PROUST, MUSIL – Partage d’écritures – Anne Longuet Marx
« Nous souffrons tous d’une absence d’identité que nous cherchons à combler. La question “qui suis-je ?” n’a pour moi aucun sens. Elle n'a jamais effleuré mon esprit. Peut-être parce que l’identité qui n’est que le besoin légitime d’avoir un visage à exhiber, n’est en fait que le désir, condamné à rester à l’état de désir, d’une affirmation de nous-mêmes constamment différée. C’est qu’il ne peut y avoir identité que dans la permanence et celle-ci est toute relative, étant passage d’une identité cernée à une autre, entrevue avant d’être à son tour circonscrite. » Edmond Jabes
Proust désigne admirablement à travers ces histoires d’amoureux, à chaque fois exemplaires, la fonction imaginaire du moi. Le moi est avant tout rapport à l’autre, à l’image de l’autre, objet aimé et désiré auquel il s’identifie pour mieux se l’attacher, l’intégrer, en quelque sorte l’assimiler, cet objet qui immanquablement lui échappe. C’est cette grande force de l’oubli, insidieuse et inévitable, qui met en évidence le mécanisme fondamental de discontinuité du comportement.
Ce n’est pas la mort de l’autre qui met fin à l’affection et au désir, mais la mort de l’autre en soi, mort qui objective la mort de soi à soi :
« en effet les femmes qu’on n’aime plus et qu’on rencontre après des années, n’y a-t-il pas entre elles et vous la mort tout aussi bien que si elles n’étaient plus de ce monde, puisque le fait que notre amour n’existe plus fait de celles qu’elles étaient alors, ou de celui que nous étions, des morts ? » (R III, 695)
Dans la Recherche, la métamorphose du héros se fait sous le signe de l’accès à la parole : la fin de l’amour pour Albertine coïncide avec l’annonce à tous — la « publicité » dans le monde — du chagrin provoqué par la mort de son amie. La disparition de la douleur engendre un discours (« cela me faisait un certain plaisir d’en parler » (R III, 589) étranger au passé douloureux qu’il exhibe, met en scène et, partant, dévoile la métamorphose. Celui qui parle n’est pas celui qui aime. Le silence de l’amant s’est soumis à la parole — impudique — du mondain. Métamorphose qui ouvre la voie à toutes les profanations :
« le jour viendrait où je donnerais volontiers à la première venue la chambre d’Albertine, comme j’avais sans aucun chagrin donné à Albertine la bille d’agate ou d’autres présents de Gilberte » (R III, 558).
Nous voyons à quel point dans la perspective proustienne le moi est un objet voué à la disparition, se dérobant toujours à sa propre prise, dans cette fuite en avant, de mirage en mirage.
Les qualités sans homme
« Jadis, l'on avait meilleure conscience à être une personne qu’aujourd’hui. Les hommes étaient semblables à des épis dans un champ ; ils étaient probablement plus violemment secoués qu’aujourd’hui par Dieu, la grêle, l’incendie, la peste et la guerre ; mais c’était dans l’ensemble, municipalement, nationalement, c’était en tant que champ, et ce qui restait à l’épi isolé de mouvements personnels était quelque chose de clairement défini dont on pourrait aisément prendre la responsabilité. De nos jours, au contraire, le centre de gravité de la responsabilité n’est plus en l’homme, mais dans les rapports des choses entre elles. [...] Il s’est constitué un monde de qualités sans homme, d’expériences vécues sans personne pour les vivre ; on en viendrait presque à penser que l’homme, dans le cas idéal, finira par ne plus pouvoir disposer d’une expérience privée et que le doux fardeau de la responsabilité personnelle se dissoudra dans l’algèbre des y significations possibles. Il est probable que la désintégration de la conception anthropomorphique qui, pendant si longtemps, fit de l’homme le centre de l’univers, mais est en passe de disparaître depuis plusieurs siècles déjà, atteint enfin le Moi lui-même » (HSQ I, 178-179).
