jeudi 19 novembre 2015

La vitesse des choses – Rodrigo Fresán



La vitesse des choses – Rodrigo Fresán

Je regarde les fêtes comme si c’étaient des tableaux. Je les regarde et les fixe sur le négatif inversé de ma rétine fatiguée.


Le suicidaire effraie parce qu’il ne craint pas la mort, mais la vie, et qu’en quelque sorte, il est tout à fait logique de penser ainsi.
En mourant, le suicidaire ne fait que nous rappeler l’absurdité de l’erreur dans laquelle nous vivons.


Lorsqu'on fait la connaissance d’une personne dont on se doute qu’elle deviendra spéciale, on commet toujours l’erreur de lui montrer les chambres mal ventilées de son passé au lieu de commencer la visite guidée par les portes aux gonds bien huilés du présent, celles qui donnent sur un éventuel avenir en commun. Nous sommes plus sûrs de ce qui nous est arrivé que de ce qui nous arrive et - nous sentant plus confiants dans le souvenir de l’inaltérable, dans la grâce supposée de nos greatest hits anecdotiques —, nous perdons du temps à marcher à reculons et à teindre en sépia les couleurs brillantes d’ici et de maintenant.


Pour l'essentiel, les photos sont des formes socialement acceptées du mensonge. Ce qu’elles montrent n’a jamais été, bien qu’il se présente à nous comme étant rigoureusement vrai. Quelqu’un nous demande de sourire, de prendre la pose, de regarder l’objectif et d’offrir une seconde de notre vie à la postérité. Mais il s’agit d’une seconde artificielle qui ne reflète en aucun cas la vérité.


Pour moi, l’acte de regretter équivalait à cette espèce de spectre qui apparaît sur le papier peint lorsqu’on décroche un tableau resté là pendant des années. La mémoire considérée comme la silhouette d’un vide délimitant parfaitement l’endroit où ce qui n’est plus a existé un jour. Le souvenir de ce qui a cessé de faire partie de ce monde triomphe sur le souvenir de ce qui a été. Évoquer par omission, par amnésie sélective. J’ai lu quelque part que les gens ayant une excellente mémoire perdent le plaisir du doux châtiment qui consiste à se rappeler, car ils n’ont jamais fréquenté les vertus du verbe oublier.


Rendez votre vie réelle ! Nous racontons et vivons des histoires pour nous assurer que nous sommes vivants. Nous racontons et vivons des histoires parce que nous vivons dans des histoires. Le genre d histoires que les gens changent en vies ; le genre de vies que les gens changent en histoires. Ou nos vies deviennent des histoires, ou il ne sera pas possible de leur donner un sens. La vie n’existe pas par elle-même, car si elle n’est pas contée, elle est juste quelque chose qui se passe, rien de plus. Les histoires n’arrivent qu’à ceux qui peuvent les raconter. Nous devenons les histoires que nous racontons sur nous-mêmes. Mais ceci est également vrai : les histoires peuvent nous sauver. Et, à la fin, les histoires sont tout ce qui reste de nous.

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