ACCOMPAGNEMENT
MA SOLITUDE N’A PAS ETE BONNE
Ma solitude au bord de la nuit
N’a pas été bonne
Ma solitude n'a pas été tendre
À la fin de la journée au bord de la nuit
Comme une âme qu'on a suivie
sans plus attendre
L'ayant reconnue pour sœur.
Ma solitude n'a pas été bonne
Comme celle qu'on a suivie
Sans plus attendre choisie
Comme une épouse inébranlable
Pour la maison de notre vie
Et le cercueil de notre mort
Gardien de nos os silencieux
Dont notre âme se détache.
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Ma solitude au bord de la nuit
N’a pas été cette amie
L'accompagnement de cette gardienne
La profondeur claire de ce puits
Le lieu retrait de notre amour
Où notre cœur se noue et se dénoue
Au centre de notre attente.
Elle nous est venue comme une folie
par surprise
Comme une eau qui monte
Et s’infiltre au dedans
Par les fissures de notre carcasse
Par tous les trous de notre architecture
Mal recouverte de chair
Et que laissent ouverte
Les vers de notre putréfaction.
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Elle est venue une infidélité
Comme une fille de mauvaise vie
Qu'on a suivie
Pour s’en aller
Elle est venue pour nous ravir
et pour nous lâcher.
Dans le cercle de notre lâcheté
Elle est venue pour nous voler
Et nous laisser désemparé
Elle est venue pour nous séparer
Alors l’âme en peine là-bas
C’est nous qu’on ne rejoint pas
C’est moi que j'ai déserté
C’est mon âme qui fait cette promenade cruelle
Toute nue au froid désert
Durant que je me livre à cet arrêt tout seul
À cette solitude fermée
Pour ne pas prendre part au terrible jeu
À l'exigence de toutes ces petites
Secondes irremplaçables,
Et quelle ombre au bord du parvis
Quelle ombre lumineuse amie
Attend les pas de nos déroutes
Que nulle pitié n’a suivie
Ni la nôtre.
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Mes paupières en se levant ont laissé vides mes yeux
Laissé mes yeux ouverts dans une grande solitude
Et les serviteurs de mes yeux ne sont pas allés
Mes regards ne sont pas allés comme des glaneuses
Par le monde alentour
Faire des gerbes lourdes de choses
Ils ne rapportent rien pour peupler mes yeux déserts
Et c’est comme exactement s’ils étaient
demeurés en dedans
Et que la porte fût restée fermée.
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Une sorte de repos
à regarder un ciel passant
Tout ce qui pèse fut relégué
Le désespoir pas de bruit dort sous la pluie
La Poésie est une Déesse
dont nous avons entendu parler
Son corps trop pur pour notre cœur
Dort tout dressé
Par bonheur c’est de l’autre côté
Nous n’entreprendrons pas maintenant
De lui voler des bijoux
qu’elle n’a pas étant nue.
LA NUIT
Et maintenant quand est-ce que nous avons mangé
notre joie
Toutes les autres questions en ce moment ont fermé
la bouche de leur soif
Et l’on n’entend plus que celle-là qui reste
persistante et douloureuse
Comme un souvenir lointain qui nous déchire jusqu’ici
Cette promesse et cette espèce d’entrevue
avec la promise
Et maintenant que nous nous sommes déchirés
un sillon jusqu’ici,
Jusqu’où nous en sommes
Cette question nous rejoint
Et nous emplit de sa voix de désespoir
Quand est-ce que nous avons mangé notre joie
Où est-ce que nous avons mangé notre joie
Qui est-ce qui a mangé notre joie
Car il y a certainement un traître parmi nous
Qui s’est assis à notre table quand nous nous sommes
assis tant que nous sommes
Tant que nous étions
Tous ceux qui sont morts de cette espèce de caravane
qui a passé
Tous les enfants et les bons animaux de cette journée
qui sont morts
Et tous ceux maintenant lourds aux pieds
qui continuent à s’acheminer
Dans cette espèce de rêve aux mâchoires fermées
Et dans cette espèce de désert de la dernière aridité
Et dans cette lumière retirée derrière un mur infranchissable de vide et qui ne sert plus à rien
Parmi tous ceux qui nous sommes assis
tant que nous étions et tant que nous sommes
(Car nous transportons le poids des morts
plus que celui des vivants)
Qui est-ce qui a mangé notre joie parmi nous
Dont ne reste plus que cette espèce de souvenir
qui nous a déchirés jusqu’ici
Qui est-ce parmi nous que nous avons chacun abrité
Accueilli parmi nous
Retenu parmi nous par une espèce de secrète entente
Ce traître frère que nous avons reconnu pour frère
et emmené avec nous dans notre voyage d’un
commun accord
Et protégé d’une complicité commune
Et suivi jusqu’à cette extrémité que notre joie
a été toute mangée
Sous nos yeux sans regarder
Et qu’il ne reste plus que cette espèce de souvenir
qui nous a déchiré jusqu’ici
Et cet illusoire désespoir qui achève de crever
dans son lit.
– I –
On n'avait pas fini de ne plus se comprendre
On avançait toujours à se perdre de vue
On n’avait pas fini de se trouver les plaies
On n’avait pas fini de ne plus se rejoindre
Le désir retombait sur nous comme du feu
Notre ombre invisible est continue
Et ne nous quitte pas pour tomber derrière nous
sur le chemin
On la porte pendue aux épaules
Elle est obstinée à notre poursuite
Et dévore à mesure que nous avançons
La lumière de notre présence
On n’arrive guère à s’en débarrasser
En se retournant tout à coup on la retrouve
à la même place
On n’arrive pas à la secouer de soi
Et quand elle est presque sous nous alentour de midi
Elle fait encore sous nos pieds
Un trou menaçant dans la lumière.
– II –
On s’est tous réunis dans le milieu du temps
On a tout réuni dans le milieu de l'espace
Bien moins loin du paradis que d’habitude
On s’est tous réunis pour une grande fête
Et l’on a demandé à Dieu le Père et Jésus-Christ
Et au Saint-Esprit qui est la Troisième Personne
On leur a demandé d’ouvrir un peu le Paradis
De se pencher et de regarder
Voir s'ils reconnaissaient un peu le monde
Si cela ressemblait un peu à l’idée qu’ils en ont
Si ce n’émit pas bien admirable ce qu’ils en ont fait
Ceux qui sont venus avec une âme du bon Dieu
Avec des yeux du bon Dieu
Pour faire un bouquet pur avec le monde
– III –
La terre était dans l’ombre et mangeait ses péchés
On était à s’aimer comme des bêtes féroces
La chair hurlait partout comme une damnée
Et des coups contre nous et des coups entre nous
Résonnaient dans la surdité du temps qui s’épaissit
Voilà qu’ils sont venus avec leur âme du bon Dieu
Voilà qu’ils sont venus avec le matin de leurs yeux
Leurs yeux pour nous se sont ouverts comme une aurore
Voilà que leur amour a toute lavé notre chair
Ils ont fait de toute la terre un jardin pré
Un pré de fleurs pour la visite de la lumière
De fleurs pour la présence de tout le ciel dessus
Ils ont bu toute la terre comme une onde
Ils ont mangé toute la terre avec leurs yeux
Ils ont retrouvé toutes les voix que les gens ont perdues
Ils ont recueilli tous les mots qu’on avait foutus
– IV –
Le temps marche à nos talons
Dans l’ombre qu’on fait sur le chemin
Tous ceux-là, le temps et l'ombre sont venus
Ils ont égrené notre vie à nos talons
Et voilà que les hommes s’en vont en s'effritant
Les pas de leur passage sont perdus sans retour
Les plus belles présences ont été mangées
Les plus purs éclats furent effacés
Et l’on croit entendre les pas du soir derrière soi
Qui s’avance pour nous ravir toutes nos compagnies
Qui vient effacer en cercle tout le monde
Vient dépeupler la terre à nos regards
Nous refouler au haut d’un rocher comme le déluge
Nous déposséder de tout l’univers
Et nous prendre au piège d’une solitude définitive
Mais voilà que sont venus ceux qu’on attendait
Voilà qu’ils sont venus avec leur âme du bon Dieu
Leurs yeux du bon Dieu
Qu’ils sont venus avec les filets de leurs mains
Le piège merveilleux de leurs yeux pour filets
Ils sont venus par derrière le temps et l'ombre
Aux trousses de l’ombre et du temps
Ils ont tout ramassé ce qu’on avait laissé tomber.
– V –
On n’a pas lieu de se consoler quand la nuit vient
De se tranquilliser d'être soulagé
De regarder avec un sourire autour de soi
Et parce qu’on ne voit plus l’ombre de se croire libéré
C'est seulement qu’on ne la voit plus
Sa présence n’est plus éclairée
Parce qu’elle a donné la main à toutes les ombres
Nous ne sommes plus qu’une petite lumière enfermée
Qu’une petite présence intérieure dans l’absence
universelle
Et l’appel de nos yeux ne trouve point d’écho
Dans le silence de l’ombre déserte
On passe en voyage au soleil
On est un passage vêtu de lumière
Avec notre ombre à nos trousses comme un cheval
Qui mange à mesure notre mort
Avec notre ombre à nos trousses comme une absence
Qui boit à mesure notre lumière
Avec notre absence à nos trousses comme une fosse
Un trou dans la lumière sur la route
Qui avale notre passage comme l'oubli.
