jeudi 19 novembre 2015

La paresse - Raoul Vaneigem & Jacques Serena



La paresse - Raoul Vaneigem & Jacques Serena

Éloge de la paresse affinée – Raoul Vaneigem

Tout n'est-il pas mis en branle pour troubler, par les meilleures raisons du devoir et de la culpabilité, le loisir serein d’être en paix en sa seule compagnie ? Georg Groddeck percevait avec justesse dans l'art de ne rien faire le signe d'une conscience vraiment affranchie des multiples contraintes qui, de la naissance à la mort, font de la vie une frénétique production de néant.

L'habitude s'est si bien implantée d'accepter n'importe quel travail et de consommer n'importe quoi pour équilibrer cette balance des marchés qui règne sur les destinées comme la vieille et fantomatique providence divine, que rester chez soi au lieu de participer à la frénésie qui détruit l'univers passe étrangement pour scandaleux.

Qui, des allocataires sociaux, proclamera qu'il découvre dans l'existence des richesses que la plupart cherchent où elles ne sont pas ? Ils n'ont nul plaisir à ne rien faire, ils ne songent pas à inventer, à créer, à rêver, à imaginer. Ils ont honte le plus souvent d'être privés d'un abrutissement salarié, qui les privait d'une paix dont ils disposent maintenant sans oser s'y installer.
La culpabilité dégrade et pervertit la paresse, elle en interdit l'état de grâce, elle la dépouille de son intelligence. Quelle plus belle occasion que les grèves pour suspendre ce temps où chacun court à ne s'attraper jamais, s'échine à être ce qui lui répugne et à n'être pas ce qu'il aurait désiré, mise sur la retraite, la maladie et la mort pour mettre fin à sa fatigue.

Quand la paresse ne nourrira plus que le désir de se satisfaire, nous entrerons dans une civilisation où l'homme n'est plus le produit d’un travail qui produit l'inhumain •

Musaraignes – Jacques Serena

Elle a alors trouvé pour elle. ,l'avais fait observer qu’elle avait, elle, une bonne santé, dos diplômes, qu'elle avait la manière, plaisait davantage, pouvait escompter des emplois plus intéressants. Je pensais qu'elle ne s'y ferait pas Je l'avais mal jaugée, elle s’y est faite, incroyablement vite. Elle avait vraiment la manière, elle me sidérait, je ne manquais pas de le lui dire. En quelques mois elle est devenue quelque chose comme consultante, conseillère, dans ce goût- là. Et jamais un rhume.
Je l'attendais à la maison. La grande maison que nous avions alors. Qu'elle avait elle en fait, détail qui aura son importance, qu'elle avait déjà elle avant que je vienne habiter chez elle. Je m'étais, je dois dire, fait à cette maison. Où je l'attendais elle toute la journée. Je m’étais bien fait a la maison sans elle. À l'attendre. Je ne m'ennuyais pas, ai toujours été de cette nature plutôt commode, à ne jamais m'ennuyer. Pouvoir simplement me promener de pièce en pièce me suffisait, en slip et sweat, chanter des blues que je ne connaissais pas. Ou regarder, de temps à autre, ma collection de photos, si je voulais, rien d'obligé. J'aimais bien regarder. À un moment ou à un autre j'envisageais de changer la table de place. Ou le lit, ou la couleur des murs. Ou ajouter une petite étagère, à l'occasion, aux deux d'origine, penser à lui en parler, à elle, à l'occasion. Mais j'oubliais, ou l'occasion ne se présentait pas, comment savoir. Ce dont je suis sûr c'est que quelquefois, les matins, j'envisageais des choses de ce genre, et parfois l'après-midi même. Le fait est que je préférais la maison sans elle. Je ne vois pas pourquoi je le nierais. D’autant que seul à la maison j'arrivais mieux à penser à elle.
J'avais évidemment tout l'espace, tout le temps. Et c'est à elle hors de la maison que souvent je pensais. À ce qu’elle pouvait faire hors d’ici. Tout ce qu'elle pouvait, la garce. Ce que je ne lui faisais déjà plus, soit dit en passant. Mais c'est que moi l'occasion ne se présentait pas. Ou j'oubliais. Je n'y pensais en fait que quand elle débarrassait le plancher.
Dans la soirée elle rentrait, en trombe, jetait son  béret, sa veste, salut, et tout de suite direction la salle de bains. Et elle y restait longtemps. Bruits d'eau. Robinets. Et bruits de faïence heurtée, et de flacons, et eau à nouveau. Et encore, et encore, bruits, bruits. Et après dans la cuisine. Bruits encore plus absurdes, plus vigoureux, plus agaçants,  comme elles savent en faire, eau, robinets, vaisselle, eau. Etc, etc. Tout cet interminable petit tintamarre horripilant pour finalement exhiber quelques pâtes, ou salade, ou épis de maïs. Et elle allumait la télévision, un buste venait annoncer les nouveaux amendements, toujours pareil, toujours pire. Pathétique, voilà le mot, pas tant le fait que les mesures soient si balourdement infâmes, mais qu'ils veuillent toujours absolument leur donner les dehors de l'équité lucide, bref. De toute façon dès qu'elle était entrée dans la maison, la maison me dépitait, ce n'était plus la maison, j'aimais autant ne pas voir, faisais semblant de dormir, ou que peu s'en fallait.
Le matin je la laissais se lever, ouvrir, fermer trente six fois la penderie, ses tiroirs, et après faire couler ses robinets, et après y aller de son tapage dans la cuisine, on croit qu'on s'y habituera, et non, au contraire. Et enfin elle partait à son travail. Et c'est alors que commençait ma journée. Qui consistait surtout à comme j'ai dit marcher dans la maison, en pensant à cette fille. Changer de pièce, quand j'avais envie, pas trop souvent. Ou faire des collages pour ses cassettes, ça j'aimais bien, en faire, en refaire. C'était par périodes, avec un stick de colle, des ciseaux et ma pile de vieux magazines. Ou d'autres activités du même genre, créatives la plupart du temps, tout en pensant à elle.


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