Les valeurs morales ne sont pas des grandeurs absolues, mais des notions fonctionnelles. Elles sont, au service des intérêts humains, de purs instruments Or, cette crise de la morale dévoile une crise plus profonde, une crise culturelle. Ulrich, discernant incohérences, compromissions, fausses vérités grâce auxquelles le monde garde une apparence de stabilité, découvre donc un monde contradictoire :
« Notre époque ruisselle d’énergie. On ne veut plus voir que des actes, et nulle pensée. Cette terrible énergie provient de ce que l'on n’a plus rien à faire. Intérieurement, je veux dire. Mais en fin de compte, même extérieurement, l’homme ne fait que répéter toute sa vie un seul et même acte : il entre dans une profession, puis y progresse [...]. Il est si simple d’avoir la force d’agir, et si malaisé de trouver un sens à l’action ! » (HSQ II, 88).
Ici, Musil a bénéficié de l’enseignement de Mach auquel il consacre en 1908 son doctorat (Contribution à la critique des théories de Mach). Celui-ci, considérant une pluralité de causes pour un phénomène unique, supprime le concept de causalité et considère déjà le moi comme une somme d’éléments, affirmant : « Das Ich ist unrettbar » (« On ne peut sauver le Moi »)3 celui-ci n’ayant plus qu’un rôle purement économique à jouer.
Le moi ne dirige donc pas les actes qu’accomplit le sujet, il n’a aucun contenu a priori et demeure seulement un garant de continuité entre les expériences, mais un garant fragile.
Musil distingue deux états du moi fondamentalement différents :
« Le “moi” de Descartes est le dernier point fixe dans le raisonnement de la critique de la connaissance : il est l'unité momentanée certaine. Le “moi” dont parlent les mystiques est le moi complexe » (J I, 182).
Soit ces deux états du moi : le moi de la pensée claire et de l’expérimentation (celui des qualités) et un noyau de moi, impossible à appréhender totalement ; ou encore, un moi de surface éclaté (la personne n’est qu’une illusion qui s’épuise en pure multiplicité, dirait Proust) et un moi profond qui n’est en son centre que vide et absence. Or, ce sentiment profond d’absence et de néant, Ulrich le définit comme l’angoisse de quelque chose à quoi il ne donne pas de nom et qui serait précisément l’indéterminé.
« Les idéaux et la morale sont le meilleur moyen de combler ce grand trou qu’on appelle Pâme » (HSQ I, 222).
Cette séparation entre sphère ratioïde et sphère non ratioïde, nous la trouvons déjà dans le premier roman de Musil paru en 1906, Les désarrois de l'élève Törless. Törless, comme Ulrich, est une figure solitaire.
L’un et l’autre, ils ont ce doppelten Blick, ce regard double qui les distingue des autres hommes et leur confère un don de voyance, de lucidité, une possibilité de réflexion spirituelle qui est aussi source de souffrance. Ce regard sur le monde est à la naissance d’un détachement :
"Depuis longtemps traînait sur tout ce qu’il faisait ou vivait un souffle de dégoût, une ombre d’impuissance, et de solitude, un dégoût en quelque sorte généralisé et dont il ne pouvait trouver le goût complémentaire. Il lui semblait parfois qu’il fût né avec des dons pour lesquels, provisoirement, il n’y avait pas d’emploi"(HSQ I, 70).
Il est justement l’homme à qualités, le représentant d’une subjectivité naïve, qui croit encore à la clarté du monde et à l’esprit dominateur ; il accuse Ulrich de se servir de ses qualités comme d’instruments pour dissoudre l’unité du monde réel et se refuse à admettre que la personnalité est une somme de qualités différemment combinables. Ulrich, à l’inverse pense :
« que les qualités personnelles qu’il s’était acquises dépendaient davantage les unes des autres que de lui-même ; bien plus : chacune de ces qualités prise en particulier, pour peu qu’il s’examinât bien, ne le concernait guère plus intimement que les autres hommes, qui pouvaient également en être doués » (HSQ I, 177).
Le thème de l'unio mystica, cher à Musil, est touché ici mais sur le mode de la caricature, annonçant et doublant l’expérience de 1’ « autre état » relatée dans la seconde partie du roman : « ce qui distingue une grande et bouleversante idée d’une idée ordinaire, peut-être même incompréhensiblement ordinaire et absurde, c’est qu’elle se trouve dans une sorte d’état de fusion grâce auquel le Moi pénètre dans des étendues infinies tandis que réciproquement, les étendues du monde entrent dans le Moi, si bien qu’il devient impossible de distinguer ce qui vous appartient de ce qui appartient à l’Infini. »
DU REGARD
Le premier regard, la première perte
« Tout à coup, je m’arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s’adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perceptions plus profondes et dispose de notre être tout entier. Une fillette d’un blond roux, qui avait l’air de rentrer de promenade et tenait à la main une bêche de jardinage, nous regardait, levant son visage semé de taches roses » (R 1, 140).
« Je la regardais, d’abord de ce regard qui n’est pas que le porte-parole des yeux, mais à la fenêtre auquel se penchent tous les sens, anxieux et pétrifiés, le regard qui voudrait toucher, capturer, emmener le corps qu’il regarde et l’âme avec lui » (R I, 141).
Proust : l'expérience de la béance
Avec la découverte de l'éclatement du monde et du moi, le héros de la Recherche décide de se retirer du monde. Cette rupture avec la vie, dénaturation volontaire envisagée comme nécessaire par le héros, peut se comprendre comme la castration après l’épreuve de la dispersion (amoureuse, mondaine). Le dilettante met un terme à la dilapidation anarchique de ses forces. D’où cette nécessité soudaine de solitude, solitude jadis intolérable (à Venise (R III, 655) par exemple, où le héros rejoint sa mère au dernier moment à la gare, vaincu par la force du désir, prisonnier du désir). Solitude qui sacrifie la satisfaction ponctuelle du désir pour le réaliser dans un autre lieu. « Mourir au monde » (R III, 1044), ne pas se laisser détourner de l’immense projet encore incertain, puisqu’il faut d’abord mourir (Proust recourt à la métaphore du grain de froment qui doit mourir pour donner ses fruits), défaire le travail « des habitudes, de l’amour-propre, de la passion, de l’intelligence abstraite » (R III, 896), se détruire pour recomposer la vie. Le héros annonce donc le projet du livre capable de réaliser cette vie perdue :
« elle [la vie] me semblait pouvoir être éclaircie, elle, qu’on vit dans les ténèbres, ramenée au vrai de ce qu’elle était, elle qu’on fausse sans cesse, en somme réalisée dans un livre » (R III, 1032).
L’aveu que la vraie vie est littérature annonce le passage d’un espace à un autre. Or, tant que le héros ne se dénature pas, il reste ce « thésauriseur au coffre-fort crevé » (R III, 1037) qui accumule et dilapide ses richesses dans l’anarchie du non-sens, par le fait de l’absence d’un point fixe, d’un espace défini. C’est l’insignifiance de cet éparpillement de soi et de la succession des jours qui précipite l’arrêt de mort du héros.
« La réalisation m’intéresse toujours beaucoup moins que l’irréalisé, et je ne pense pas seulement à l'irréalisé de l’avenir, mais aupassé, aux occasions perdues. Ce qui caractérise notre histoire, me semble-t-il, est que chaque foi que nous avons réalisé le centième d’une idée, la joie où nous en étions nous en a fait laisser tout le reste inachevé. Les institutions grandioses sont d’ordinaire des ébauches d’idées bousillées. Les personnalités grandioses aussi, d’ailleurs » (HSQ I, 33).
Ce mépris de la vie est la conséquence directe du mépris du moi, des qualités éparses et pitoyables qui, jamais, ne parviennent à constituer, à maintenir l’unité d’un être.
