Le divan - Goethe
CINQ CHOSES
Il y a cinq choses qui n’en produisent pas cinq autres;
Toi, ouvre ton oreille à cette leçon :
D’un cœur orgueilleux ne naîtra pas l’amitié ;
Déshonnêtes sont les compagnons de la bassesse ;
Un mauvais drôle ne parvient pas à la grandeur ;
L’envieux est sans pitié pour la nudité ;
Le menteur espère en vain fidélité et confiance. —
Retiens fortement ces paroles et ne souffre pas que nul
[te les ravisse.
CINQ AUTRES CHOSES
Qu'est-ce qui m’abrège le temps?
L’activité !
Qu’est-ce qui l’allonge insupportablement?
L’oisiveté !
Qu’est-ce qui te plonge dans les dettes?
Attendre et patienter !
Qu’est-ce qui engendre le gain?
Ne pas délibérer longtemps !
Qu’est-ce qui procure l’honneur?
Se défendre !
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Doux est le regard de la jeune fille qui te fait signe,
Doux le regard du buveur au moment où il va boire,
Et le salut du seigneur qui pourrait commander,
Et le rayon du soleil d’automne qui nous réchauffe.
Mais plus doux que tout cela garde
Toujours présent à tes y eux,-comment, vers un modeste
S’allonge si gentiment une main indigente, [don,
Recevant avec une gracieuse reconnaissance ce que tu lui
Quel regard ! Quel salut ! Quel désir éloquent ! [tends.
Regarde le bien, et tu donneras toujours.
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La vie est une mauvaise farce,
A l’un manque ceci, à l’autre manque cela,
Celui-ci ne veut pas peu, celui-là veut trop,
Et le savoir et la chance se mettent aussi de la partie. Et s’il advient que le malheur s’en mêle,
Chacun porte le sac comme il ne voudrait pas. Jusqu’à ce qu'enfin viennent les héritiers, qui allé-
[grement
Enterrent Monsieur «Je ne sais pas, je neveux pas».
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La vie est un jeu de l’oie :
Plus on avance vite
Et plus tôt l’on arrive à un terme
Où nul ne reste volontiers planté.
Les oies, dit-on, seraient stupides;
Oh! n’en croyez pas les gens;
Car l’oie parfois se retourne Pour me signifier de reculer.
Il en va tout autrement dans ce monde, Où chacun pousse en avant;
Si quelqu’un trébuche ou tombe,
Pas une âme ne regarde en arrière.
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Autrefois si douce. La satisfaction de l’action propre
Ne jaillit plus pour toi; l’aventureuse audace te manque!
Je ne sais vraiment pas ce qui peut bien te rester encore? »
Il me reste assez ! Il me reste l’idée et l’amour.
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Comparaître devant le Sage
Est plus sûr dans tous les cas !
Quand tu t’es longtemps tourmenté,
Il sait tout de suite ce qui te manque;
Et tu peux aussi espérer son approbation,
Car il sait où tu as réussi.
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Le généreux est trompé,
L’avare est détroussé,
L’intelligent égaré,
Le sage éconduit dans le vide,
Le rigide est tourné,
Le simple est mis dedans.
Domine tous ces mensonges,
Trompé, deviens trompeur!
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Celui qui vient au inonde construit une maison
[neuve,
Il s’en va et la laisse à un second
Qui la dispose d’autre manière,
Et nul ne termine le bâtiment.
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Hatem
C’est pourquoi, enfant chéri,
Reste jeune et reste sage ;
La poésie, sans doute, est un don du ciel,
Mais un leurre dans la vie terrestre.
On commence par se bercer dans le mystère,
Puis on bavarde du matin au soir !
En vain le poète est discret,
La poésie déjà est par elle-même trahison.
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Remarques intercalées
La réflexion consciente du poète s’applique proprement à la forme, la matière lui est fournie par le monde, et avec trop d’abondance, le contenu jaillit spontanément de la plénitude de son cœur; ces deux éléments se rencontrent inconsciemment et, en fin de compte, on ne sait plus à qui appartient au juste la richesse.
Mais la forme, bien qu’elle réside déjà essentiellement dans le génie, veut, être connue et méditée, et pour cela il faut de la réflexion, afin que la forme, le fond et le contenu s’harmonisent, s'adaptent l’un à l’autre, se pénètrent l’un l’autre.
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Le poète est beaucoup trop haut placé pour qu’il se recrute un parti La sérénité et la conscience sont les dons magnifiques pour lesquels il rend grâces au créateur : la conscience de soi pour qu’il ne d'épouvante pas devant le redoutable, la sérénité afin qu’il puisse tout exprimer pour la joie de tous.
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