mercredi 15 avril 2015

Rimbaud - Œuvres



Œuvres - Rimbaud

LES SŒURS DE CHARITÉ

Le jeune homme dont l'œil est brillant, la peau brune,
Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'eût, le front cerclé de cuivre, sous la lune
Adoré, dans la Perse, un Génie inconnu,

Impétueux avec des douceurs virginales
Et noires, fier de ses premiers entêtements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales
Qui se retournent sur des lits de diamants;

Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde,
Tressaille dans son cœur largement irrité
Et plein de la blessure éternelle et profonde
Se prend à désirer sa sœur de charité.

Mais, ô Femme» monceau d’entrailles, pitié douce,
Tu n'es jamais la Sœur de charité, jamais,
Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse,
Ni doigts légers, ni seins splendidement formés.

Aveugle irréveillée aux immenses prunelles,
Tout notre embrassement n'est qu’une question:
C’est toi qui pends à nous, porteuse de mamelles;
Nous te berçons, charmante et grave Passion.

Tes haines, tes torpeurs fixes, tes défaillances
Et les brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, ô Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un excès de sang épanché tous les mois.

- Quand la femme, portée un instant, l'épouvante,
Amour, appel de vie et chanson d’action,
Viennent la Muse verte et la Justice ardente
Le déchirer de leur auguste obsession.

Ah ! sans cesse altéré des splendeurs et des calmes,
Délaissé des deux Sœurs implacables, geignant
Avec tendresse après la science aux bras aimes,
Il porte à la nature en fleur son front saignant.

Mais la noire alchimie et les saintes études
Répugnent au blessé, sombre savant d’orgueil;
Il sent marcher sur lui d’atroces solitudes.
Alors, et toujours beau, sans dégoût du cercueil,


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LES PREMIÈRES COMMUNIONS

I
Vraiment, c’est bête, ces églises des villages
quinze laids marmots, encrassant les piliers,
Écoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers :
Mais le soleil éveille, à travers des feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux irréguliers.

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Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, a rien de sa faute. Cela m’est évident: j’assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d’archet: la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.
Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs!
En Grèce, ai-je dit, vers et lyres rythment l'Action Après, musique et rimes sont jeux, délassements. L’étude I de ce passé charme les curieux : plusieurs s’éjouissent  à renouveler ces antiquités: - c’est pour eux. L'intelligence universelle a toujours jeté ses idées, naturellement; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau: on agissait par, on en écrivait des livres: telle allait la marche, l’homme ne se travaillant pas, n'étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la pléni­tude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains: auteur, créateur, poète, cet homme n’a jamais existé!
La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu'il la sait il doit la cultiver; cela semble simple: en tout cerveau s'accomplit un développement naturel; tant d'égoïstes se proclament auteurs; il en est bien d’autres qui s'at­tribuent leur progrès intellectuel! - Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse: à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonnée dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même. il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de
toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant! - Car il arrive à l'inconnu \ Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun! Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il fini­rait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables: viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les hori­zons où l'autre s'est affaissé !

- La suite à six minutes -

Ici j'intercale un second psaume hors du texte: veuillez tendre une oreille complaisante, - et tout le monde sera charmé. - J'ai l'archet en main, je com­mence.

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Travailler maintenant, jamais, jamais; je  suis en grève.
Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre  Voyant: vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né  poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout  ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire on me pense. - Pardon du jeu de mots.
Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve  violon, et Nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait!
Vous n'êtes pas Enseignant pour moi. Je vous dorme ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez? Est-ce de la poésie ? C'est de la fantaisie, toujours. - Mais je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni trop de la pensée.

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