Ulrich préconise donc de vivre hypothétiquement, afin de garder sa liberté à l’égard du monde. Il se refuse | devenir un caractère, à s’engager dans un mode de vie défini. Il y a pour lui plus d’avenir dans l’instable que dans toute stabilité particulière. Walter lui-même a compris que pour son ami tout est susceptible de changement. Le désir qu’il a d’évoluer sans cesse l’empêche de croire à tout accomplissement. Le présent n’est donc qu’une hypothèse qui n’a pas été dépassée. Peu à peu, Ulrich se défait cependant de l’idée d’hypothèse (mot trop incertain) et choisit la notion d’essai. Selon lui, l’essayisme est la manière idéale d’appréhender le monde, c’est-à-dire par de nombreux côtés et jamais d’un seul regard qui trahirait toutes les autres perspectives possibles. L’essai (Versuch) devient la forme unique qu’une pensée décisive peut prendre. La notion d’essai est, bien entendu, associée à celle de rigueur et plus que jamais ennemie de la subjectivité.
Je proposerai de nommer distemps cette expérience particulière qui pour l’un est « mémoire involontaire », « autre état » pour l'autre ; distemps, c'est-à-dire temps unique de la sensation, distemps en ce qu'il est à la fois mise à distance ce la limite (celle du moi qui toujours meurt, ce la mort qui marque chaque instant), distanciation donc, et distemporalité, puisqu'il se dégage du temps. De là s’ensuit que le sujet du distemps n’est pas celui du temps de la conscience. De là encore va s’ensuivre que le sujet de la conscience n’est pas maître du langage puisque, à cet instant du surgissement de l’expérience, la langue lui fait défaut.
Proust et le phénomène de la mémoire involontaire
L’expérience de la mémoire involontaire, à l’encontre de l’autre état musilien, ne s’inscrit pas au terme d’une recherche théorique ou mystique. Certes, dans l’essai abandonné en 1909, qu’il a été convenu jusqu’à présent d’appeler le Contre Sainte-Beuve, Proust affirme son esthétique : l’art est une chose trop supérieure à la vie, dit-il, pour que l’on puisse se contenter de contrefaire celle-ci grâce à l’intelligence. Il s insurge contre l’intelligence et le réalisme en littérature qui ne s’intéressent qu’au moi superficiel. Rappelons le célèbre « démarrage » de la préface déjà citée :
« Chaque jour j’attache moins de prix à l’intelligence. Chaque jour je me rends mieux compte que ce n’est qu’en dehors d’elle que l’écrivain peut ressaisir quelque chose de lui-même et la seule matière de l’art. Ce que l’intelligence nous rend sous le nom de passé n’est pas lui » (CSB, 211).
Musil et l'autre état
« Il faudra absolument établir un four un bilan correct des rapports conscient-inconscient ; il se pourrait que le résultat (si l’on fait la part du facteur réflexif, constant, opposé à l’autre en nous) fût surprenant.
« Mais il faut d’abord que les données du problème soient correctement établies. Comme mes connaissances dans ce domaine sont encore minimes, mon devoir est de m’instruire auprès des Romantiques et des mystiques » (J 1, 183-184).
Le premier roman de Musil, déjà, était le théâtre d’une obsession : celle de la recherche d’une réconciliation de l’âme et de la ratio, des deux pôles contradictoires de l’intellect avec son ordre de pensée logique et systématique et de l’irrationnel, profondeur insondable ».
Sa distinction de deux sortes de moi, le moi de Descartes, le cogito, unité momentanée certaine, dernier point fixe dans le raisonnement de la critique de la connaissance, et un moi complexe, un noyau de l’être « très inconnu », cette « terre étrangère », le conduit à s’intéresser aux grands textes mystiques et à tout ce qui se rapporte à l’expérience de l’extase. De là on intérêt prolongé pour l’Eros cosmogonique de Ludwig Klages.
Le titre même de son roman, L'homme sans qualités peut être considéré lui-même comme relevant de la mystique ; en effet Maître Eckhart, le premier, a recours au concept de « qualité » pour définir la sphère de la simple activité, la captivité dans le terrestre court, superficiel, l’aliénation. Celui qui donc sera sans qualités, « désert sans nom de sa divinité », ce sera Dieu. L homme sans qualités, c’est donc aussi le nom de Dieu, le nom qui ne nomme rien, le nom de rien, le nom non-représentatif, le nom propre.
