Netotchka
Nezvanova - Dostoievski
Je me souviens,
ma solitude me devenait toujours de plus en plus
pesante, comme mon silence que je n'osais pas rompre. Je vivais d’une vie
consciente depuis déjà une année entière, toujours à réfléchir, à rêver, à me
torturer en cachette de toutes sortes d’élans inconnus, obscurs que je sentais
naitre en moi. Je devenais sauvage, comme dans une forêt.
Mais moi, je ne comprenais presque rien à ce qui
m’arrivait. Tout en moi s’agitait d’une espèce de sensation nouvelle,
inexplicable, et je n’exagérerai pas si je dis que je souffrais, que je me
déchirais de ce sentiment nouveau. Bref - et qu’on me pardonne ce que je vais dire
- j’étais amoureuse de ma Katia. Oui, c’était de l’amour, un amour authentique,
un amour avec des larmes et des joies, un amour passionné. Qu’est-ce donc qui
m’attirait en elle ? d’où avait pu naître un amour pareil ? Cet amour avait
commencé à mon premier regard, quand tous mes sentiments avaient été si
doucement frappés par la vue d’une enfant belle comme un ange. Tout en elle
était splendide ; pas un seul de ses vices n’était né en même temps qu’elle -
tous lui avaient été inoculés et tous se trouvaient en état de lutte. On voyait
partout une origine splendide qui prenait pour un temps une forme fausse ; mais
tout en elle, à commencer par cette lutte, luisait d’une espérance joyeuse,
tout annonçait un avenir splendide. Tout le monde l’admirait, tout le monde
l’aimait, pas seulement moi. Quand, parfois, vers trois heures, on sortait nous
promener, tous les passants s’arrêtaient comme frappés sitôt qu’ils lui
lançaient un regard, et, souvent, on entendait un cri de stupeur à la suite de
cette enfant heureuse. Elle était née pour le bonheur, elle devait être née
pour le bonheur - voilà quelle était la première impression quand on la
rencontrait. Peut-être, la première fois, était-ce le sentiment esthétique, le
sens de la grâce qui avait été bouleversé en moi, c’est d’abord lui qui avait
parlé, réveillé par la beauté, et voilà toute
la raison de mon amour.
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