lundi 5 août 2024

Album d’un pessimiste – Alphonse Rabbe

Album d’un pessimiste – Alphonse Rabbe

LE PAIN FORT

Exister c'est périr ; c’est mourir que de vivre.

 

Monde d’illusions ! tes charmes disparaissent bien vite à l’œil de celui qui ne te regarde plus à travers le prisme des trompeuses voluptés.

 

Tota vita hominis nihil aliud qua miter ad mortem / Toute la vie de l’honnne n’est autre chose qu’un achemi­nement à la mort.

 

Celui qui a tâché de vivre de manière à n’avoir pas besoin de s’occuper de la mort comme d’un événement, la voit venir sans effroi.

 

/Nous y marchons tous ; tous nous nous avançons vers un terme commun.

 

/Mesurons la vie de chacun, non par sa durée, mais par les actions accomplies avec sagesse et courage.

 

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Le sage saura quand il lui convient de mourir, et il lui sera indiffèrent de mourir ; il dira froide­ment à la mort: sois la bien-venue, nous sommes de vieilles connaissances.

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Le sage cherchera l’obscurité... Il méprisera la vie et ses vains amusemens et les fausses joies du vulgaire ; il ne gémira pas dans la douleur, il ne flé­chira pas devant la misère, il ne pâlira pas devant la mort : tel sera le sage.

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Appliquez-vous à écrire le huit de vos plus sé­rieuses méditations : ainsi vous recueillerez vos ins­pirations les plus saintes; votre solitude présente ne sera pas stérile pour vos besoins à venir, et le temps n’emportera pas toute votre pensée ; il vous restera quelque chose de vous-même, pour un autre âge qui vous offrira plus les ressources que vous trouvez dans votre présente énergie.

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Aimez la lecture, chantez mes louanges, gémis­sez de vos fautes, gardez le silence, priez sans cesse, souffrez courageusement tous les maux, toutes les contrariétés de votre destinée ; car la vie que je vous prépare mérite bien d’être achetée par ces épreuves, ces travaux et par déplus grands com­bats encore.

( Imitai, de J.-C. )

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O quelle confiance à un homme au lit de la mort, lorsqu’il sent que son âme n’est attachée à ce monde par l’affection d’aucune chose.

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Si vous vous préparez à souffrir et à mourir comme à deux choses qui vous arriveront infailli­blement , vous serez bientôt soulagé et vous trou­verez la paix du cœur.

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Un individu se hâte d’être, un autre de n’être plus, et, de tout ce qui est , quelque portion s’est déjà éteinte. Au milieu de ce courant éternel où rien n’est stable que le perpétuel changement, quelqu’un pourrait-il faire cas de choses si passa­gères? Ce serait se prendre d’affection pour un oi­seau qui vole et que l’on perd de vue dans un mo­ment.

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Notre vie n’est qu’un souffle, qu’une exhalation d’esprits, durant quelques momens.

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On boit la mort avec plaisir dans le vin dont on croit se désaltérer; elle se mange avec appétit dans les viandes dont on pense faire sa nourriture. Elle est de bonne odeur quand on la sent imprudem­ment dans une fleur ou dans un parfum.

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C’est par la mort seule que l’on peut connaître votre vie : le dernier jour est le juge de tous les autres.

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La mort ne flatte pas et ne nous permet plus de nous flatter.

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Comme toute cette vie n’est qu’un drame, tantôt sérieux et tantôt plaisant, il ne faut pas regarder combien elle dure puisque la beauté d:un drame ne saurait consister dans sa durée. Il faut, seulement vous efforcer de représenter votre personnage le mieux qu’il vous est possible, et ne point vous soucier dans quelle scène vous achevez votre rôle, pourvu que vous le finissiez bien.

( Saint Ambroise. )

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Ceux qui méprisent cette vie ont déjà fait la moitié du chemin de l’autre.

Saint-Chrisostome. )

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Encore que le temps soit la mesure de toutes choses, lui-même accourcit sa mesure, en dévorant tout ce qu’il produit: le dernier moment peut seul assouvir son avidité.

( SEnèquf. )

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La condition des morts est préférable à celle des vivans , puisque ceux-ci craignent tout, et que les autres n’ont plus rien à redouter. Une belle mort est plus à souhaiter qu’une longue vie.

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Les mélancoliques doivent chercher la solitude comme l’asile où le cœur se repose de tous ses frois- semens.