Dans les quatrième et cinquième chapitres, « De l'état d’extase » et « De la nature de l’extase », Klages définit avec précision ce phénomène. Pour lui, l'eros n’est pas un instinct mais un « état complet », non pas un état de besoin mais un état d’accomplissement « en soi ». Il parle d’extase voluptueuse de Pâme et insiste sur le caractère dionysiaque de celle-ci, sur ce débordement hors des limites de l'individualité.
Il distingue deux sortes de manifestations, la « fureur déchaînée » et le « transport cristallin », toutes deux comportant cette pression du débordement de soi. Ce débordement de soi est la révélation même de « ce qui sourd perpétuellement du plus secret de l’âme », la manifestation de l’âme se libérant de l'esprit. Klages insiste sur le fait que l'extase est élimination de soi, de l'entité individuelle, insécable.
« La parole ne sert qu’aux communications inauthentiques. Nous ne parlons qu’aux heures où nous ne vivons pas. Dès que nous parlons, des portes se ferment [...]. La vraie vérité qui unit deux êtres ne peut pas être exprimée. Tout effort lui devient un obstacle. Les âmes s’unissent quand les lèvres se séparent » (J II, 76).
Musil ne renonce à rien : il veut la forme mais aussi l’exhaustivité des définitions, l'un, mais aussi le tout de l’objet.
A l’instar d’Hermann Broch, il rêve de « faire monde » de son roman en y intégrant toutes les dimensions, toutes les visions, toutes les réalités, ces images que l’on fait passer pour le réel. Et s’attachant ainsi aux réalités du monde dont il se dit le miroir, il s’éloigne du réel de l’œuvre, revenant sans cesse sur la question de la « solution globale » (J II, 88), de la conviction » (J II, 643).
Son projet revient donc à ceci : faire de l’Expérience, de l’état extatique, l’emblème d’une nouvelle morale. Toute la seconde moitié du roman tourne autour de la question : comment transformer un état — sans nom — en pratique ? Comment passer de l’un à l’autre sans perte ? Comment une morale des états, des instants géniaux, est-elle possible ?
Cette préoccupation obsède Musil jusqu’à sa mort, alors que dès 1920, il avait prévu l’échec du « voyage au paradis », c’est-à-dire de la transformation de l’état-instant en durée. Se maintenir sur les cimes de l ’extase, c’est aussi ce que Proust tente lors de son expérience de la mémoire involontaire, dans une lutte acharnée entre le passé et le présent, entre l’impression (l'imaginaire) et le réel ; mais ce dernier l’emporte, force qui malgré le désir du héros, finit toujours par arraisonner l'image du passé.
Le propos de Musil est donc d'empêcher le réel de resurgir car il est l'obstacle, l’irrésistible obstacle à sa quête imaginaire.
Le créer comme un monde, c’est-à-dire le composer pièce à pièce, en agencer les parties, en préparer les effets dans une attention portée toujours à la fois sur le détail et sur l’ensemble, comme on prépare une guerre :
« Un livre doit être bâti je ne dis pas comme un monument mais comme une robe. On change de place, etc., on y fait au dernier moment des regroupements de force et avant il doit être préparé comme une guerre » (MG, 320).
Le héros de la Recherche, au terme du douloureux apprentissage d’une vie, s’aperçoit qu’à la question « qui sont les autres ? », il n’y a de réponse qu’imaginaire, et autant que la souffrance — la jalousie — peut lui en souffler. De l’Etre, il n’apprend rien, parce que la question réelle n’est autre que celle du devenir de sa propre histoire : demeurer dans l’obsession du sens, c’est déjà s’ouvrir à l’accès au langage, à la resymbolisation du monde, et par ce détour de la construction d’un espace, faire surgir ce réel conquis qu’est l’avènement d’une parole nouvelle et vraie d’un sujet décentré par rapport à l’individu qui enfin parle.
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