dimanche 19 février 2017

Dingue de la vie – Neal Cassady



Dingue de la vie – Neal Cassady

8 janvier 51 [San Francisco)
CHERS J. ET J.K.,
Dépliez le pitoyable plaid, dégondez les putains de portes, dispersez les congères, faites souffler les soufflets sur les belles braises, emplissez de pleines louches, l&chez les Léviathans, les monts rugissants réclament la pâte pâle des potes pâlots, dissipée la mélancolie de l’Est, effacé le maudit climat, rapetissés les pieds gelés, les doigts gelés, la face gelée, les engelures des enfants de la chance, caste des éclopés, trajet habituel du pote élu, amateurs de chemins tortueux, testeurs de trips tentants, alcoolos titillés attroupés au milieu des détritus triomphants, périples en poids lourds à travers des trous perdus, tout-petits aux tétons déchirés qui tombent sous les tentatives de torture des truands terribles, qui supputent le total de leur prise, les tentatives de tribulations, les tièdes apothéoses, la terrible absurdité, la tendance au torride tremblement, tics, tours, tourment, tourment, tourment, tourment, tourment, tourment, tourment, tourment, fiente des fauchés refilant des reliquats d'excréments ridés dans les fions profonds de poupées engagées dans un monologue enragé, mabouls modernes se moquant de la monnaie, milady me malmène.
Pouah, beuark, bah, grr, beuh, prout, berk, gloups, argh, hiii, bite, chatte, crotte, etc. J'ai perdu 19 mn % sur le paragraphe ci- dessus sans aucune raison valable, questcequimeprend? Je dois m'en tenir aux simples faits et à ce que je veux dire, j'ai réfléchi à tout ça, surtout ne fais pas attention à cette nullité, c'est juste que je n'arrive pas à commencer en m'efforçant de dire clairement ce qui doit l'être, même si j'ai cogité nuit et jour sur la façon de nous simplifier les choses, je suis prêt pour une divagation décousue dont le bavardage ininterrompu semblera paradoxal, les détails me font vraiment rêver et j'ai tout mis à plat, donc ne crois pas que jetebaratine, écoute - Illico, illico, illico, illico, pas demain mais tout de suite, t’entends,
sal® branleur de péquenaud, TU TE TROUVES UN BOULOT l Tu m'entends, espèce de flemmard, cossard, tire-au-flanc, vermine bon à rien, durant trois malheureuses semaines tu vas devoir supporter un boulot écœurant 8 heures d’affilée, non, encore mieux, (ha ha) deux boulots, oui, voilà, tu feras la plonge ou tu balaieras toute la nuit et tu secoueras des sodas toute la journée, 16 heures par jour, et pendant ton temps libre tu prendras un job à temps partiel pour distribuer des journaux tous les matins de bonne heure. Choisis les boulots les plus durs et fais pénitence, espèce de vieux schnock, rampe dans la merde de l'horreur quotidienne pour quelques billets à la con. Ça me rend malade, je frémis à cette idée, comment peut-on demander à quelqu’un de faire ça? Oh allez, vois comment faire au mieux, mais fais-le d'ici à mon anniversaire. Février, c'est le mois de l'améthyste pour la sincérité, de la violette pour la modestie; création des Boy-scouts en 1910, naissance de Cassady en 1926, le 8. D’ici au 8 février au plus tard tu dois avoir au minimum 150 dollars en poche. Je repousse exprès mon départ pour NY [New York] jusqu’à la dernière minute pour te laisser le temps de trouver le fric nécessaire.
Il n’y a pas de travail aux chemins de fer dans le Sud et, coup de chance, j’ai dégoté une bonne place d'aiguilleur à Oakland. Dans ce boulot, en général, on bosse de minuit à 8h du matin, et l'avantage c'est que ça durera saris doute jusqu'au printemps, quand je retournerai à la SP [Southern Pacific]. En tout cas, je suis fauché et je dois travailler jusqu’à la fin du mois pour me faire 100 billets, pour en donner à Diana et pour financer le voyage. Je peux obtenir un congé et revenir travailler à la minute même où je rentrerai à la maison. Donc : ler fév[rier], je quitte SF [San Francisco] à bord d'un train de marchandises, «le Zipper» de 19h40; le 2, j’arrive à L.A.[Los Angeles] à 6h50 du matin, je vais à Inglewood et à Campton voir mes sœurs, ma tante, mes frères, mes cousins, ma nièce, mon neveu; je quitte L.A. à 23 h 59 ; le 3, je traverse l'Arizona ; le 4, El Paso et le Texas ; le 5, la Nouvelle Orléans; le 6, Montgomery, Alabama, et Atlanta, Géorgie ; le 7, Washington District et New York City; le 8, je fête mon anniversaire' en débarquant chez vous les enfants ; le 9, je passe toute la journée avec vous deux et avec quelques experts pour dénicher une camionnette potable et la faire immatriculer le jour même etc. et à la tombée de la nuit on commence à charger ton barda, la machine à coudre, etc. ; le 10, on range les derniers trucs et le soir on se tape un dernier délire, fiesta pour tout le monde ; le 11, on quitte NYC et dimanche, virée à travers la Pennsy[lvanie] ; le 12, l’Ohio, l’Indiana, l’Illinois; le 13, le Missouri, Kanjsas] City, une bonne petite bouffe chez mon frère', tu suis; le 14, on arrive à Denver, on voit Ed. White1 2, etc.; le 15, mon vieux sort de prison, je l'interroge sur des détails concernant ma petite enfance etc., s'il est libre il viendra peut-être à SF; le 16, on quitte Denver, on va à Sait Lake City où je suis né; le 17, le Nevada et la Californie ; le 18, je m’inscris sur le planning des chemins de fer en passant à Oakland ; on arrive chez moi le 19. Si vous n'emménagez pas à côté de la maison (il y a des chances que je vous déniche un super appart à 30 $ par mois dans une maison avec jardin etc., à côté du 29 Russell), vous restez avec nous et vous donnez dans mon cher grenier. La fille de Bennington3 (qui est avec nous depuis le 1“ janvier) dormira dans le salon, comme elle le fait en ce moment. Du 20 au 28 je te trouve un boulot, ce sera facile, j'organise tout pour vous deux mes jolis, etc., etc., etc., etc., etc.
Le 1“ mars, Helen Hinkle quitte SF et si nécessaire tu prends son bel appart à 35 par mois, et tu y restes du 2 jusqu’au -?
J’ai de plus en plus de frais. Ma Ford teuf-teuf m’a lâché et j'ai dépensé tout ce qui me restait pour verser un acompte sur une voiture dont on a absolument besoin (Carolyn en a besoin aussi, pour emmener la petite à l’école, aller en ville etc., pour ses dessins et ses tableaux etc.), pour mon trajet quotidien à travers la baie, vu que le boulot peut m’envoyer n’importe où depuis Berkeley ou Richmond, jusqu’à Chevrolet Plant à 55 kilomètres au sud où on gère l’aiguillage. C'est un coupé Packard club bleu de 1941, moteur 6 cylindres neuf, radio, CHAUFFAGE, dégivrage, pneus neufs, housses sur les sièges, Overdrive (pas branché), amortisseurs neufs, etc. J’ai peur que le train arrière



