Journal – Pages choisies – Eugène Delacroix
Quand j’ai fait un beau tableau, je n’ai point écrit une pensée... C’est ce qu’ils disent!... Qu’ils sont simples! Ils ôtent à la peinture tous ses avantages. L’écrivain dit presque tout pour être compris. Dans la peinture, il s’établit comme un point mystérieux entre l’âme des personnages et celle du spectateur. Il voit des figures de la nature extérieure, mais il pense intérieurement de la vraie pensée qui est commune à tous les hommes, a laquelle quelques-uns donnent un corps en l’écrivant, mais en altérant son essence déliée; aussi les esprits grossiers sont plus émus des écrivains que des musiciens et des peintres. [...]
Le peintre pense moins à exprimer son sujet qu’à faire briller son habileté, son adresse ; de là, la belle exécution, la touche savante, le morceau supérieurement rendu. Eh ! malheureux! pendant que j’admire ton adresse, mon cœur se glace et mon imagination reploie ses ailes.
Les vrais grands maîtres ne procèdent pas ainsi. Non, sans doute, ils ne sont pas dépourvus du charme de l’exécution, tout au contraire, mais ce n’est pas cette exécution stérile, matérielle, qui ne peut inspirer d’autre estime que celle qu’on a pour un tour de force. Paul Véronèse.
L'Antique. C’est qu’il faut une véritable abnégation de vanité pour oser être simple, si toutefois on est de force à l'être ; la preuve, même dans les grands maîtres, c’est qu’ils commencent presque toujours par l’abus que je signale; dans la jeunesse, où toutes leurs qualités les étouffent, ils donnent la préférence à l’enflure, à l’esprit... Ils veulent brûler plus que toucher, ils veulent qu’on admire l’auteur dans ses personnages; ils se croient plats, quand ils ne sont que clairs ou touchants.
Dans le discours de Blanqui, quelques jours auparavant, les images prétendues poétiques à la moderne se mêlent à son argumentation ; il parle d’une crevasse qu’il fallait que la Révolution franchît, pour passer des anciennes idées aux nouvelles. L’élan trop faible n’a pas permis de franchir cette fatale crevasse où l’avenir est bien près de se noyer, mais qui n’embourbe pas le moins du monde la rhétorique de Blanqui. Tout est, dans ce style, ardu, crevassé ou boursouflé. Les grandes et simples vérités n’ont pas besoin, pour s’énoncer et pour frapper les esprits, d’emprunter le style d’Hugo, qui n’a jamais approché de cent lieues de la vérité et de la simplicité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire