dimanche 19 février 2017

Terminus radieux – Antoine Volodine



Terminus radieux – Antoine Volodine



Kronauer voulut formuler une objection. Il releva la tête vers le président du kolkhoze. Soloviéï se dressait à contre-ciel, il paraissait auréolé de lumière brillante. Des étoiles de fatigue éclataient comme des bulles sous la conscience de Kronauer, elles éclaboussaient l’image que recevaient ses rétines, elles fusaient autour des cheveux de Soloviéï.



Heureusement qu’il y a encore le marxisme-léninisme, pensa-t-il. Autrement on serait entrés dans un sacré sale cauchemar. Va savoir si on serait capables de faire la différence entre les classes, et même entre les vivants, les morts et même les chiens ou assimilés.



En nombre infime sont les théoriciens du camp qui appellent à quitter le camp, qui dénigrent le camp ou songent à une abolition du système des camps, ou qui préconisent une ouverture plus grande sur l’au-delà des barbelés et recommandent la fusion du camp avec les territoires de l’extérieur. Tenus depuis les fenêtres des établissements psychiatriques, leurs discours sont écoutés, mais ne suscitent aucune adhésion. Si des applaudissements éclatent, c’est le plus souvent pour saluer l’humour dont ils ont fait preuve et leurs grimaces comiques. Il faudrait en effet avoir l’esprit aussi dérangé qu’eux pour apprécier sur le fond leurs divagations d’insanes. En résumé, dans le camp, nul individu doué de raison ne remet en cause la supériorité humaniste de la société qui s’épanouit en deçà des clôtures, et nul ne s’aventure à nier des siècles d’acquis carcéraux et d’améliorations incessantes dans les aménagements, dans la philosophie et dans la logique intime et fondamentale du camp. C’est comme ça.



Elle se couvre d’écailles très dures.
Elle donne des coups terribles.
Elle se déplace à une vitesse invraisemblable.
Elle transforme son cri en énergie.
Elle n’a plus de sang, ou plutôt elle n’a plus ni sang absence de sang.
Elle n est ni morte ni vivante, ni dans le rêve ni dans réalité, ni dans l’espace ni dans l’absence d’espace. Elle wifi théâtre.
Elle fait alliance avec le combustible.
Elle provoque des incendies de flammes froides.
Elle fait alliance avec le vide, avec le combustible maîtrisé avec le combustible suspect, avec le combustible pris de démence et immaîtrisable.
Elle va et vient à vive allure entre les deux piles, entre le puits que surveille la Mémé Oudgoul et le réacteur de secours bricolé sous le bâtiment du soviet.
Elle prononce des malédictions, des invocations aux forces, aux forces qu’elle connaît, aux forces dont elle a entendu parler et aux forces qui n’existent pas.
Elle court dans l’obscurité plus vite qu’une balle de fusil. Elle court dans la forêt nocturne. Elle s’aventure sous les mélèzes jusqu’à la vieille forêt puis elle revient. Elle fait plusieurs fois le tour du Levanidovo en courant à la lisière des arbres noirs.
Elle revient vers les crépitements nucléaires, elle trace des cercles autour des cœurs nucléaires jusqu’à ce que les. huiles des pompes prennent feu, elle trace des cercles jusqu’à ce que des flammes glacées tonnent et tourbillonnent autour des barres de combustible.




Ses lèvres frémirent, mais il ne savait comment exprimer ce qui avait surgi en lui. C’était une seconde lumineuse, mais elle s’écoula et tout, à nouveau, se brouilla. Moins évidente paraissait l’idée de franchir la courte distance qui les séparait, d’ouvrir les bras et de s’abandonner contre elle. Moins clair, moins défendable l’élan amoureux, à supposer qu’il pût s’agir de cela. Hannko Vogoulian, de son côté, ne laissait transparaître aucune émotion. Elle se tenait très près de lui, elle lui offrait son regard extraordinaire, mais elle ne l’invitait à rien.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire