Karl Marx Peuchet : Au sujet du suicide
Ce n'est pas en France, seulement chez des écrivains véritablement et proprement « socialiste » que l'on doit chercher la description critique des conditions sociales mais chez des écrivains appartenant à toutes les branches de la littérature, notamment de la littérature romanesque et des mémoires. Je vais donner, â l'aide de quelques extraits concernant « Le suicide » pris dans les « mémoires tirés des archives de police etc... par Jacques Peuchet », un exemple de cette critique française qui peut immédiatement montrer jusqu'à quel point peut être fondée l'illusion des bourgeois philanthropes selon laquelle il s'agirait de donner un peu de pain et d'éducation aux prolétaires, que seul le travailleur s'étiolerait seulement à cause de l'état social actuel et, qu'ensuite, le monde existant serait le meilleur des mondes.
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Madame de Staël, qui ressassa beaucoup de lieux communs et les réhabilita quelque temps dans le plus beau style du monde, s'est attachée à démontrer que le suicide est une action contre nature, et que l'on ne saurait le regarder comme un acte de courage ; elle a surtout établi qu'il était plus digne de lutter contre le désespoir que d'y succomber. De semblables raisons affectent peu les âmes que le malheur accable. Sont-elles religieuses, elles spéculent sur un meilleur monde ; ne croient-elles en rien au contraire, elles cherchent le repos du néant. Les tirades philosophiques n'ont aucune valeur à leurs yeux, et sont d'un faible recours dans le chagrin. Il est surtout absurde de prétendre qu'un acte qui se consomme si fréquemment soit un acte contre nature ; le suicide n'est d'aucune manière contre nature, puisque nous en sommes journellement les témoins. Ce qui est contre nature n'arrive pas.
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Tout ce que l'on a dit contre le suicide tourne dans le même cercle d'idées. On oppose au suicide les décrets de la Providence, (sans nous faire lire ces décrets d'une façon bien claire, puisque, après tout, ceux qui se frappent en doutent. Ce peut être par la faute de ceux qui n'auront pas rendu les termes de ces décrets-là intelligibles et satisfaisans. Le diamant de l'Évangile est lui-même resté dans son argile).
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L'homme semble un mystère pour l'homme ; on ne sait que blâmer et l'on ignore.
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Les malheureux s'en soucient peu du reste ; et si le suicide accuse quelqu'un vis-à-vis de Dieu, l'accusation plane surtout sur les gens qui restent ; puisque, dans cette foule, pas un n'a mérité que l'on vécût pour lui. Les moyens puérils et atroces qu'on a imaginés ont-ils lutté victorieusement contre les suggestions du désespoir ?
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La révolution n'a pas fait tomber toutes les tyrannies ; les inconvéniens reprochés aux pouvoirs arbitraires subsistent dans les familles ; ils y causent des crises analogues à celles des révolutions.
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En somme, les rapports entre les intérêts et les esprits, les véritables relations entre les individus, sont à créer de fond en comble parmi nous ; et le suicide n'est qu'un des mille et un symptômes de cette lutte sociale, toujours, flagrante, dont tant de combattants se retirent parce qu'ils sont las de compter parmi tes victimes et parce qu'ils se révoltent contre la pensée de prendre un grade au milieu des bourreaux.
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Les hommes les plus lâches, les moins energiques, deviennent impitoyables dès qu’ils peuvent faire valoir l’autorité absolue du chef de famille. L’abus de cette autorité est, pour ainsi dire, un succédané vulgaire pour la fréquente soumission et dépendance à laquelle ils doivent se plier bon gré mal gré dans la société bourgeoise.
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Au jaloux, il faut un esclave. Le jaloux peut être amant, mais l'amour n'est qu'un sentiment de luxe pour la jalousie ; le jaloux est avant tout propriétaire.
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