mercredi 15 avril 2015

Sayat Nova - Odes Arméniennes

Odes Arméniennes 




Ode n°2  - Que je meure pour toi (1752)

Ne trouble pas ton esprit, point de soucis, ma vie, mon cœur !
Mieux vivre aveugle et sourd que de voir ton visage en pleurs.

Que le soleil ne brille plus, et que la lune devienne noire.
Mieux rendre l’âme avant de te voir vêtue d’un voile noir.

Tu mènes une vie dangereuse, mais, moi, je mourrai avec toi.
Apres nous le monde aura faim, du pain, on n’en aura point.

Si je ne viens pas te voir et te rencontrer ; tu me blâmes.
Mais mieux, ni venir, ni parler, ni te voir la tristesse dans l’âme.

Que Dieu souffle en toi le Saint-Esprit, que tu aies communié.
Que Sayat-Nova meure plus tôt, pour ne pas te voir chagrinée.

Ode n°5 – Moi, comme un rossignol errant

Moi, comme un rossignol errant,
Toi, telle une cage d’or aux oiseaux,
Passe ! Foule sous tes pieds mon visage,
Tel un simple tapis de passage.
Ma mie, pour te parler, à toi,
C’est comme faire supplique au Roi.
Ton beau visage est sans pareil,
Tu es comme une rose, rougeoyant.

Dès que tu viens au beau jardin,
Mes yeux sont tout émerveillés.
Ta lueur seule est un soleil,
Celui qui voit est stupéfié.
Mon cœur est feu incandescent,
Tu me brûles et je me consume.
Aucune, parmi les plus Belles Dames,
N’eut à mes yeux autant de charmes.

Comme ton esclave accepte-moi,
Serf, si chèrement acheté.
Près de ton seuil, toujours – je suis
Ton captif pour ceux qui me voient.
De ton amour – malade je suis,
Je ne meurs pas, point je ne vis.
Je fulmine, la mer en furie,
Comme le fleuve Araxe, fou je suis.

On est fou du grain de beauté,
Posé sur ton visage d’éclat.
La perte sera encore pour toi ;
La colère habite ton discours.
Puisque ta parole a toujours
La force et la puissance royale.

Je pleure, a dit Sayat-Nova,
Puisque mon remède n’existe pas.
La tristesse restera pour moi,
Le chagrin, suis seul à porter.
Ma mie, tel serait mon vouloir :
Avec moi, pouvoir t’emmener
A des festins, comme lyre dorée.


Ode n°19 – ta grâce m’occit

Ta chevelure, fils de soie,
Ressemble au basilic perlé.
Tes sourcils sont si dessinés,
Tes attraits signent ta beauté.
Tes dents blanches sont des perles ;
Et ton teint émerveille.
Que je meure et que tu vives,
Ton amour devient ma tombe.
Tes appas ravissent ma vie,
N’éblouis pas, ta grâce m’occit.

Si le Rossignol est trompé,
La Rose mérite ses épines.
Si tu aimes quelqu’un plus que nous
Que Dieu châtie alors ce mal.
Deux années se sont écoulées,
Nostalgique, fus de ton visage.
Que je meure et que tu vives,
Ton amour devient ma tombe.
Tes appas ravissent ma vie,
N’éblouis pas, ta grâce m’occit.

Puis la Rose rouge s’est flétrie ;
Plus le Rossignol au pourpris*.
Et tu rendis mon cœur meurtri,
Lentement, je me consume.
Ton amour, malade me rendit,
Très affaibli, je garde  le lit.
Que je meure et que tu vives,
Ta beauté devient ma tombe.
Tes appas ravissent ma vie,
N’éblouis pas, ta grâce m’occit.

Tel Medjnoun, dans les montagnes,
– aucune nouvelle de Leïla.
De l’amour, mon cœur incendie,
– impossible de le calmer.
Dieu m’est témoin, je n’ai vraiment
Aucun autre amour, que toi.
Que je meure et que tu vives,
Ton amour devient ma tombe.
 Tes appas ravissent ma vie,
N’éblouis pas, ta grâce m’occit.

Et Sayat-Nova ajouta :
Cruelle, le sang coule de mon œil.
O immature fils d’Adam,
Maudite soit ta confiance ?
Vite oubliée, – e ta promesse,
Où son passés tes trente ans ?
 Que je meure et que tu vives,
Ton amour devient ma tombe.
Tes appas ravissent ma vie,
N’éblouis pas, ta grâce m’occit.

*roseraie aux roses pourpres

Ode n°28 – L’or jeté au brasier (6 septembre 1758)
Je deviens fou de ton amour. Viens, tue ! le bourreau, c’est toi.
Ne m’occis pas de nostalgie, la pudeur de mon cœur, c’est toi.
Faite dans les ateliers royaux, la robe d’honneur, c’est toi.
L’Inde, l’Arabie, le village Qalat du Khorassant, c’est toi.

Ton visage lumineux rougit, comme l’or jeté au brasier.
C’est pour cela, celui qui te voit, perd le sens des mesures.
Qui ne t’a pas vue veut te voir, qui te voit est mortifié.
C’est toi, au visage de parchemin, aux enluminures.

Face à l’attente, impuissants, de ton amour, beaucoup meurent,
Ouverte une fois par an, – l’objet rare du marché de Delhi.
 Il se lassera point de te voir, pour ton maitre*, quel bonheur.
C’est toi, en été et en hiver, la roseraie fleurie.

Louanges au bon peintre, qui pourra dessiner tes traits fins ?
Ses efforts sont dérisoires, pour peindre tes yeux et ton front ?
Pour cette raison, ton eau, on la boirait sans soif et sans fin.
C’est toi, l’eau sucrée, gardée dans du verre de Chiraz en flacon.

T’avoir comme Dame de cœur, quel bonheur pour ton damoiseau.
Il n’a pas rencontré l’amie rouée, il vit en confiance.
Tu vis. Donc, quelle souffrance pourra toucher Sayat-Nova ?
C’est toi, le château aux salles voutées, aux vitraux.
·         mari

Ode N°29 – Moi, par les eaux, emporté (1759)

Mon amie adorée et moi, même années fûmes portés.
Sachez que le sang de mon cœur, de soupirer, il s’épaissit.
Sachez que mon cœur brûle, le jour, la nuit, pour l’amour de ma mie.
L’œil humide, bouche séchée, langue toujours écorchée, sachez-le.

Et à cause des parjures, mon cœur s’affaiblit, des blessures.
Esprit et pensées se troublèrent afin d’écrire d’ambigus vers.
A force de languir de l’Amie, mes yeux perdirent leur lumière.
Je n’ai aucun espoir de vivre. Ainsi, s’achèvent mes jours, sachez-le.

Cramoisi, consumé, j’erre, et nul endroit, pour m’éteindre.
Malgré les splendeurs de ma langue, mon chagrin est indicible.
Hélas ! mille lourds dommages, tant de souffrances, de malheurs.
Esprit aveuglé par l’amour ! moi, par les eaux, emporté, sachez-le.

Noir est mon cœur, tout endeuillé, mes yeux rougis ont tant pleuré,
Tombé à la mer telle la nuée, poitrine et col sont trempés.
Ma plaie s’ouvre davantage, tant je désire y remédier.
Exsangue, je suis fondu, séparé de ma mie, sachez-le.

Et ceux qui me croisent disent : « Quelle souffrance, Sayat-Nova !
Garderas-tu toujours les yeux ensanglantés, Sayat-Nova ?
Pourquoi n’as-tu donc pas rencontré une gentille amie ? »
Comme un rêve, ma vie passa, mon arbre, sans fruit resta, sachez-le.

Ode n°31 – Mouvements (fin mars 1759)

Ton portait, l’œuvre d’un pinceau, et de mille feux, tu brilles.
Les grains de beauté de ta face, tes longs cheveux les voilent.
Rose rouge, épanouie avec le Rossignol, tu chantes.
Tes lèvres étincellent avec tes dents resplendissantes.

Ton visage se transfigure comme la lune nouvelle.
Inutile de la mouiller, ta chevelure ondule.
Et pour cette raison, il perd son chemin, celui qui te voit.
Quand tu viens au festin, avec ta voix tu apportes la joie.

Des villes et des villages, l’on vient admirer ta beauté.
Tu es le remède immortel, pour celui qui est mourant.
Tel chuchotis des fils d’argent, tintent tes moindres mouvements.
As-tu besoin d’un qamantcha* ? Tes effets font la musique.

Ta poitrine est un bouquet : roses, jacinthes, violettes.
Que fera ton époux d’un jardin ? Enivrant est ton parfum,
Quand le vent passe, tes cheveux gonflent comme une voile.
Le monde est une mer, tu y tangues, mon beau voilier.

Toutes les louanges de monde pour toi ne suffiront pas.
Nénuphar, violette ouverte dans le pré, nymphéa.
Comment résisterai-je ? Que l’eau t’emporte, Sayat-Nova !
Tu l’ensorcelles de tes sortilèges, celui qui te revoit.
·         Instrument de musique

Ode n°40 – chagrin et désespoir (1759)
Ton cœur qui créa-t-il ? il s’inclina, du soutien, dépité,
Même si on est enivré, à la vigne doit-on en vouloir ?
Ma mie, qu’ai-je donc fait, pourquoi t’en prendre à notre histoire ?
Passé au tamis de ton amour, à moi d’en être dépité !

Depuis que je suis loin de toi, mon corps est sans vitalité.
Esprit, pensées, épris de toi, et mes mains sont sans ouvrage.
De nulle caravane, ne me semble-t-il, la Ville n’a vu le passage.
Je reste assis comme un douanier, du profit, tout dépité.

Peut-être l’amour est-il brisé, pour qu’il désire nous détester.
Ma mie veut me conseiller, comme l’on fait à l’enfant de quatre ans.
Poignard d’amour à la main, elle veut tailler en mon cœur sanglant.
Beaucoup sont en pleurs, de charmes de la Belle, dépités.

L’heure hivernale est passée, les cyprès veulent s’animer.
Le rossignol se hâte de venir, – Ô frissons printaniers !
Sayat-Nova, sans amie, veut fondre en larmes ; cou penché.
Tel un roi, sans sa garde, assis, de ses richesses, dépité.

Ode n°41 – Las je suis (avril 1759)

Une fenêtre est ce monde,
Des ces fenêtres las je suis.
A regarder on s’y désole,
De ces blessures las je suis.
Hier fut meilleur qu’aujourd’hui,
Et des lendemains las je suis.
Peut-on toujours rester ainsi ?
Des chants et des vers, las je suis.

Instable est la fortune,
Puisqu’elle suit la richesse.
En homme de bien il vivra,
Qui gardera sa propre foi.
Les philosophes l’affirment :
« nul n’est éternel ici-bas ».
Je veux l’envol du rossignol,
Et de ces jardins, las je suis.

Qui pourra dire que je vis
De l’aube blême jusqu’à la nuit ?
Dieu garde si bien dans sa main
La vie et la mort de chacun.
Accroit le mensonge d’autrui ;
Ma vérité est sans issue.
Vingt serfs, pas un, ont des maîtres,
Et de ces maîtres, las je suis.

Nul ne sera maître du monde,
Mieux faire fêtes, donner festins.
Homme ! Toi, descendant d’Adam,
Que maudite soit ta promesse.
De ces plaisanteries, – lassé,
Ma patience s’est épuisée.
Amis devinrent ennemis,
De ces ennemis, las je suis. 

Comme un ruisseau mon chagrin
Grossit, Sayat-Nova l’a dit,
Ma douce gloire de naguère est finie,
Sans cesse ma misère grandit.
Comme le Rossignol  je pleure,
La Rose a redoublé d’épines,
On ne la laisse point éclore,
Des ces cueillettes, las je suis.

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