samedi 5 novembre 2022

POESIE COMPLETE - SAINT DENYS-GARNEAU

 POESIE COMPLETE - SAINT DENYS-GARNEAU

ACCOMPAGNEMENT

MA SOLITUDE N’A PAS ETE BONNE

 

Ma solitude au bord de la nuit

N’a pas été bonne

Ma solitude n'a pas été tendre

À la fin de la journée au bord de la nuit

Comme une âme qu'on a suivie

sans plus attendre

L'ayant reconnue pour sœur.

 

Ma solitude n'a pas été bonne

Comme celle qu'on a suivie

Sans plus attendre choisie

Comme une épouse inébranlable

Pour la maison de notre vie

Et le cercueil de notre mort

Gardien de nos os silencieux

Dont notre âme se détache.

 

---

 

Ma solitude au bord de la nuit

N’a pas été cette amie

L'accompagnement de cette gardienne

La profondeur claire de ce puits

Le lieu retrait de notre amour

Où notre cœur se noue et se dénoue

Au centre de notre attente.

 

Elle nous est venue comme une folie

par surprise

Comme une eau qui monte

Et s’infiltre au dedans

Par les fissures de notre carcasse

Par tous les trous de notre architecture

Mal recouverte de chair

Et que laissent ouverte

Les vers de notre putréfaction.

 

---

 

Elle est venue une infidélité

Comme une fille de mauvaise vie

Qu'on a suivie

Pour s’en aller

Elle est venue pour nous ravir

et pour nous lâcher.

Dans le cercle de notre lâcheté

Elle est venue pour nous voler

Et nous laisser désemparé

Elle est venue pour nous séparer

 

Alors l’âme en peine là-bas

C’est nous qu’on ne rejoint pas

C’est moi que j'ai déserté

C’est mon âme qui fait cette promenade cruelle

Toute nue au froid désert

Durant que je me livre à cet arrêt tout seul

À cette solitude fermée

Pour ne pas prendre part au terrible jeu

À l'exigence de toutes ces petites

Secondes irremplaçables,

 

Et quelle ombre au bord du parvis

Quelle ombre lumineuse amie

Attend les pas de nos déroutes

Que nulle pitié n’a suivie

Ni la nôtre.

---

 

Mes paupières en se levant ont laissé vides mes yeux

Laissé mes yeux ouverts dans une grande solitude

Et les serviteurs de mes yeux ne sont pas allés

Mes regards ne sont pas allés comme des glaneuses

Par le monde alentour

Faire des gerbes lourdes de choses

Ils ne rapportent rien pour peupler mes yeux déserts

Et c’est comme exactement s’ils étaient

demeurés en dedans

Et que la porte fût restée fermée.

 

---

Une sorte de repos

à regarder un ciel passant

 

Tout ce qui pèse fut relégué

Le désespoir pas de bruit dort sous la pluie

 

La Poésie est une Déesse

dont nous avons entendu parler

 

Son corps trop pur pour notre cœur

Dort tout dressé

Par bonheur c’est de l’autre côté

Nous n’entreprendrons pas maintenant

De lui voler des bijoux

qu’elle n’a pas étant nue.

 

LA NUIT

Et maintenant quand est-ce que nous avons mangé

notre joie

Toutes les autres questions en ce moment ont fermé

la bouche de leur soif

Et l’on n’entend plus que celle-là qui reste

persistante et douloureuse

Comme un souvenir lointain qui nous déchire jusqu’ici

Cette promesse et cette espèce d’entrevue

avec la promise

Et maintenant que nous nous sommes déchirés

un sillon jusqu’ici,

Jusqu’où nous en sommes

Cette question nous rejoint

Et nous emplit de sa voix de désespoir

Quand est-ce que nous avons mangé notre joie

Où est-ce que nous avons mangé notre joie

Qui est-ce qui a mangé notre joie

Car il y a certainement un traître parmi nous

Qui s’est assis à notre table quand nous nous sommes

assis tant que nous sommes

Tant que nous étions

Tous ceux qui sont morts de cette espèce de caravane

qui a passé

Tous les enfants et les bons animaux de cette journée

qui sont morts

Et tous ceux maintenant lourds aux pieds

qui continuent à s’acheminer

Dans cette espèce de rêve aux mâchoires fermées

Et dans cette espèce de désert de la dernière aridité

Et dans cette lumière retirée derrière un mur infranchissable de vide et qui ne sert plus à rien

Parmi tous ceux qui nous sommes assis

tant que nous étions et tant que nous sommes

(Car nous transportons le poids des morts

plus que celui des vivants)

Qui est-ce qui a mangé notre joie parmi nous

Dont ne reste plus que cette espèce de souvenir

qui nous a déchirés jusqu’ici

Qui est-ce parmi nous que nous avons chacun abrité

Accueilli parmi nous

Retenu parmi nous par une espèce de secrète entente

Ce traître frère que nous avons reconnu pour frère

et emmené avec nous dans notre voyage d’un

commun accord

Et protégé d’une complicité commune

Et suivi jusqu’à cette extrémité que notre joie

a été toute mangée

Sous nos yeux sans regarder

Et qu’il ne reste plus que cette espèce de souvenir

qui nous a déchiré jusqu’ici

Et cet illusoire désespoir qui achève de crever

dans son lit.

