dimanche 21 septembre 2025

Journal - Katerine Mansfield

 Journal - Katerine Mansfield

 

1916

Et maintenant qu’est-ce en vérité que je veux écrire ? Je me demande : suis-je moins qu’autrefois un écrivain ? Le besoin d’écrire est-il moins urgent ? Me semble-t-il aussi naturel de chercher cette forme d’expression ? La parole a-t-elle suffi à la créer ? Est-ce que je demande autre chose que de raconter, de me souvenir, de m’affirmer moi-même ?

Il y a des moments où ces pensées m’épouvantent à moitié et me persuadent presque. Je me dis : « Désormais, tu as atteint une telle plénitude en toi-même, une telle plénitude du sentiment d’exister, de vivre, d’aspirer à un sens plus vaste de la vie, à un plus profond amour, que cette autre aspiration t'a abandonnée. » Mais non, au fond, je ne suis pas convaincue, car mon désir, en réalité, n’a jamais été plus ardent. Seule, la forme que je voudrais choisir a radicalement changé. Ce n’est plus le même aspect des choses qui m'occupe. Les gens qui vivaient, ou que je voulais introduire dans mes récits, ne m’intéressent plus. Les intrigues de mes contes me laissent parfaitement froide. A supposer que ces êtres-là existent, que toutes ces différences, ces complexités, ces décisions soient bien celles que comportent leurs caractères... pourquoi donc raconterais-je, moi, leur histoire ?

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Je songeais hier aux armées perdues, gaspillées du début de mon adolescente. La vie, au collège, qui, à certains égards, demeure un Souvenir, si vif, si détaillé, on pourrait croire que ni livres, ni leçons n'y ont jamais joué un rôle.  Je vivais dans les élèves, le professeur, le grand beau bâtiment, dans les feux flambants de l'hiver, dans les fleurs abondantes de l'été.

1917

Au cœur de la note.

Chaque fois que nous causons d’art d'une façon plus ou moins intéressante, je me mets à souhaiter de toute mon âme qu’il me soit possible de détruire tout ce que j’ai écrit et de recommencer ; ces choses-là me semblent autant de « faux départs ». Musicalement parlant, elles ne donnent pas, elles n’ont jamais donné, le cœur de la note — vous voyez ce que je veux dire ? Par exemple, vous venez de jouer, par une matinée froide peut-être, et votre exécution paraissait bonne... puis, tout à coup, vous vous rendez compte que vous vous êtes réchauffé, que vous venez à peine de commencer à jouer vraiment. Oh, que tout cela est mal exprimé ! Que c’est confus et même grammaticalement incorrect !

1920

28    janvier.
Je ne me souviendrai pas de ce qui est arrivé en ce jour. C'est un néant. A la fin de ma vie, il se peut que je le désire, que j'aspire à le ravoir. La lune était nouvelle ; de cela, je me souviens. Mais qui est venu, ce que j’ai fait — tout cela est perdu. C'est un. jour manqué, voilà tout, un jour jeté par-dessus bord.

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Un propos de table de Coleridge.

« Il est intolérable que les hommes qui ne savent rien, ne comprennent même pas le monde dans lequel ils vivent quotidiennement et auquel ils ramènent tout. »

A retenir !

« Bien que les événements contemporains obscurcissent les événements passés d’un vivant, il suffit qu'il soit mort pour que toute sa vie entre dans l’histoire et que toutes les actions Se situent sur le même plan. »

Complètement faux !

« Une fréquentation intense de la Bible évitera toute vulgarité dans le style. »

Non, dans le langage.

« Pour ma part, ce n'est pas la terre qui est sous mes pieds qui fait mon pays. Mais sa langue; sa religion, ses lois, son gouvernement, son sang—«c'est ça qui fait une patrie. »

Non, pour moi, c'est le sol que j'ai sous les pieds.

« La plupart des femmes n'ont aucun caractère », dit Pope, et il prenait cela pour de la satire. Shakespeare, qui connaissait l'homme et la femme, voyait bien qu'en fait l'absence de caractère de la femme était le signe même de sa perfection. Chacun désire avoir pour femme une Desdémone ou une Ophélie — créatures qui, bien qu'elles ne vous comprennent pas toujours, ressentent et éprouvent vos sentiments. »

Cette fois, c'est absurde.

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Les causeries    de    Coleridge sur Shakespeare

L'illusion au théâtre.

« Non seulement nous ne sommes jamais induits en erreur — ou quoi que ce soit de semblable — mais l’intention de provoquer la plus grande illusion possible en misant sur les sens des spectateurs est une faute grossière, qui n’arrive qu'à des esprits médiocres qui, sachant qu'ils ne peuvent toucher ni l'esprit, ni le cœur, s'efforcent d'exciter des sentiments momentanés. La peine et le plaisir devraient s’équilibrer et pouvoir être toujours amplement payés par la pensée. »

Ça, c’est merveilleux. Que l'on pense à Tchékov et à Barrie. Que l'on pense à La où le verger, les oiseaux, etc. sont tout à fait inutiles. Toute l'aube est dans une chandelle que l'on éteint.

Un auteur devrait « avoir éprouvé ou imaginé si profondément certaines choses que ce soit pour lui une nécessité naturelle que de faire appel à la sympathie — sans aucun doute, avec cet honorable désir d’une action durable qui caractérise le génie ».

« Il est dommage que nous jugions les; livres par les livres, au lieu de nous servir de notre-propre expérience. »

« La seconde... cause distincte de >cette fâcheuse disposition du goût    (c'est-à-dire per l'étrangeté du

langage dramatique plutôt que l'exaltation) est... la sécurité, l'équivalence relative mais    de la

similitude des vies humaines. »

Non ! non ! non !
« Dans ses toutes premières productions, Shakespeare est sorti de lui-même, et il a senti, et fait sentir aux autres, des sujets qui ne lui étaient aucunement proches, si ce n'est par la force de la réflexion et par cette sublime faculté par laquelle un grand esprit se confond avec l'objet de sa méditation. »

Tu l'as dit, Coleridge !

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