dimanche 14 mai 2023

Carnets – Joseph Joubert

Carnets – Joseph Joubert

 

Les âmes vives se dégoûtent des plaisirs parce-qu elles y trouvent du mécompte dans leur calcul : si le plaisir est mauvais, profités du premier moment pour les en arracher : si elles y reviennent tout est perdu, elles prendront l’objet tel qu’il est et s’en contenteront.

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Recevoir des bienfaits de quelqu'un est une manière plus sûre de se l'attacher que de l'obliger lui-même. La vue d’un bienfaiteur importune souvent, celle d'un homme à qui l'on a fait du bien est toujours agréable. Nous aimons notre ouvrage en lui.

Vouloir se passer de tous les hommes et n'être obligé à personne, signe certain d'une âme sans sensibilité.

Braver toujours les bienséances est d’une âme abjecte ou corrompue, en être esclave dans toutes les occasions est d'une âme petite et…

Le devoir et les bienséances ne sont pas toujours d'accord.

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Le poète s'interroge, le philosophe se regarde. La réflexion produit les passions parce qu’elle est une contemplation réitérée d'un objet.

Voulés-vous connoître le mécanisme de la pensée, et ses effets? lisez les poètes. Voulés-vous connoître la morale, la politique ? lisez les poètes. Ce qui vous plaît chés eux, approfondissés-le : c’est le vrai.

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                  On ne devrait écrire ce qu’on sent qu'après un long repos de l'âme. Il ne faut pas s'exprimer comme on sent, mais comme on se souvient. J'en dirai la raison.

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                  On ne devrait écrire ce qu’on sent qu'après un long repos de l'âme Il ne faut pas s’exprimer comme on sent, mais comme on se souvient. J’en dirai la raison.

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— Tout ce qui multiplie les nœuds qui attachent l’homme à l'homme le rend meilleur et plus heureux.

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La vie est un pays que les vieillards ont vu et habité. Ceux qui doivent le parcourir ne peuvent s'adresser qu'à eux pour leur en demander les routes.

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Quand ils disent que l’art est une imitation, ils le définissent par son procédé ou sa manière d’opérer et non par son objet J'aimerois encore mieux dire que l’art est une multiplication car alors je le définirais par son effet et son utilité. L'art en effet n'existe que pour multiplier les choses qui émeuvent nos sens en nous les représentant, et il n’est utile qu'en multipliant autour de nous les belles choses, c’est à dire les choses qui nous émeuvent agréablement, utilement, délicieusement et de manière à nous rendre heureux.

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L'homme imite d'abord les objets qu’il voit ou que d’autres ont imités. Il représente ensuite ses propres conceptions. C'est là le comble de l’art.

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Voyés ces deux paysages de Poussin. Le premier fait aimer la solitude : l'autre fait aimer les lieux habités.

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L’essentiel n’est pas qu’il y ait beaucoup de vérités dans un ouvrage, mais qu'aucune vérité n’y soit blessée .

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Il y a des loixs et des décrets. Les loixs doivent porter l'empreinte d'une raison élevée au-dessus de tous les cas particu­liers. Elles doivent régner toujours. Les décrets n’ont que les circonstances en vue : ils sont faits par le législateur non en tant que législateur, mais en tant qu’administrant et gouvernant. C’est un ordre de dictateur. Ils n'ont pas besoin d’être comme la loi l'expression de la raison étemelle, mais de la prudence. Us ne sont faits que pour un temps, pour un moment. Les loixs se taisent dans les troubles c'est alors que les décrets parlent. Les loixs brillent dans les beaux jours, les décrets dans les nébuleux. Ils voilent la loi comme on voile quelquefois dans nos temples ce qu’on y …

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L'écriture tient de plus près à la pensée que la parole.

Le un est le tout et L’autre est les parties.

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Le nombre des livres est infini.

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L'imagination est l'œil de l’âme.

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Sans l’ignorance qui s’approche, nous deviendrions bientôt un peuple absolument ingouvernable.

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L'esprit ne peut créer que des erreurs. Les vérités, il ne les créa pas, elles existent, il ne fait que les voir, les démêler, les découvrir et les exposer.

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Langue sacrée. En quoi doit être hiéroglyphique. Que tous ses mots doivent avoir un caractère d’enfoncement ou de relief, de ciselure ou de sculpture. Le blanc et le noir, le vuide et le plein y conviennent. Tout y doit être juxtaposé et uni, mais séparé par des intervalles.

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Les loix. — Ce sont de simples écriteaux placés souvent dans des recoins où personne ne peut les lire. Si vous voulez que le public ne passe pas par un chemin, fermez-le par une barrière qui arrête dès le premier pas et machinalement l'homme même le plus distrait. L’impossibilité éloigne mieux que la déffense des choses qui sont interdites. Que si les barrières vous manquent et si l’écriteau seul est en votre pouvoir, placez-le au moins dans un milieu, à la portée de la vue, et que dis-je ? au niveau de l'oeil. Qu’en un mot le regard d'un homme ne puisse pas aller au delà de lui sans être arrêté par lui. Employez des lettres visibles. Et ce n’est pas encore assez : employez des lettres frappantes, des lettres qui sautent aux yeux. Et disons du style des loix ce que j’ai dit etc. Traitons l'attention de l'esprit comme il faudrait traiter la vue.

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Quand l'esprit est rentré dans une vérité dont il étoit sorti, il ne la quitte plus.

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Les écrivains qui ont de l’influence ne sont que des hommes qui expriment parfaitement ce que les autres pensent et qui réveillent dans les esprits des idées ou des sentimens qui tendoient à éclore.

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Il ne faut pas avoir l'esprit plus difficile que le goût, ni le jugement plus sévère que la conscience.

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Comment l'ignorance est un lien entre les hommes. La politique doit s'en servir.

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L’art est une autre nature, que les hommes ont faite. Je l'appelle nature parce qu'elle se fait toujours ; partout où il y a des hommes, ils peignent, ils chantent, ils bâtissent.

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Nous n'avons des idées que par abstraction, c'est-à-dire en séparant les natures des existences ou individus, à peu près comme à l'aide d'un mordant nos peintres modernes, séparent un tableau de la toile. Il n'en est pas ainsi de Dieu. Ses idées sont ce qui a existé le premier ; nos réalités n'en sont qu'une concrétion.

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L'âme est un cabinet d'idées. Les notions que nous avons des choses (ou de leurs qualités) y sont comme des médaillons ou signalemens que nous consultons dans tous nos jugemens.

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Nos meilleurs jugemens sont ceux qui se forment en nous malgré nous et sans que, par nos soins, nous y ayons part, pour ainsi dire.

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Chaque homme pense, non ce qu’on lui a dit, mais ce qu'il a compris.

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Il a eu raison : la plupart de nos erreurs viennent des mots dont nous usons, — et surtout les erreurs scavantes.

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La solitude donne un moi.

Moi qui donne la solitude. Il est dans nos pensées, et celui que le monde donne est dans les sentimens. C'est que la solitude habitue à se voir, à se contempler; et le monde, à agir pour soi.

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Toute vérité n’est pas bonne à dire. Car étant dite seule et isolée elle peut conduire à l'erreur et à de fausses conséquences. Mais toutes les vérités seraient bonnes à dire si on les disoit ensemble et si on avoit une égale facilité de les persuader toutes à la fois.

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Se faire ignorant.

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Nous n’avons l’idée (ou apréhension) innée d'une certaine essence ou nature que nous ne pouvons voir (celle de l’esprit), nous n’avons de sens ou de sentiment inné que d’une certaine règle d’harmonie et d’ordre moral (celle du juste et de l'injuste). La manière dont cette essence ou nature existe et la croyance même de son existence, la manière dont ce principe ou règle doivent être apliqués et les règles particulières qui en dérivent sont des opérations de notre esprit susceptibles d'une infinité de variations et même de contradictions. Il en est de ce dernier point comme de la musique. Nous avons tous l’instinct de l’harmonie ; mais nous n'en avons pas tous le scavoir, etc. etc. C'est tout ce que je puis voir de plus clair sur ce sujet en ce moment.

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(Moi.) 1. S’il y a ou s'il n'y a pas des idées que l'on peut appeller innées est une question qui tient essentiellement à la science, à la connoissance de l’âme; et non pas simplement une question d’école.

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Jamais les mots ne manquent aux idées. C’est les idées qui manquent aux mots. Dès que l'idée en est venue à son dernier degré de perfection, le mot éclôt ; ou, si l’on veut, elle éclôt du mot qui se présente et la revêt.

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Il ne faut décrire les objets que pour décrire les sentimens qu'ils nous font éprouver.

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L’objet de toute représentation est donc de donner une idée, mais une idée fixe et qui ait lieu infailliblement toutes les fois que la représentation sera vue et revue. Or, pour y parvenir, il faut que la représentation soit très déterminée, c’est à dire très exacte et très achevée dans toutes les parties qui doivent produire l'effet complettement.

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Nota. Qu'on a beau faire et que c'est toujours une à une que les lecteurs entendent, admettent ou rejettent nos pensées. Le seul moyen de les leur communiquer toutes ensemble et de les disposer dans une telle perspective et de les éclairer d'un rayon de lumière tel que tout esprit puisse les voir toutes à la fois d'un seul coup d'œil.

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La peur nourrit l'imagination.

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Trompons-nous de l’erreur d’autrui et non pas de nos erreurs propres. Car alors, s’il n’y a pas vérité dans l’âme, il y a vertu.

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Dire seulement qu'il la créa ou qu’il la fit est plus sage. Parce que assigner le de quoi et le comment dans des questions inconnues est, comme dit Pascal, incertain, difficile, pénible, superflu et peu sûr. Cependant, lorsque le comment par supposition peut servir à inculquer plus avant l'opinion du fait réel...

Tout se fait par images. Elles entrent en nous par tous les autres sens comme par l'œil. L'écho (dit-on) est une image de la voix. Toutes nos affections sont produites par les images du toucher. Tout notre corps est un miroir.

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L'amour et le plaisir. L’amour (comme dit très bien Leibnitz) est une joye de la perfection de ce qu'on aime et de la contemplation qu’on «1 fait : le plaisir n'est qu'une joye du sexe ou d'existence; l'amour est une joye d’essence.

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Dans les goûts et dans les jugemens littéraires, il entre toujours de la mode.

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En effet la parole est le signe de la pensée et l'écriture est le signe de la parole. C'est à dire quelle n’est que le signe d’un autre signe.

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Quand il n'y aura plus de bibliothèques, et que peu de livres seront comme sauvés, on cachera probablement les plus petits, ceux qui contiendront tout à la fois le plus de doctrine et le moins de mots, de même que dans un incendie, dans un pillage, dans une fuite, on emporte d’abord des diamans.

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Notre esprit n'est pas notre âme. Il y tient comme nos yeux à notre face et comme nos regards à nos yeux. Notre esprit peut opérer sans nous et nous pouvons avoir beaucoup de pensées sans que notre âme y prenne part.

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Contemplation. L’âme y prend part, ne fût-ce que par son plaisir.

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La musique a sept lettres, l’écritures a vingt-cinq notes.

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Dans la musique; nous sommes l'instrument dont elle joué, mais un instrument animé qui se sent, qui s'entend lui-même et qui éprouve du plaisir ou du mécontentement selon qu’il est bien ou mal touché. Cette musique quelquefois brouille nos cordes, ou les tend trop fortement, ou les relâche trop et peut ainsi nous désorganiser.

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I. Vérité dans le style. C’est une qualité indispensable et qui suffit pour rendre recommandable un écrivain.

V. Le goût change avec les mœurs, et même le bon goût. Rien n’est plus vrai. Mais ce qu'on ne peut dire et peindre que par le mauvais goût ne doit être ni dit ni peint.

VI. Il est des genres et des matières immuables. Dans ces cas là, il faut observer les modèles et s'y conformer strictement. Je crois qu’un orateur sacré fairoit bien d'écrire et de penser toujours comme aurait écrit et pensé Bossuet. Il ne s'agit point ici d’humeurs, et les mœurs et les opinions eclésiastiques doivent toujours être les mêmes, malgré les autres changemens.

VII. Le philosophe peut parler de philosophie autrement dans un temps que dans un autre. Car il peut se proportionner à ses auditeurs dont il a besoin d'imiter le jargon pour être entendu.

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L'esprit n’a point de part à la véritable poésie, elle sort de l'âme seule. Elle vient dans la rêverie, mais quoi qu’on fasse la réflexion ne la trouve jamais. Don du ciel ! qui l'a mise en nous !

L'esprit cependant la prépare en offrant les objets à l'âme. La réflexion, qui les déterre en quelque sorte, y sert aussi par la même raison.

L'émotion et le scavoir, voilà sa cause et voilà sa matière. La matière sans cause ne sert de rien. La cause sans matière vaudrait mieux. Une belle disposition qui reste oisive se fait au moins sentir à celui qui l’a et le rend heureux.

Par une certaine disposition d’esprit marquée à laquelle un langage sans caractère ne serait pas correspondant. La prose ne lui suffit pas, s'il n'y entre quelque mesure, quelque cadence, quelque rythme.

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Quand les mots n'aprennent rien, c'est à dire lorsqu'ils ne sont pas plus propres que d’autres à exprimer une pensée, lorsqu'ils n'ont avec elle aucune union nécessaire, l'esprit ou la mémoire ne peuvent se résoudre à les retenir ou les retiennent avec peine, parce qu’ils sont obligés d’employer une sorte de violence pour lier ensemble des choses qui tendent à se séparer.

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Combien de peines à se donner pour ne pas écrire comme ceux qui écrivent mal. Ces gens là font du mal au bon goût, même par la déplaisance profonde qu'ils lui inspirent et qui sert à graver en lui les impressions qu'il en reçoit. C’est ainsi qu'une contagion laisse des traces d'elle même en creusant les parties qu'elle affecte douloureusement. Elle gâte au moins les surfaces, si elle n'altère pas le fonds. Il faut féliciter ceux qui ont un style nul, quand ils ne peuvent pas avoir un beau style. Point de milieu ! Ils ne font point de mal et peuvent même faire du bien en disant des choses sensées qu'ils rappellent à la mémoire et qu'ils conservent dans le monde s'ils ne les y introduisent pas. Conserver! est un grand bienfait et sans lequel celui de créer durerait peu.

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Le sommeil de l'esprit ou l'absence de sa pensée se conçoit aussi facilement que le sommeil du corps ou l'absence du sentiment en pleine vie.

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Le beau, c'est la beauté vuë avec les seuls yeux de l’âme.

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La beauté naît de l’accord ; elle est une harmonie. On dit que de beaux traits ne suffisent pas pour former la beauté. Ils sont alors comme des sons qui ne sont pas assés liés.

La beauté est une harmonie, le beau une perfection. Le beau est l'idéal de la beauté. L’innocence est un caractère inséparable du beau. Le remords est l'innocence après le crime1. Le beau est la beauté de l’âme (dans l’artiste et dans son sujet). L’innocence est au beau ce que la santé est à la beauté. Le beau peut se passer de la santé mais non pas la beauté. Et la beauté peut se passer de l’innocence, mais non pas le vrai beau.

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Ce n’est pas ma phraze que je polis, mais mon idée

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Rien ne presse le poète. Il ne s'agit pas là des nécessités de la vie. Son art est fiait pour nos plaisirs et non pour nos besoins.

... comme une suite de mots lumineux et diversement colorés. — ampoules d'encre et bulles de savon.

 

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Une surprise, — quand on voit tout à coup un mot vulgaire devenu si beau, un mot usé devenu nouveau.

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Le poète a un souffle qui enfle les mots, les rend légers et leur donne de la couleur : une teinture, une liqueur, comme ce nectar de l’abeille qui change en miel la poussière des fleurs.

Faire voltiger les mots.

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Le vin n'ôte pas sa conscience à l'homme. Au contraire il la lui rend souvent plus vive (et l’exagère). Il ramène un certain cours de la mémoire où est là notion du juste. L'ivre de vin sent Dieu. ivres d'esprit sont seuls impies.

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Toute réflexion est art.

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Nous ne prenons plus garde dans les livres à ce qui est beau, mais à ce qui ne l'est pas, mais à ce qui nous dit du bien ou du mal de nos amis et de nos opinions.

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De l'esprit de vie qui peut se trouver dans les livres.

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Il faut que les mots naissent des pensées et que les phrazes naissent des mots.

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L’esprit humain a besoin de poésie, a besoin de métaphysique ; mais, s'il n'en a que de mauvaises, il s'en contente.

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(À propos de l'Esai sur le beau, par le p. André.) I. Quand on demande à quelqu'un : qu'est-ce que le beau? naturellement il rentre en lui même et cherche quels sont les sentimens qu'il éprouve en voyant ce qui est beau, plus porté à définir le beau par l’impression constante qu'il produit que par les spectacles divers qu'il peut offrir. C'est là le procédé involontaire et nécessaire de l'esprit : et c'est la voye qu'il faudrait suivre et tenir dans cette espèce de recherche.

II. Ce n'est pas l'idée du beau, mais l'idée du sentiment que le beau fait invariablement éprouver qui est fixe et constante dans les esprits.

Quant à l'idée du beau en lui même, il n'y a que deux choses qu'on puisse s'en figurer et qu'on s'en figure constamment : la clarté et la splendeur, le lumineux éclatant, c'est à dire ce qu'il y a de plus semblable au divin.

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Nous haïssons toujours les plaisirs que nous ne voulons pas aimer. La haine en ce cas est un appui que notre faiblesse se donne.

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Nos défauts nous rendent attentifs à ceux des autres. Nous comparant sans cesse à eux, nous ne songeons point aux côtés qui ne leur sont pas communs avec nous.

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On se ruine l'esprit à trop écrire. — On le rouille à n'écrire pas.

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Imiter (disoient les anciens). Mais il faut surtout que le poète et même que tout écrivain imite l'homme. Persuadé, dans tout ce qu'il peint.

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... par de mauvaises habitudes de mon cerveau qui gâtent mes pensées. Comme de mauvaises dispositions du gozier gâtant le chant.

Ainsi l’organisation, comme ils disent, influe plus sur l'expres­sion que sur l’âme.

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C’est surtout le langage propre à exprimer ces vérités qu’on n’a pas encore trouvé.

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Sans la langue en effet l'auteur le plus divin... » (Boileau...) Mais il est conduit par la loi- de toutes les langues quand il parle mieux que la langue. Et (me dira t'on) qu'est-ce qui prouvera qu'on a parlé mieux que la langue ? La beauté, la clarté, une nécessité utile.

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Disponible. Une pensée n’est parfaite que lorsqu’elle est parfai­tement disponible* c’est à dire lorsqu’on peut la placer et la détacher à volonté.

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Ce qui peint à l'esprit et non pas ce qui peint aux yeux. Par exemple, rouge peint aux yeux, l’incarnat de la rose peint à l’esprit, parce que cette dénomination a en effet passé par l'esprit et s’est comme teinte de sa réflexion. Ce n'est donc pas tant d'après nature que d’après l'âme qu'il faut peindre. *

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L'art de bien dire ce qu'on pense est différent de la faculté de penser. Celle ci peut être très grande en profondeur, en hauteur et en étendue, et l'autre ne pas exister. Le talent de bien exprimer n'est pas celui de concevoir. Le premier fait les grands écrivains, le second fait les grands esprits. Ajoutez que ceux même qui ont ces deux qualités en puissance ne les ont pas toujours en acte, en exercice et éprouvent souvent que l'une agit sans l’autre. Que de gens ont une plume et n'ont pas d'encre ! Combien d'autres ont une plume, de l'encre et n'ont pas de papier ! C'est à dire de matière où puisse s’exercer leur style.

