dimanche 19 février 2017

Traité du style – Louis Aragon



Traité du style – Louis Aragon


Je n'ai pas l’intention de discuter avec une couenne faisandée. Tu es une de ces saloperies dont Vidée seule schlingue. Tes productions, par un trope hardi nous dirons qu'elles ne sont pas tapées, mais qu'elles tapent, et que toi-même faisant ta putain périodique tu cocottes. Enfin pour me faire comprendre de ta science médicale, tu es assez comparable au fromage qui se développe dans les nez tuberculeux. D’ailleurs je t’ai aperçu une ou deux fois : tu es ignoble. Etron intellectuel, tu as le physique de l'emploi. Tu es une vieille chemise oubliée dans un urinoir.



Donc je déclare qu’il est possible de serrer la main d’un journaliste. Sous certaines réserves, s'entend. Se laver ensuite. Et pas seulement la main contaminée, mais tout le reste du corps, particulièrement les parties sexuelles, pour ce qu’on sait encore très mal comment le journaliste empoisonne ses victimes, et qu’il n’est pas très sûr qu’il ne dégage pas par tous les pores de la peau ou du vêtement une espèce de venin volatile et singulièrement infecte qui serait d’une aptitude extraordinaire à se loger dans les plis de flexion, même les mieux cachés par l’habitude et la décence. Je parle maintenant pour ceux qui ont un domicile. Si un journaliste se présente à votre porte, je vous conseillais jusqu’ici de le jeter très promptement à la rue, sans rien entendre.



Eh bien, qu’ils m’en croient, il est temps, il est grand temps de ressaisir les rênes flottantes de l’ascendant moral. Et c’est faisable. Mais il faut bannir toute honte. Reprenez l’habitude ancienne, quittez ce ton trop général. Etudiez la loupe à la main les textes qui vous sont soumis. Pesez les mots. Analysez les phrases. Développez séparément les images. N’hésitez pas à ricaner métaphoriquement. Revenez à la tradition scientifique des annotateurs d’autrefois. Marquez les vulgarités à l’encre rouge, et si vous eh trouvez par chance, expliquez longuement, lourdement les beautés. Avec les marteaux de l’insistance laminez, laminez sans fin les propositions écrites de vos incompréhensibles contemporains. Ainsi vous retrouverez dans l’univers votre rôle grandiose, agents superbes de la destinée, qui toute sentimentalité pendue au vestiaire éternel travaillerez inlassablement à la mort et à l’usure de toute chose orgueilleuse et disproportionnée.



Je m’adresse aux gouvernements : Gouvernements... mais c'est en vain ils ne pensent qu’à leur bifteck. Ils ont bouffé du Chinois toute l'année, maintenant ils ont mal au cœur et chicotent pour cure-dents des insurgés et des grévistes. Donc je m’adresse à la jeunesse, mais voyez-moi les jeunes gens, comme ils supportent le train-train du monde. Foireux comme jamais. Ayant trouvé le truc. Ils sont assis très paisibles au milieu des machines infernales.



Je ne me suis pas tué, non faute d’y avoir pensé. Tout à l’heure encore. Tenez, je me disais pourtant ce serait d’une simplicité enfantine. Cela chasserait si bien plusieurs pensées. Et je suis seul témoin de ce que cela comporte. Je ne me suis pas tué, et tout ceci sombre dans un ridicule écrasant. Chère meule, ne t’éloigne pas ainsi de ma tête. Qu’est-ce que je disais donc ? Ah oui. De toutes les idées celle du suicide est celle qui dépayse le mieux son homme, après tout. Ceci dit, n’est-ce pas, silence. Tuez-vous ou ne vous tuez pas. Mais ne traînez pas sur le monde vos limaces d’agonies, vos charognes anticipées, ne laissez pas passer plus longtemps de votre poche cette crosse de revolver qui appelle invinciblement le pied au cul. N’insultez pas au vrai suicide par ce perpétuel halètement. Plus bas, cent fois plus bas que celui qui s’étonne et demande pourquoi ce fourneau à gaz ou cet ascenseur, est celui qui comme un pou vorace, ayant compris la grandeur d’un tel destin, vil dans l’ombre du mancenilier sans jamais s’endormir, celui qui vaquant à ses affaires se réserve une heure par jour de funèbre désespoir.



Il est vrai que très naturellement je ne puis que penser à la première personne quand il s’agit du suicide. fl est vrai que quand je vois les ignorantins qui se cherchent des raisons de vivre, je m’indigne et je dis : Gomme s’il y avait des raisons de vivre !



Les mots humains, la pensée, ne peuvent que par des allusions vagues et terribles et toutes chargées d’un esprit de démenti, exprimer les choses de l'anéantissement de celui qui parle. Tout le langage employé, la paix du tombeau, se reposer et même se détruire, suppose la persistance d'un être, et pas de n'importe quel être, de moi, inchangé, moi que je touche, le même, avec ses malheurs, ses malheurs, ses insomnies et les affreuses mouches des hantises vainement fuies, pauvre cheval, inutile de galoper.



Le rêve passe de toute antiquité pour une forme de l’inspiration. C'est en rêve que les dieux parlent à leur victime, etc. H est à observer cependant que pour ceux qui ont pris à noter leurs rêves un soin, pur de préoccupations littéraires ou médicales, jusqu'à ces derniers temps absolument sans égal, ne l’ont pas fait pour établir des relations avec un au-delà quelconque. On peut dire qu’en rêvant, ils se sont sentis moins inspirés que jamais. Ils rapportent avec une fidélité objective ce qu'ils se souviennent d’avoir rêvé. On peut dire même que nulle part une objectivité plus grande ne peut être atteinte, que dans le récit d'un rêve. Car ici rien, Comme dans l’état éveillé ce qu'on nomme censure, raison, etc., ne s'inter­pose entre la réalité et le dormeur. Sup­posez qu'à transcrire cette réalité ils apportent les sottises d’un style impar­fait, les voilà traîtres. Ils ne racontent plus un rêve, ils font de la littérature. J’exige que les rêves qu'on me fait lire soient écrits en bon français. Et à cette occasion je parlerai plus longuement du rêve.



Ni l’un ni l’autre, mon cher. La forme je viens de le dire. Le fonds, j’y viens ensuite. Que l’homme qui tient la plume ignore ce qu’il va écrire, ce qu’il écrit, de ce qu’il le découvre en se relisant, et se sent étranger à ce qui a pris par sa main une vie dont il n’a pas le secret, de ce que par conséquent il lui semble qu’il a écrit n’importe quoi, on aurait bien tort de conclure que ce qui s’est formé ici est vraiment n’importe quoi. C’est quand vous rédigez une lettre pour dire quelque chose, par exemple, que vous écrives n’importe quoi. Vous êtes livrés à votre arbitraire. Mais dans le surréalisme tout est rigueur. Rigueur inévitable. Le sens se forme en dehors de vous. Les mots groupés finissent par signifier quelque chose, au lieu que dans l’autre cas ils voulaient dire primitivement ce qu’ils n’ont que très fragmentairement exprimé plus tard. De même l’observation familière à ceux qui se sont adonnés au surréalisme, qu’un mot peut fort bien y remplacer un autre, sous certaines conditions physiques d’homologie, que souvent la main écrit un mot bien différent de celui que l’expérimentateur s’entend alors dicter, que le sens de la phrase en est bouleversé, mais sans que cela gêne aucunement l’homme qui écrit, on a tendance à admettre l’indifférence absolue de ce sens cristallisé, dont on n’assume point la responsabilité. Grossière erreur. D’abord pourquoi la main se tromperait-elle, et non pas l’oreille ? Mais surtout ce genre d’appréciation dénonce une notion absurde et superficielle de la réalité du langage. Le sens des mots n’est pas une simple définition de dictionnaire. On sait, ou l’on devrait savoir, qu’ils portent sens dans chaque syllabe, dans chaque lettre, et il est de toute évidence que cet épellement de mots qui conduit du mot entendu au mot écrit, est un mode de pensée particulier, dont l’analyse serait fructueuse. Ainsi le fond d’un texte surréaliste importe au plus haut point, c’est ce qui lui donne un précieux caractère de révélation. Si vous écrivez, suivant une méthode surréaliste, de tristes imbécillités, ce sont de tristes imbécillités. Sans excuses. Et particulièrement si vous appartenez à cette lamentable espèce de particuliers qui ignorent le sens des mots, il est vraisemblable que la pratique du surréalisme ne mettra guère en lumière autre chose que cette ignorance crasse. Ne venez pas nous montrer ces élucubrations vicieuses. Vous ne savez pas le sens des mots. Je parie que ce que vous écrivez est bête,

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