Œuvres - Rimbaud
LES
SŒURS DE CHARITÉ
Le jeune homme
dont l'œil est brillant, la peau brune,
Le beau corps de
vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'eût, le
front cerclé de cuivre, sous la lune
Adoré, dans la
Perse, un Génie inconnu,
Impétueux avec
des douceurs virginales
Et noires, fier
de ses premiers entêtements,
Pareil aux
jeunes mers, pleurs de nuits estivales
Qui se
retournent sur des lits de diamants;
Le jeune
homme, devant les laideurs de ce monde,
Tressaille dans
son cœur largement irrité
Et plein de la
blessure éternelle et profonde
Se prend à
désirer sa sœur de charité.
Mais,
ô Femme» monceau d’entrailles, pitié
douce,
Tu
n'es jamais la Sœur de charité, jamais,
Ni regard noir,
ni ventre où dort une ombre rousse,
Ni doigts
légers, ni seins splendidement formés.
Aveugle
irréveillée aux immenses prunelles,
Tout notre
embrassement n'est qu’une question:
C’est toi qui
pends à nous, porteuse de mamelles;
Nous te berçons,
charmante et grave Passion.
Tes haines, tes torpeurs
fixes, tes défaillances
Et les
brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rends
tout, ô Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un excès
de sang épanché tous les mois.
- Quand la
femme, portée un instant, l'épouvante,
Amour, appel de
vie et chanson d’action,
Viennent la Muse
verte et la Justice ardente
Le déchirer de
leur auguste obsession.
Ah ! sans cesse
altéré des splendeurs et des calmes,
Délaissé des
deux Sœurs implacables, geignant
Avec tendresse
après la science aux bras aimes,
Il porte à la
nature en fleur son front saignant.
Mais la noire
alchimie et les saintes études
Répugnent au
blessé, sombre savant d’orgueil;
Il sent marcher
sur lui d’atroces solitudes.
Alors, et
toujours beau, sans dégoût du cercueil,
......................................................
LES PREMIÈRES
COMMUNIONS
I
Vraiment,
c’est bête, ces églises des villages
Où
quinze laids marmots, encrassant les piliers,
Écoutent,
grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent
les souliers :
Mais
le soleil
éveille, à travers des feuillages,
Les
vieilles couleurs des vitraux irréguliers.
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Car
Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, a rien de sa faute. Cela m’est
évident: j’assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d’archet: la symphonie
fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.
Si
les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du moi que la signification fausse, nous
n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps
infini, ont
accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les
auteurs!
En
Grèce, ai-je dit, vers et lyres rythment
l'Action Après,
musique et rimes sont jeux, délassements. L’étude I de
ce passé charme les curieux : plusieurs s’éjouissent à renouveler ces antiquités: -
c’est pour eux. L'intelligence universelle a toujours jeté
ses idées, naturellement;
les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau: on agissait par, on
en écrivait des livres: telle allait la marche, l’homme ne se travaillant pas,
n'étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand songe.
Des fonctionnaires, des écrivains: auteur, créateur, poète, cet homme n’a
jamais existé!
La
première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance,
entière; il cherche son âme,
il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu'il la sait il doit la cultiver;
cela semble simple: en tout cerveau s'accomplit un développement naturel; tant
d'égoïstes se
proclament auteurs; il en est bien d’autres qui s'attribuent leur progrès
intellectuel! - Mais il s’agit
de faire
l’âme monstrueuse: à l’instar des comprachicos,
quoi ! Imaginez un
homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.
Je
dis qu’il faut être voyant,
se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un
long,
immense et raisonnée dérèglement de tous
les sens.
Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche
lui-même. il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les
quintessences. Ineffable
torture où il a besoin
de
toute la
foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le
grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant! - Car il arrive à l'inconnu
\
Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun! Il arrive à l'inconnu,
et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les
a vues! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et
innommables: viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par
les horizons où l'autre s'est affaissé !
- La suite à six minutes -
Ici
j'intercale un second psaume hors
du texte: veuillez
tendre une oreille complaisante, - et tout le monde sera charmé. - J'ai
l'archet en main, je commence.
..............
Travailler
maintenant, jamais, jamais; je suis en
grève.
Maintenant,
je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille
à me rendre Voyant: vous ne comprendrez pas du tout,
et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le
dérèglement de tous les sens.
Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est
pas du tout ma faute. C'est faux de dire
: Je pense : on devrait dire on me pense. - Pardon du jeu de mots.
Je
est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et Nargue aux inconscients, qui
ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait!
Vous
n'êtes pas Enseignant
pour moi. Je vous dorme ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez? Est-ce
de la poésie ? C'est de la fantaisie, toujours. - Mais je vous en supplie, ne
soulignez ni du crayon, ni trop de la pensée.
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