Le livre du philosophe - Nietzsche
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Il faut établir la proposition : nous ne vivons que grâce à des illusions —
notre conscience effleure la surface. Bien des choses échappent à notre regard.
Il n’est pas non plus à craindre que l’homme se connaisse jamais totalement,
qu’il pénètre à tout instant toutes les lois des forces du levier, de la
mécanique, toutes les formules de l’architecture, de la chimie, qui sont utiles
à la vie. Mais il est bien possible que le schème entier en devienne
connu. Cela ne change presque rien à notre vie. Pour elle il n’y a, dans tout
cela, que des formules désignant des forces absolument inconnaissables.
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Nous vivons assurément,
grâce au caractère superficiel de notre intellect, dans une illusion
perpétuelle nous avons donc besoin, pour vivre, de l’art à chaque instant.
Notre œil nous retient aux formes. Mais si nous sommes nous-mêmes ceux
qui avons éduqué graduellement cet œil, nous voyons aussi régner en nous-mêmes
une force artiste. Nous voyons même dans la nature des mécanismes
contraires au savoir absolu : le philosophe reconnaît le langage de
la nature et dit : « Nous avons besoin de l’art » et « il ne nous faut
qu’une partie du savoir ».
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Le fait d’imiter est le contraire du fait de connaître en ce
sens que précisément le fait de connaître ne veut faire valoir aucune
transposition mais veut maintenir l’impression sans métaphore et sans
conséquences. A cet usage, l’impression est pétrifiée : elle est prise et
marquée par les concepts, puis tuée, dépouillée et momifiée et conservée sous
forme de concept.
Or il n'y a pas d'expression « intrinsèque » et pas de connaissance
intrinsèque sans métaphore. Mais l'illusion à ce sujet persiste,
c'est-à-dire la croyance à une vérité de l’impression sensorielle. Les
métaphores les plus habituelles, celles qui sont usuelles, ont maintenant
valeur de vérités et de mesure pour les plus rares. Seule gouverne ici en soi
la différence entre coutume et nouveauté, fréquence et rareté.
Le fait de connaître est seulement le fait de travailler sur les
métaphores les plus agréées, c'est donc une façon d’imiter qui n'est plus
sentie comme imitation. Il ne peut donc naturellement pas pénétrer dans le
royaume de la vérité.
Le pathos de l’instinct de vérité présuppose l'observation que les
différents univers métaphoriques sont désunis et se combattent, par exemple le
rêve, le mensonge, etc., contre la manière de voir habituelle et usuelle :
l'une est plus rare, l'autre plus fréquente. Ainsi l’usage combat l’exception,
le réglementaire contre l'inhabituel. De là vient que le respect de la réalité
quotidienne passe avant le monde du rêve.
Or ce qui est rare et inhabituel est ce qui a le plus de charme — le
mensonge est ressenti comme séduction. Poésie.
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