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De ceux en qui l'imaginative (faculté animale fort différente de l'imagination, faculté intellectuelle) domine. L'imagination est l'imaginative de l’esprit. Quelques enfans ont beaucoup d'imagi­native sans avoir d’imagination. L'imaginative se frappe. Elle est passive. L'imagination est active, créatrice.

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Il         ne faut s'occuper des maux et des malheurs du monde que pour les soulager. Se borner à les contempler et à les déplorer, c’est les aigrir en pure perte. Quiquonque les couve des yeux en fait éclore des tempêtes.

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On n’aime dans ce siècle en littérature ni le simple bon sens, ni l’esprit tout seul, ni le raisonnement soutenu. On veut plus que du bon sens, mieux que de l’esprit ; quant au raisonnement, on en est las, on s'en défie, car il a trompé tout le monde et on s’en souvient. Une imagination ornée et sage est le seul mérite qui pût faire valoir un livre.

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Le monde intellectuel ou intelligible est celui que voient les esprits et que, pour ainsi dire, voit Dieu. Le monde idéal est celui que les poètes imaginent et composent en mêlant ensemble ce qu'ils connoissent du monde terrestre et ce qu'ils conjecturent du monde intellectuel.

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Des mots qui ne doivent jamais entrer dans la conversation. Ce sont tous ceux qui pour être entendus ont besoin d'être mis sous les yeux dans un livre et dont le sens exige pour être compris une grande contention d'esprit.

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Qu'est-ce que l'homme ?-— un esprit revêtu d'un corps.

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Alors le monde agissoit sur le livres(sur leur style); et maintenant te livres agissent sur lui.

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Le beau est le bien de l’âme. Le beau est à la vérité ce que les couleurs sont à la lumière.

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Il faut que l'ouvrier ait la main hors de son ouvrage : c’est à dire qu'il n'ait pas besoin de l'appuyer par ses explications, ses notes, ses préfaces, etc. Que la pensée soit subsistante hors de l’esprit : c'est à dire, hors des systhèmes ou des intentions de l'auteur. Et que les mots se détachent bien du papier : c’est à dire qu’ils s'attachent facilement à l'attention, à la mémoire, qu’ils soient commodes à citer, à déplacer...

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La joye est en effet l'élément naturel de l'imagination. Voilà pourquoi il ne faut pas la porter dans les chagrins, oh elle enlaidit tout et où elle s'enlaidit elle même, parce qu'elle y est déplacée et hors de la sphère qui lui est propre.

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L'Âme grande pense beaucoup aux autres âmes, à leurs peines, à leurs plaisirs, à leurs besoins. L'Âme grande voudroit voir régner partout une grande prospérité, avec la paix, l'innocence, la tranquillité, la justice, la piété, le repos d’esprit, enfin tous les biens de l’âme et du corps.

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Ecrire est bien dit. Le style littéraire consiste à donner un corps et une configuration à la pensée par la phraze.

...cet art ingénieux de peindre là parole et de parier aux yeux.

Voilà l’écriture matérielle : peindre la pensée et parler à l’esprit, par l'esprit, voilà le style.

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Ce n'est pas l’objet vu que les mots doivent peindre, mais l’objet pensé. C’est à dire que l'esprit doit les voir tels qu'ils sont et la phraze doit les peindre tels que l'esprit les imagine, car la parole doit à la fois représenter la chose et l'auteur, le sujet et la pensée.

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Aimer lâchement, c’est aimer malgré soi où aimer d’un amour qu’on blâme, car d'ailleurs tout ce qui est voulu est noble, comme je le disois dans mon songe.

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Il n'y a rien de plus beau qu'un beau livre.

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                  Ce qui vient de l’esprit participe de notre humeur. Ce qui vient du cœur participe de nos tempéramens. Ce qui vient de l'âme participe de Dieu lui-même.

                  L'esprit parle à l'esprit, le cœur au cœur et l’âme à l’âme.

                  Notre esprit est moulé par nos opinions, ou nos opinions sont moulées par notre esprit. Notre cœur est moulé par nos sentimens ou nos sentimens sont moulés par notre cœur. L'âme reçoit et met hors d'elle la vérité telle qu’elle est.

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L’esprit faux est toujours faux et faux en tout, comme un œïl louche regarde toujours de travers. Au reste, on n’a l'esprit faux que lorsque l’on a le cœur faux.

L'esprit faux est toujours un esprit menteur, qui se ment à lui même et qui ment aux autres. L'esprit sincère ne peut jamais être un esprit faux.

L'esprit faux est un esprit louche qui tend à quelque but où il n'a pas l'air de viser.

L'esprit faux est un esprit enveloppé qui ne veut pas se laisser voir ni pénétrer.

L’esprit franc est un esprit vrai, qui est l’opposé de l’esprit

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« L'esprit aime l'ordre », mais non pas celui qui tient à la contrainte et qui n'est qu'un enchaînement voulu par celui qui le fait. L'ordre littéraire et poétique tient à la succession naturelle et libre des mouvemens. Il faut qu’il y ait entre les parties d'un ouvrage de l'harmonie et des rapports, que tout s'y tienne, mais que rien n'y soit cloué.

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La sagesse est le commencement du beau

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Les mots qui servent à régler nos moeurs et nos humeurs, qui sont d'usage dans la morale, tels que ceux-ci « esprit doux, entendement doux » sont devenus rares et inusités dans notre langue, aussi inusités et aussi rares que les termes ascétiques qui servent à la piété. Un langage littéraire, scientifique, politique, poétique ou de pure conversation est le seul qui se fasse entendre.

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Le raisonner étroit. Il faut raisonner largement. H suffit que la vérité soit dans la pensée et dans la phraze ; il n'est pas nécessaire qu'elle se trouve exactement dans tous les mots. D'autant plus qu'il est bon qu'un bon raisonnement ait de la grâce. Or, la grâce est incompatible avec une trop rigide précision.

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Écumer son esprit, l’écumer tous les jours. C'est une opération qui se fait à Paris facilement par la conversation, et qui se fait comme l'autre par une sorte d'ébullition que produit à coup sûr le commerce des gens d'esprit. Écumer son esprit, c'est épurer son goût.

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Que l’âme est un miroir, où se réfléchissent des images, des espèces ou des idées, des notions enfin, des objets qu’elle ne peut voir et qu'elle ne doit pas ignorer entièrement.

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Le but de la dispute, ou de la discussion, ne doit pas être la victoire, mais l’amélioration.

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Toute âme est un œil, comme le corps tout entier est un toucher. L'une apperçoit beaucoup de vérités dont elle ne peut pas s'assurer; l’autre atteint à beaucoup de choses qu'il ne pourra jamais manier.

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Écrire. Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle et une difficulté acquise — ou autrement — écrire facilement par nature et difficilement par art (par réflexion et par bon goût, etc.).

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Clarté d'un livre. Il y a des idées qui paraissent claires [...] et qui cessent de l’être quand on veut s’en ressouvenir. C'est qu'elles ne sont pas en harmonie avec les clartés de notre esprit. Elles ne sont que des clartés individuelles d’une vérité phantastique. C’est la lumière d’un tableau, une lumière feinte et peinte, une lumière artificielle.

On trouve en effet dans certains livres des lumières artificielles, assés semblables à celles des tableaux et qui se font par la même sorte de méchanisme, ai amoncelant les obscurités dans certaines parties, et en les délayant dans d’autres. Il naît de là une certaine magie de clair-obscur qui n’éclaire rien, mais qui parait donner quelque clarté à la page où elle se trouve et qui serait plus véritablement éclairée si tout le papier étoit blanc.

Ce qu’on appelle clair dans un tableau n'est pas du clair proprement dit, mais de l’obscur mis en opposition avec du sombre. On peut ainsi innocemment tromper l’esprit avec des paroles.

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Fleruy. premier discours.

I. Ægri somnia. Des philosophes. Voyez Vairon.

.           Mahomet. Ignorant et éloquent ; éloquent dans sa propre langue. Sa religion : « Sans mystères ».

                  Historien « dont le style montre de la vanité » a peu de poids.

                  Abrégés. Voy. pag. 11 ce qui en fait l’inutilité.

                  Épithètes (défendues). C’est au lecteur à qualifier les personnages et même les événemens.

                  « Esprits élevés » et « esprits forts ». Vid. pag. 16.

                  « Se contenter (dit-il) de ce que Dieu veut que nous scachions. » Pag. 19.

                  Longueur des livres « introduit l'ignorance » parce qu’elle décourage la curiosité.

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Ils jugeoient des livres par leur goût, par leur conscience et leur raison. Nous en jugeons par les émotions qu’ils nous causent.

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Ce livre peut il nuire ou peut il servir; est il propre à perfectionner où à corrompre les esprits ; fera-t-il du bien ou du [mal] ? Grandes questions que se faisoient nos devanciers. Nous demandons : ce livre fera-t-il plaisir ?

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Nous avons trop l’habitude et trop la facilité des abstractions. Voilà pourquoi il y a si peu d’or dans nos livres et dans notre style.

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Pour rendre un objet plus visible, il faut l'éclairer, le colorer ou le sculpter. Cela est vrai des corps et vrai aussi de toutes choses : de toutes les questions, de tous les sentimens, de toutes les idées. On éclaire une idée en l’exposant dans son vrai jour ou en la montrant toute pure. On la colore par des idées accessoires ; on la sculpte ou on la moule par la phraze.

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Commencer toujours par des mots qui disposent à écouter ceux qui les suivent. Donner à ses phrazes un commencement qui amène la fin.

 

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Ce n’est pas de se tromper qu’il faut avoir peur, mais de s’égarer.

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La lenteur et la patience. La lenteur (de l’âge) rend facile la patience (dans le travail).

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Dans le style (ou la parole écrite) (et dans toutes.sortes de styles) le substantif est de nature et de nécessité, l’épithète est de réflexion et d'ornement. iLiy a dans l’emploi du seul substantif quelque chose de sobre de suffisant; et dans l'usage fréquent des épithètes, de la pompe, de l'ambition, du superflu. Point de simplicité (et par conséquent point de vérité simple et nue), même de celle qui est ornée, si les épithètes ne sont rares et clair-semées. Les habitués à l’épithète et qui en font abus n’ont rien vu et ne montrent rien qui ne soit vêtu. On ne trouve chez eux que de l'éclat, mais aucune nature dans sa propre sincérité. Ils teignent tout de la couleur ou des couleurs de la figure ou des figures qui sont naturelles à leur esprit seul. Proprio  succo depromunt.

Il y a des styles où l'épithète est cachée dans le substantif métaphorique. Quesnel abbonde en expressions et peut-être en défauts de ce genre.

Dans le luxe de nos écrits et de notre vie, ayons du moins  l’amour et le regret de cette simplicité que nous n'avons plus et que peut-être nous ne pouvons plus avoir. En buvant dans notre or, regrettons les coupes antiques. Enfin, pour n'être pas corrom­pus en tout, estimons et chérissons ce qui vaut mieux que nous même. Sauvons du nauffrage, en périssant, nos goûts et notre jugement.

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Tout ce qui est dans l’homme un mal incurable ne mûrit point. Et rien de ce qu’il peut avoir d’angélique ne vieillit : qui a jamais pu se figurer un ange vieux ? On peut tout au plus imaginer un vieux génie, mais en le supposant plus terrestre qu'aérien.

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Il faut craindre de se tromper en poésie quand on ne pense pas comme les poètes, et en religion quand on ne pense pas comme les saints.

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Il vaut mieux être voyant que dialecticien ou tâtonneur.

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Le quiétiste et le janséniste. L'un attend la grâce de Dieu, et l'autre en attend la présence. Le premier attend avec crainte, et l'autre attend avec langueur. Le premier se soumet, le second se résigne. Très inégalement passifs, mais également fatalistes.

Enfin le quiétisme et l'amour transi d’un état dont le jansé­nisme est la crainte.

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Les quatre facultés, le goût, le jugement, l'imagination et la raison. Il faut les consulter tous quatre, pris ensemble et séparé­ment.

comme un recteur suivi des quatre facultés... (Boileau.) Ainsi doit opérer l'écrivain sage.

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Les esprits faux sont ceux qui n’ont pas le sentiment du vrai et qui en ont les définitions ; qui regardent dans leur cerveau au lieu de regarder devant leurs yeux ; qui consultent dans leurs délibéra­tions les idées qu’ils ont des choses et non les choses elles mêmes qu’ils peuvent voir et manier.

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Le bavardage des pensées vient de leur multiplicité; leur multiplicité vient de leur inutilité ; leur inutilité, de leur peu de solidité ou de leur peu de vérité. De tous les bavardages, celui-là est le plus fâcheux, parce qu’il trouble la raison du parleur et des écoutans.

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Écrire ses vuës ou ses apperçus, ses idées, mais non pas ses jugemens. Nos jugemens mettent des bornes à nos vues. Quelques clôtures, mais point de murs. L’homme qui écrit toujours ses jugemens place partout devant ses yeux des calpé et des Il ne va pas plus loin et fait des nec plus ultra. Donc, dans l’étude de la sagesse, beaucoup de vuës et peu de jugemens.

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La vérité. (Et vide alibi.) Il n'est pas toujours nécessaire et il est souvent inutile que ses accessoires soient vrais, c’est à dire soient elle-même. Il suffit qu’ils puissent l'orner et nous la rendre plus présente et plus propre à toucher le cœur.

 

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Sans idées fixes, point de sentimens fixes.

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Éclairé. « Être éclairé. » C'est un grand mot. Qui est-ce qui est éclairé, c'est à dire qui a dans sa tête une lumière en permanence ? Qui est-ce qui est éclairé de cette lumière étemelle qui s’attache aux parois des cerveaux où elle est entrée et qui rend ce qu’elle touche éternellement lumineux ?

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Quand on a trouvé ce qu’on cherchoit, on n’a pas le temps de le dire. Il faut mourir.

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Trois moyens de parvenir à la vérité ou de s'en rendre posses­seur : le sentiment (ou le sens intime), l’imagination et l'intelli­gence. Ne se servir que d’un seul de ces instrumens, et je dirai de ces organes, seroit s'éloigner des deux autres. Donc : De ceux qui pensent qu’en s'éloignant on en voit mieux.

— De parvenir à la vérité ou de s'en rendre possesseur — et de demeurer tel. Ce dernier point n’est pas moins nécessaire que l'autre, qui seroit illusoire, vain, inutile sans celui-ci.

Le sens intime est de tous les momens, et nous fait agir, nous éclaire indépendamment même de l'attention; l'intelligence est moins constante, et l’imagination est volage.

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Il meurt tous les jours quelque Révolutionnaire. Empêcher seulement qu’il n'en naisse.

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Style, quelquefois peu conforme à l’usage, mais qui l'est à la nature et qui atteint — hors de l'art — le but de l'art : l’attention et le souvenir.

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Ignorer ce qu'on ne dit pas. C'est à ignorer ce qu'on dit, ou la chose dont on parle, et sur laquelle on doit parler, qu'est la honte et le tort.

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Esprit. Le maître esprit et l'esprit ouvrier. Le maître esprit est au dessus de sa matière, il la domine, elle est en lui, il la contient pour ainsi dire et la tient comme dans sa main, il en est maître, il la taille, il en dispose et il peut même s’en jouer. L’esprit ouvrier est dominé par la sienne, il est dedans, il la fouille, il la creuse, il l’approfondit, il y pratique des ouvertures, mais il y reste empri­sonné. Le maître esprit est un orfèvre, un joailler, un architecte. L’esprit ouvrier est un mineur, un maçon dans une carrière. L’un met en œuvre, et l'autre exploite.

Le maître esprit est monnoyeur, orfèvre, joailler, architecte; l’esprit ouvrier n’est qu’un mineur, un maçon dans une carrière.

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De l'esprit qui n’est que beau et de l'esprit qui est puissant. L’esprit qui n’est que beau ne scait orner que ce qu'il pense; l'esprit beau et puissant scait encore embélir tout ce que les autres œit pensé. L'esprit qui n’est .que beau vit de son propre fonds; l'esprit beau et puissant a le don d'assimiler à soi la substance de tous les autres. Il se nourrit de tout et tout lui devient propre. Il fait tout sien.

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Tout le mal vient de la matière et toutes nos mauvaises actions viennent de notre liberté.

Les grands saints peuvent être de grands pécheurs parce qu'ils sont hommes, c'est à dire parce qu'ils sont libres. La liberté explique toutes les fautes, tous les crimes, tous les malheurs. Mais elle fait aussi tous les mérites.

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Les Genevois. Âmes froides dans des corps froids. Lorsque l’austérité est inutile à l’âme, elle ne vaut pas mieux et vaut peut- être moins que son contraire. Les vertus tendres et ardentes qui peuvent en être l'effet la recommandent seules et la recomman­dent assés. Mais toute régularité n’est pas vertu, quoiqu’elle en usurpe l'apparence.

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Le livre dont il est parlé dans l’Atlantide de Bacon, où chacun lisoit comme s'il étoit écrit en sa langue.

 

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(A Villeneuve.) L’idée de Leibnitz que « l’âme est un miroir », c est à dire sans doute une substance où tout se peint. Et il faut restreindre ce tout à ce qui lui est analogue, ou de même nature quelle. (Je n'y avois jamais pris garde.) Et pourquoi en effet, lorsqu’une glace ou un peu de matière polie, un peu de verre, en y appliquant un métal, peut recevoir et réfléchir le monde entier ou la matière tout entière, avec toutes ses figures ou toutes ses diversités, une unité spirituelle et placée au milieu de tout ne réfléchiroit-elle pas Dieu, qui est l'intelligence suprême, et les idées qui sont en lui comme une sorte de figures, et ne les verroit- elle pas en regardant en elle-même? Car ce miroir en qualité d’intelligence devient un œil. Leibnitz eût dit Dieu au lieu de l'univers, on l'auroit entendu.

Le soleil peint dans une goutte de rosée.

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Qu’est-ce que définir ? C'est décrire, c'est dessiner avec des mots ce que l'esprit seul apperçoit ; c'est donner des extrémités à ce qui n'en a pas pour l'œil; c’est peindre ce qu'on ne peut voir; c'est circonscrire en un espace qui n’a pas de réalité un objet qui n'a pas de corps. Et qu'est-ce que bien définir? C’est représenter nette­ment l'idée que tous les esprits se font en eux et malgré eux de l'objet dont on veut parler, quand ils y pensent au hazard.

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C'est dans l’inaction et la solitude où,vous réduit la vieillesse qu’il est doux de penser qu’on faira parler de sa vie après sa mort.

 

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L'esprit consiste à avoir beaucoup de pensées inutiles et le bon sens à être bien pourvu d’idées et de notions essentielles et nécessaires.

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Quiquonque vit dans des temps incertains a beau être ferme, invariable dans ses principes, il ne peut pas l’être dans toutes leurs applications ; ferme dans ses plans, dans sa marche, il ne pourra garder toujours ni les mêmes résolutions ni les mêmes chemins. Il faut qu'il abandonne aux vens (cela veut dire aux circonstances) quelques parties de lui-même, qu’il laisse flotter ses cheveux et tienne la tête hors d’atteinte. Je le compare à ces gros arbres, à ces noyers dont les rameaux viennent et vont pendant l'orage, se ployant et se laissant fléchir en haut, en bas, à droite, à gauche, agités dans toutes leurs feuilles quoique leur tronc reste immobile. Il y a dans cette comparaison une image de moi qui me plaît parce qu’elle excuse en me les expliquant des variations que je n'aime ni en moi ni dans les autres.

 

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Il est certain que l'attention que nous donnons aux maux d'autrui nous fait oublier les nôtres. C’est même un fait dont la cause est physique.

 

 

 

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