13 fév. 1951[San Francisco]
CHER JACK,
[…]
Je ne raconte pas que des conneries ; tout ce que je vois m’emplit d’une tendresse, d'une nostalgie infinies. J’en suis réduit à vivre uniquement pour mes rêves désormais. Pas des rêves fumeux, je veux dire des rêves concrets. Ayant fait ma semaine à 16 heures de boulot par jour (tout juste finie, je repasse en équipe de nuit), j'ai eu le privilège de connaître la plus longue et la plus extraordinaire série de cauchemars de ma vie. De nouveaux trucs bizarres reviennent sans arrêt ; du sang, des chutes depuis des hauteurs incroyables, une course-poursuite effrénée durant laquelle j'échappe en une fraction de seconde à des gens qui me pourchassent - ils finissent quand même toujours par m’attraper - qui m'interrogent, et pour me défendre j’ai recours à toutes les variantes d'une logique incroyablement complexe, ce qui les dissuade de se venger et on reste là tous ensemble, indécis - à attendre. D'autres choses (je voulais écrire un long truc sur les chattes, mais tellement original et compliqué que je renonce). J'ai rêvé que je m'enfuyais avec St François d'Assise, après avoir bu du vin rouge sur de longues tables en bois dans une cave voûtée. On traversait de grands entrepôts en courant, et aussi des passages obscurs reliés par des ruelles. Il portait une robe de bure grise, la mienne était marron et me faisait trébucher quand je courais, je le trouvais étrange avec ses jambes maigres et imberbes quand il soulevait le devant de sa robe pour courir. On entrait par une porte dans une cave pavée — dont j'ai su en un clin d'œil qu'elle n'avait pas d'issue - juste au moment où nos ennemis, un groupe de vrais Soldats Romains, arrivaient. François n'a pas hésité, il semblait très bien savoir où il me conduisait, il s'est jeté dans un trou dans le sol qui était une sorte de canalisation, et il a enlevé des briques pour dégager une trappe. Je l'ai suivi, mais j’ai fermé la trappe au-dessus de ma tête un poil de chatte trop tard et le chef des Romains - qui portait un énorme et magnifique casque, tu sais, avec les superbes plumes et la merveilleuse pièce recourbée qui couvre les oreilles - a vu la fente entre le sol et le bord de la trappe au moment où je la refermais. Ils se sont illico lancés à notre poursuite et soudain je suis devenu comme invisible, c'est-à-dire qu'à partir de là je ne faisais plus partie du rêve et j'étais un simple spectateur et la bruyante armada de soldats a disparu et il ne restait plus qu'un Oriental vêtu de blanc et Saint François, vêtu de blanc lui aussi et à moitié habillé à l'orientale. Ils n'échangeaient pas un mot. François s'est agenouillé sur un socle de bois qui est apparu et il a prié ou médité pendant que le nouvel arrivant aiguisait une énorme et longue lame incurvée sur l’ongle de son pouce, exactement comme un barbier testant un rasoir. Ensuite il a incisé doucement le front de François jusqu'à ce qu'un lambeau de peau recouvre ses yeux, il a soulevé cette peau et coupé ses paupières et je me souviens que j’étais fou de rage en regardant ça et en me disant qu'il faisait exprès de ne pas s'appliquer alors qu'il entaillait le globe oculaire ;

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire