on porte des documents à
domicile...) est fondamental.
Après des heures de somnolence sur son sofa, à cause de la fièvre, l’hiver
1904, Kafka dolent écrivit pourtant à son ami Oskar Pollak : “On ne devrait
lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous
lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire
? Pour qu'il nous rende heureux, comme tu l’écris ? Mon Dieu, nous serions tout
aussi heureux si nous n’avions pas de livres, et des livres qui nous rendent
heureux, nous pourrions à la rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche, nous
avons besoin de livres qui agissent sur nous (...) — un livre doit être la
hache pour la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois.”
L’effort
de lecture est signe de guérison. Elle n’est pas seulement demande d’évasion et
d’oubli, clic réclame, elle exige la saine présence du lecteur. Si l’imaginaire
est resté là-bas, avec le mort ou l’absent, il n'y a plus de lecture. Voilà ce
que j’ai cru comprendre. J’aime lire ne veut rien dire. J’aime vivre dans les
livres est sûrement ce qui se rapproche le plus de la vérité.
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