dimanche 19 février 2017

Théorie – Kenneth Goldsmith



Théorie – Kenneth Goldsmith

Le futur de l'écriture, c'est la gestion du vide.


Le code alphanumérique, indissociable de l'écriture, est le moyen par lequel Internet a solidifié son emprise sur la littérature.


La nouvelle autobiographie c'est l'historique de notre navigateur.


L'authenticité est une autre forme d'artifice.


Écrire devrait être aussi facile que laver la vaisselle et aussi passionnant.


Le futur de la lecture, c'est de ne pas lire.


Commencez à copier ce que vous aimez. Copiez, copiez, copiez. Et à la fin du recopiage, vous vous trouverez vous mêmes.


Je trouve que l'idée de recycler le langage pour le rendre politiquement et écologiquement durable, est une idée qui prône la réutilisation et le reconditionnement, par opposition à la fabrication et la consommation du neuf. C'est une attitude qui contrecarre la consommation capitaliste globale en admettant que le langage ne peut pas être détenu ou possédé — que c'est une ressource partagée. Donc dans ce sens, ces idées sont, idéologiquement parlant, davantage dans la lignée des pensées marxistes que n'importe quoi d'autre. Ainsi, à cause du volume considérable du langage — un écosystème produisant des ressources illimitées — il n'y a aucun risque de pénurie ; c'est un paysage d'abondance. Toutefois — et c'est là que ça devient intéressant — l'obsession de l'écriture conceptuelle pour les nouvelles technologies, l'accumulation du langage, sa célébration de l'excès, du baroque, etc., le rapproche des tendances capitalistes globales souvent malveillantes. De plus, il y a un aspect impérialiste dans ce mouvement ; par son internationalisme, c'est le premier mouvement de poésie mondial depuis la poésie concrète puisque les deux reposent sur un usage transnational du langage (la poésie concrète étant visuelle, et la poésie conceptuelle étant illisible). En conséquence, le mouvement se répand rapidement autour du globe, menaçant de prendre les caractéristiques d'un gigantesque monstre multinational. Toutes ces contradictions, j'en ai l'impression, font partie du discours du conceptualisme, qui est un mouvement idéologiquement fluide incluant l'impureté et les plaisirs coupables, boudant les notions reçues de pureté, d'authenticité, ou de prétention absolue de vérité.


Le poète comme anti-héro.


Nous écumons, analysons, annotons, copions, collons, transférons, partageons, et spammons. Lire est la dernière chose que nous faisons avec le langage.


Aujourd'hui, nous passons beaucoup plus de temps à acquérir, cataloguer et archiver nos artefacts qu'à entrer en relation avec eux. La manière dont la culture est distribuée et archivée est devenue bien plus intrigante que l'artefact culturel lui-même. Résultat, nous avons vécu un inversement de la consommation, préférant les flacons à l'ivresse.


Si vous faites quelque chose de mal pendant assez longtemps les gens finiront par croire que c'est bien.


Le facile est le nouveau difficile. C'est difficile d'être difficile, mais c'est encore plus difficile d'être facile.


À ce moment de l'histoire, c'est dur de vérifier l'authenticité, la singularité, ou la justesse des sources pour quoi que ce soit. Au lieu de ça, dans notre monde digital, toutes les formes de culture ont adopté les caractéristiques de la dance music et de la déclinaison. Tant de mains ont touché et affiné ces produits que nous ne savons plus qui est, ou était, l'auteur — et nous nous en fichons.


Je plaisante toujours en disant à mes étudiants que la poésie ne peut pas être aussi difficile qu'ils le pensent, parce que si c'était aussi difficile qu'ils le croient, les poètes n'en feraient pas. Vraiment, ce sont les personnes les plus fainéantes, les plus stupides que je connais. Ils sont devenus poètes en partie parce qu'on les a rétrogradés à ce poste, n'est-ce pas ? Il ne faut jamais dire à ses étudiants d'écrire ce qu'ils connaissent parce que, bien sûr, ils ne connaissent rien : ils sont poètes ! S'ils connaissaient quelque chose, ils auraient choisi cette discipline et l'exerceraient : ils seraient en histoire ou physique ou maths ou management ou n'importe quel domaine dans lequel ils excelleraient, comme disait Christian Bôk.


Auto-tunez votre prochain recueil de poèmes.


Aimer l'art. Détester le monde de l'art.


La capacité d'attention limitée est le nouveau silence.


Écrire en mode sans échec


L'écriture contemporaine est une pratique qui se situe quelque part entre la construction d'un ready-made à la Duchamp et le téléchargement d'un MP3.


Essorez-les, manipulez-les, maltraitez-les. Plus vous travaillez vos textes, plus ils vous appartiendront.


J'ai découvert que ceux qui s'attardent rarement sur leurs émotions savent mieux que quiconque ce qu'est une émotion.


Soliloquy est surtout une tentative de décrire les difficultés du discours et l'impossibilité de la communication. Par conséquent c'est une déclaration anti­humaniste. À l'intérieur, on découvre que le bavardage normatif de quelqu'un est tout aussi disjonctif que n'importe quelle tentative moderne ou postmoderne de déconstruire le langage. En dépouillant le discours de ses éléments non-référentiels, on peut isoler le discours de ses fonctionnalités, formalisant et déformalisant ainsi ce même discours. C'est mieux d'admettre que nous ne nous comprendrons jamais les uns les autres, parce que comment nous disons les choses résonne à peine plus que du bruit blanc.


Les artistes mettent le bordel et laissent aux autres le soin de le nettoyer.


Plagiez vos plagiaires. Trafiquez vos trafiquants. Piratez vos pirates.


Je ne pense pas qu'il y ait un « moi » stable ou essentiel.
Je suis un amalgame de tellement de choses : les livres que j'ai lus, les films que j'ai vus, les émissions de télévision que j'ai regardées, les conversations que j'ai eues, les chansons que j'ai chantées, les amours que j'ai aimés. En fait, je suis une création de tellement de gens et de tellement d'idées que j'ai l'impression d'avoir eu très peu de pensées et d'idées originales ; penser que n'importe laquelle de ces choses était originale serait aveuglément égoïste. Parfois, je crois avoir une idée ou un sentiment original et puis, à deux heures du matin pendant que je regarde un vieux film à la télé que je n'avais pas vu depuis des années, le protagoniste débite quelque chose que je pensais avoir inventé. En d'autres mots, j'ai pris ses mots (qui, évidemment, n'étaient pas vraiment « ses mots »), les ai intériorisés et les ai fait miens. Ça m'arrive tout le temps.

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