POIDS ET MESURES
Il ne s’agit pas de tirer les choses par les cheveux
D’attacher par les cheveux une femme
à la queue d’un cheval
D’empiler des morts à la queue-leu-leu
Au fil de l’épée, au fil du temps.
On peut s’amuser à faire des nœuds
avec des lignes parallèles
C'est un divertissement un peu métaphysique
L’absurde n'étant pas réduit à loger au nez de Cyrano
Mais en regardant cela la tête à l’envers
On aperçoit des évocations d’autres mondes
On aperçoit des cassures dans notre monde
qui font des trous
On peut être fâché de voir des trous dans notre monde
On peut être scandalisé par un bas percé un gilet
Un gant percé qui laisse voir un doigt
On peut exiger que tout soit rapiécé
Mais un trou dans notre monde c’est déjà quelque chose
Pourvu qu’on s’accroche dedans les pieds
et qu’on y tombe
La tête et qu’on y tombe la tête la première
Cela permet de voguer et même de revenir
Cela peut libérer de mesurer le monde à pied,
pied à pied.
LA MORT GRANDISSANTE
Et jusqu'au sommeil perdu dont erre l’ombre
autour de nous sans nous prendre
Estompe tout, ne laissant que ce point en moi
lourd lourd lourd
Qui attend le réveil au matin pour se mettre
tout à fait debout
Au milieu de moi détruit, désarçonné, désemparé,
agonisant.
---
Ah! ce n’est pas la peine qu’on en vive
Quand on en meurt si bien
Pas la peine de vivre
Et voir cela mourir, mourir
Le soleil et les étoiles
Ah! ce n’est pas la peine de vivre
Et de survivre aux fleurs
Et de survivre au feu, des cendres
Mais il vaudrait si mieux qu’on meure
Avec la fleur dans le cœur
Avec cette éclatante
Fleur de feu dans le cœur.
---
C'est eux qui m’ont tué
Sont tombés sur mon dos avec leurs armes, m’ont tué
Sont tombés sur mon cœur avec leur haine, m’ont tué
Sont tombés sur mes nerfs avec leurs cris, m’ont tué
C'est eux en avalanche m’ont écrasé
Cassé en éclats comme du bois
Rompu mes nerfs comme un câble de fils de fer
Qui se rompt net et tous les fils en bouquet fou
Jaillissent et se recourbent, pointes à vif
Ont émietté ma défense comme une croûte sèche
Ont égrené mon cœur comme de la mie
Ont tout éparpillé cela dans la nuit
Ils ont tout piétiné sans en avoir l’air,
Sans le savoir, le vouloir, sans le pouvoir,
Sans y penser, sans y prendre garde
Par leur seul terrible mystère étranger
Parce qu’ils ne sont pas à moi venus m’embrasser
Ah ! dans quel désert faut-il qu’on s’en aille
Pour mourir de soi-même tranquillement.
---
Mais les vivants n'ont pas pitié des morts
Et que feraient les morts de la pitié des vivants
Mais le cœur des vivants est dur comme un bon arbre
et ils s’en vont forts de leur vie
Pourtant le cœur des morts est déjà tout en sang
et occupé d’angoisse depuis longtemps
Et tout en proie aux coups, trop accessible aux coups
à travers leur carcasse ouverte
Mais les vivants passant n’ont pas pitié des morts
qui restent avec leur cœur au vent sans abri.
---
— Nous avons mis à mort la pitié
Nous ne pouvons pas quelle soit
Nous sommes les orgueilleux
Nous nions les regards de pitié.
— Nous sommes les regards de pitié
Nous ne pouvons pas ne pas être sur terre
Les regards de pitié.
UN AUTRE ENCORE
ou
LE MOURANT QUI ME JOINT ET
M’ABREUVE DE CENDRE
Il y a certainement quelqu’un qui se meurt
J’avais décidé de ne pas y prendre garde
et de laisser tomber le cadavre en chemin
Mais c'est l’avance maintenant qui manque
et c’est moi
Le mourant qui s’ajuste à moi.
II
Nous avons attendu de la douleur
qu'elle modèle notre figure
à la dureté magnifique de nos os
Au silence irréductible et certain de nos os
Ce dernier retranchement inexpugnable de notre être
qu’elle tende à nos os clairement la peau de nos figures
La chair lâche et troublée de nos figures
qui crèvent à tout moment et se décomposent
Cette peau qui flotte au vent de notre figure
triste oripeau.
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