Rien – Samuel Gagnon
Au sixième étage de la bibliothèque, et parmi une centaine d’étudiants au travail (dont tu fais partie), tu remarques une femme d’un certain âge, maquillée comme une figure de l’envers du monde, et à côté d’elle une valise à roulettes. La femme te regarde avec une attention toute particulière, ce qui a pour effet de t’embarrasser. Tu as de la difficulté à envisager les raisons qui la motivent à te fixer toi plutôt qu’un autre, et tu ressens l’inquiétante impression d’être lié à elle. Peut-être que cela a à voir avec la reconnaissance de soi en l’Autre, c’est-à-dire - en l’occurrence et une fois de plus - la reconnaissance d’une femme sur maquillée à valise à roulettes en toi.
De ces dîners dans la cuisine, tu n’as aucun souvenir, mais un rapport logique à l’histoire te suggère qu’ils ont eu lieu. Après avoir pris ton repas, tu devais faire une sieste. Alors ta mère s’asseyait dans sa chaise berçante, qui était dans le salon, elle posait un oreiller sur ses cuisses et elle te couchait sur l’oreiller afin de te bercer en attendant que le sommeil te trouve. Lorsqu’elle remarquait que tu ne dormais pas, qu’elle apercevait dans tes yeux l’évidence d’une pensée, alors il lui arrivait de te demander: «À quoi tu penses?» Ce sont les seules paroles dont tu semblés te souvenir, de toutes ces heures que tu as passées couché sur un oreiller posé sur les cuisses de ta mère. Tu peux alors te souvenir de la surprise que cela te causait qu’elle te demande: «A quoi tu penses?» Tu t’étonnais toi-même de l’état de tes pensées, et ensuite de la constatation que la pudeur n’allait pas te permettre de les communiquer. Alors tu lui répondais: «Je ne pense à rien.»
«À quoi tu penses?
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