 

– I –

On n'avait pas fini de ne plus se comprendre

On avançait toujours à se perdre de vue

On n’avait pas fini de se trouver les plaies

On n’avait pas fini de ne plus se rejoindre

Le désir retombait sur nous comme du feu

 

Notre ombre invisible est continue

Et ne nous quitte pas pour tomber derrière nous

sur le chemin

On la porte pendue aux épaules

Elle est obstinée à notre poursuite

Et dévore à mesure que nous avançons

La lumière de notre présence

 

On n’arrive guère à s’en débarrasser

En se retournant tout à coup on la retrouve

à la même place

On n’arrive pas à la secouer de soi

Et quand elle est presque sous nous alentour de midi

Elle fait encore sous nos pieds

Un trou menaçant dans la lumière.

 

– II –

On s’est tous réunis dans le milieu du temps

On a tout réuni dans le milieu de l'espace

Bien moins loin du paradis que d’habitude

On s’est tous réunis pour une grande fête

Et l’on a demandé à Dieu le Père et Jésus-Christ

Et au Saint-Esprit qui est la Troisième Personne

On leur a demandé d’ouvrir un peu le Paradis

De se pencher et de regarder

Voir s'ils reconnaissaient un peu le monde

Si cela ressemblait un peu à l’idée qu’ils en ont

Si ce n’émit pas bien admirable ce qu’ils en ont fait

 

Ceux qui sont venus avec une âme du bon Dieu

Avec des yeux du bon Dieu

Pour faire un bouquet pur avec le monde

– III –

 

La terre était dans l’ombre et mangeait ses péchés

On était à s’aimer comme des bêtes féroces

La chair hurlait partout comme une damnée

Et des coups contre nous et des coups entre nous

Résonnaient dans la surdité du temps qui s’épaissit

 

Voilà qu’ils sont venus avec leur âme du bon Dieu

Voilà qu’ils sont venus avec le matin de leurs yeux

Leurs yeux pour nous se sont ouverts comme une aurore

Voilà que leur amour a toute lavé notre chair

Ils ont fait de toute la terre un jardin pré

Un pré de fleurs pour la visite de la lumière

De fleurs pour la présence de tout le ciel dessus

 

Ils ont bu toute la terre comme une onde

Ils ont mangé toute la terre avec leurs yeux

Ils ont retrouvé toutes les voix que les gens ont perdues

Ils ont recueilli tous les mots qu’on avait foutus

 

– IV –

 

Le temps marche à nos talons

Dans l’ombre qu’on fait sur le chemin

Tous ceux-là, le temps et l'ombre sont venus

Ils ont égrené notre vie à nos talons

Et voilà que les hommes s’en vont en s'effritant

Les pas de leur passage sont perdus sans retour

Les plus belles présences ont été mangées

Les plus purs éclats furent effacés

Et l’on croit entendre les pas du soir derrière soi

Qui s’avance pour nous ravir toutes nos compagnies

Qui vient effacer en cercle tout le monde

Vient dépeupler la terre à nos regards

Nous refouler au haut d’un rocher comme le déluge

Nous déposséder de tout l’univers

Et nous prendre au piège d’une solitude définitive

 

Mais voilà que sont venus ceux qu’on attendait

Voilà qu’ils sont venus avec leur âme du bon Dieu

Leurs yeux du bon Dieu

Qu’ils sont venus avec les filets de leurs mains

Le piège merveilleux de leurs yeux pour filets

Ils sont venus par derrière le temps et l'ombre

Aux trousses de l’ombre et du temps

Ils ont tout ramassé ce qu’on avait laissé tomber.

 

– V –

 

On n’a pas lieu de se consoler quand la nuit vient

De se tranquilliser d'être soulagé

De regarder avec un sourire autour de soi

Et parce qu’on ne voit plus l’ombre de se croire libéré

 

C'est seulement qu’on ne la voit plus

Sa présence n’est plus éclairée

Parce qu’elle a donné la main à toutes les ombres

Nous ne sommes plus qu’une petite lumière enfermée

Qu’une petite présence intérieure dans l’absence

universelle

Et l’appel de nos yeux ne trouve point d’écho

Dans le silence de l’ombre déserte

 

On passe en voyage au soleil

On est un passage vêtu de lumière

Avec notre ombre à nos trousses comme un cheval

Qui mange à mesure notre mort

 

Avec notre ombre à nos trousses comme une absence

Qui boit à mesure notre lumière

 

Avec notre absence à nos trousses comme une fosse

Un trou dans la lumière sur la route

Qui avale notre passage comme l'oubli.