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Ne savoir pas s’affranchir d’une vie malheureuse, c’est craindre d’éprouver une dernière fois, mais à un moindre degré ce que l’on éprouve tous les jours.

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Que le temps est absolu, qu’il est terrible dans ses ravages ! En détruisant les tombeaux des hommes célèbres et les monumens de la grandeur des nations, ne scmble-t-ilpas faire leurs funérailles et ensevelir leur mémoire une seconde fois !

(Alph. Rabbe. )

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On ne songe jamais a ce qu’il faudrait faire dans le monde que sur le point de le quitter.

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Le sage ne s’enfuit pas du monde : il en sort.

( Sénèque.)

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Donc, comme il y a des variétés dans l'organisa­tion humaine, d doit exister des variétés dans l’espèce de bonheur approprié à l’organisation hu­maine.

D’après tout ce que je viens de dire , définissons le bonheur, un changement perpétuel d’état, soit pour le corps, soit pour l’âme : reste ensuite l’appré­ciation des variétés. Il faut aux âmes passionnées et violentes un bonheur un peu orageux ; aux âmes douces, des changemens moins soudains et des transitions mieux ménagées du plaisir à la douleur; mais à tous un continuel mélange de l’un et de l’au­tre, à tous une vie fondée sur l’équilibre du bien et du mal. Pour tous la vie devient mauvaise, quand cet équilibre est détruit ; insupportable , quand le dérangement se prolonge et que Je balancement primitif, loi essentielle de notre être, ne se réta­blit pas.

Concluons : Le bonheur de l’homme est dans l’action comme dans la vie ; parvenir à une situa­tion quelconque pour s’y tenir immobile , ce serait vouloir créer une exception imaginaire, une solu­tion de continuité impossible dans la grande chaîne des causes et des effets. Tout liait et tout se détruit par le mouvement. La plus grande somme de mou­vement possible paraît être le but auquel tendent toutes les puissances de la nature. Quel en est le but ? Nous sommes probablement condamnés à l'i­gnorer; que si nous venions à l’entrevoir, il résul­terait probablement de cette notion mystérieuse, savoir : la confirmation d’une vérité déjà aperçue , que la nature et la société sont entre elles dans la plus funeste et la plus inexplicable opposition.

Chercher le bonheur , c’est pour l’homme en gé­néral poursuivre une maniéré d'être particulière ; mais le bonheur lui-même n’existe réellement que dans un changement quelconque de situation : un homme constamment heureux est une chimère. Le mot constamment implique ici contradiction. Si le bonheur et le malheur n’étaient que le plaisir ou la douleur indéfiniment prolongés, une série non inter­rompue de sensations flatteuses ou de sentimens pé­nibles, ce que l’on dit de l’un conviendrait égale­ment à l’autre. L’état le plus délicieux finit par devenir mortel au physique, stupéfiant au mo­ral. Les orages mêmes servent à renouveler la vie du globe , et les déchiremens les plus affreux du malheur sont suivis d’une tristesse qui a des at­traits pour les âmes passionnées, et qui leur ré­serve des consolations. Le malheur tourne les re­gards de l'âme vers un ordre de choses meilleur eu lui : il ouvre la carrière des plus magnifiques espé­rances. Le malheur détache de la vie, et c’est un grand bien de ne plus craindre la mort.

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Hélas! que de beaux momens dans ma vie j’ai dévorés comme on avale d’impatience un mets insipide ! Tous les regrets du monde ne peuvent pas rappeler une heure perdue à ne pas vivre; mais pourquoi la valeur du présent n’a-t-elle jamais de mesure que dans l’avenir?

Je pensais à tout cela en considérant ces monta­gnes; car la présence des grands tableaux de la na­ture m’a toujours fortement poussé à de sérieuses méditations sur la destinée de l’homme, et sur les vicissitudes particulières de la mienne. Le ré­sultat. de ces méditations , c’est que j’ai manqué la vie pour mon compte, et que je n’ai connu au­cun homme qui fut dans les véritables voies.

Il faut, que de puissantes leçons soient écrites dans les pages d’une nature majestueuse et sévère , pour que ses harmonies fassent toujours entendre au fond de notre âme, la voix du regret. Quand j’a­perçois, au fond d’une vallée qui se resserre par de­grés, un petit bois dominé par des rochers, et que je distingue à gauche, ou derrière, une petite maison , mon cœur bondit et s’écrie là : voilà où je veux être, et point d’hommes!

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Vivre, est-ce désormais autre chose qu'une fa­tigue stérile pour moi ? Se faire un état, se créer un peu d’aisance et de fortune, prendre un rang social fixe et déterminé , ce serait donc pour cela seulement, que je serais venu à plus de trente ans, à travers tant d’émotions , tant de désirs passionnés, tant de larmes et de souffrances diverses !

Non ! il nie faut autre chose je préfère cent fois la froide paix des tombeaux aux agitations miséra­bles de cette vie triviale que les hommes embras­sent au sortir de l’âge des illusions ; ils s’orientent enfin et courrent après une position , disent-ils. Ce qu’ils prétendent devenir , on s’efforce de le déco­rer de quelque nom imposant, de le revêtir de quel­que dignité, et au fond, quel est leur mobile? la sotte ambition de prolonger et d’adoucir une exis­tence qui s’accourcit désormais dans une progres­sion effrayante, et qui devient de plus en plus inhabile aux jouissances et aux véritables douceurs, puisque l'ame a perdu son ressort , et l’imagina­tion sa puissance créatrice.

Il me faut autre chose, et ce bien qui me man­que, je ne puis plus le trouver dans les affections mortelles. Personne ne m’aime, et moi-même, peut-être , j’ai perdu la faculté d’aimer.

Je souhaite et je désire pourtant, je désire avec ardeur ; mes veux se lèvent au ciel, et puis se tournent vers la tombe; j’aspire, je le sens, à ma des­truction. Je m’éveille souvent d’un sommeil dou­loureux pour m'adresser à moi-même cette question pressante : que fais-tu ici bas ? — Ne rêve plus ces voyages lointains, ne songe plus aux climats for­tunés d’un autre continent , de celui qui fut le berceau de l’homme : les hommes sont partout. Laisse là des projets insensés 3 mais tout ce que tu as jamais imaginé vaguement de bonheur et de délices , tout ce que tu as cherché sans le trouver tu l’obtiendras dans une patrie meilleure : lève les yeux, vois l’immensité de l’univers, et dis-moi ensuite pourquoi il faudrait que l’homme dans sa candeur et sa jeunesse eût formé des vœux perdus ; pourquoi, placé au pied de l'échelle immense des mondes, il aurait imaginé une félicité mensongère et noyée en désillusions qui ne se réaliseraient ja­mais? Va, pour ton âme immortelle il est une vie plus vraie que cette vie terrestre! Tu peux être confondu, réduit au silence et perverti par les spé­cieux arguments du désespérant matérialisme ; mais ces vains raisonnemens, dans leur force acca­blante, ne t’ôteront ni le désir ardent de survivre au trépas, ni la profonde conscience delà nécessaire durée de ton être.

LA SOUFFRANCE

J’avais vécu jusqu’à ce moment au sein des dou­leurs; je souffrais, mais je vivais; je gémissais, mais le soupir de l’espérance s’exhalait quelque­fois à la suite de mes gémissemens. Solitaire , aban­donné, il me restait mon âme : il me restait mon cœur La carrière de la pensée et celle des affections m’étaient encore ouvertes, mais aujourd’hui tout est mort. J’avais une âme pour la douleur.

La plus cruelle des maladies a répandu dans mon sang ses affreux poisons, et d’infectes et noires va­peurs pèsent sur mon esprit. L’ennui, l’irremédiable ennui triomphe de mon courage abattu. Rien , rien au monde , je le dis et je le sens avec désespoir, ne peut me ramènera la vie. Le tissu de ses attachemens est brisé pour moi. Je ne forme plus que le vœu qui anéantit tous les souhaits. Je n’éprouve plus que le désir qui met un terme à tous les désirs : la tombe!

 

LES COMBATS DE LA VIE

On pardonne à la jeunesse ses illusions et ses beaux rêves : ce sont des rêves de bonheur et des illusions filles du plaisir; mais l’âge mur n’a plus et ne doit plus avoir d’illusions: elles ne sont plus que de méprisables duperies préparées par l’égoïsme qui se joue de notre propre stupidité— Je ris d’un rire âpre si je vois un homme, apres trente ans, marcher encore dans les routes île la vie, le bandeau de la foi sur les yeux— de cette loi prolongée de la jeu­nesse qui enfante des projets, se promet des succès, des jouissances, se rit complaisamment et croit que la nature, mère attentive et tendre, le met ici- bas pour sa satisfaction.

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