 

POIDS ET MESURES

 

Il ne s’agit pas de tirer les choses par les cheveux

D’attacher par les cheveux une femme

à la queue d’un cheval

D’empiler des morts à la queue-leu-leu

Au fil de l’épée, au fil du temps.

 

On peut s’amuser à faire des nœuds

avec des lignes parallèles

C'est un divertissement un peu métaphysique

L’absurde n'étant pas réduit à loger au nez de Cyrano

Mais en regardant cela la tête à l’envers

On aperçoit des évocations d’autres mondes

On aperçoit des cassures dans notre monde

qui font des trous

 

On peut être fâché de voir des trous dans notre monde

On peut être scandalisé par un bas percé un gilet

Un gant percé qui laisse voir un doigt

On peut exiger que tout soit rapiécé

 

Mais un trou dans notre monde c’est déjà quelque chose

Pourvu qu’on s’accroche dedans les pieds

et qu’on y tombe

La tête et qu’on y tombe la tête la première

Cela permet de voguer et même de revenir

Cela peut libérer de mesurer le monde à pied,

pied à pied.

 

LA MORT GRANDISSANTE

 

Et jusqu'au sommeil perdu dont erre l’ombre

autour de nous sans nous prendre

Estompe tout, ne laissant que ce point en moi

lourd lourd lourd

Qui attend le réveil au matin pour se mettre

tout à fait debout

Au milieu de moi détruit, désarçonné, désemparé,

agonisant.

 

---

 

Ah! ce n’est pas la peine qu’on en vive

Quand on en meurt si bien

Pas la peine de vivre

Et voir cela mourir, mourir

Le soleil et les étoiles

 

Ah! ce n’est pas la peine de vivre

Et de survivre aux fleurs

Et de survivre au feu, des cendres

Mais il vaudrait si mieux qu’on meure

Avec la fleur dans le cœur

Avec cette éclatante

Fleur de feu dans le cœur.

---

 

C'est eux qui m’ont tué

Sont tombés sur mon dos avec leurs armes, m’ont tué

Sont tombés sur mon cœur avec leur haine, m’ont tué

Sont tombés sur mes nerfs avec leurs cris, m’ont tué

 

C'est eux en avalanche m’ont écrasé

Cassé en éclats comme du bois

 

Rompu mes nerfs comme un câble de fils de fer

Qui se rompt net et tous les fils en bouquet fou

Jaillissent et se recourbent, pointes à vif

 

Ont émietté ma défense comme une croûte sèche

Ont égrené mon cœur comme de la mie

Ont tout éparpillé cela dans la nuit

 

Ils ont tout piétiné sans en avoir l’air,

Sans le savoir, le vouloir, sans le pouvoir,

Sans y penser, sans y prendre garde

Par leur seul terrible mystère étranger

Parce qu’ils ne sont pas à moi venus m’embrasser

 

Ah ! dans quel désert faut-il qu’on s’en aille

Pour mourir de soi-même tranquillement.

 

---

 

Mais les vivants n'ont pas pitié des morts

Et que feraient les morts de la pitié des vivants

Mais le cœur des vivants est dur comme un bon arbre

et ils s’en vont forts de leur vie

Pourtant le cœur des morts est déjà tout en sang

et occupé d’angoisse depuis longtemps

Et tout en proie aux coups, trop accessible aux coups

à travers leur carcasse ouverte

Mais les vivants passant n’ont pas pitié des morts

qui restent avec leur cœur au vent sans abri.

 

---

 

                  Nous avons mis à mort la pitié

Nous ne pouvons pas quelle soit

Nous sommes les orgueilleux

Nous nions les regards de pitié.

 

                  Nous sommes les regards de pitié

Nous ne pouvons pas ne pas être sur terre

Les regards de pitié.

 

UN AUTRE ENCORE

ou

LE MOURANT QUI ME JOINT ET

M’ABREUVE DE CENDRE

 

Il y a certainement quelqu’un qui se meurt

J’avais décidé de ne pas y prendre garde

et de laisser tomber le cadavre en chemin

Mais c'est l’avance maintenant qui manque

et c’est moi

Le mourant qui s’ajuste à moi.

 

II

 

Nous avons attendu de la douleur

qu'elle modèle notre figure

à la dureté magnifique de nos os

Au silence irréductible et certain de nos os

Ce dernier retranchement inexpugnable de notre être

qu’elle tende à nos os clairement la peau de nos figures

La chair lâche et troublée de nos figures

qui crèvent à tout moment et se décomposent

Cette peau qui flotte au vent de notre figure

triste oripeau.

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire