dimanche 6 novembre 2022

Au bord de l’eau – Shi Nai – an / Luo Guan – zhong

Au bord de l’eau – Shi Nai – an / Luo Guan – zhong

 

Conseil inutile, car au-dehors Sagesse-profonde voci­férait :

« Bande d’ânes chauves violeurs de vos mères ! Si vous ne nous laissez pas entrer, nous allons chercher une torche dans les environs et mettons le feu à votre foutu monastère ! »

A ces mots, les bonzes crièrent aux portiers :

« Otez la barre et laissez entrer cette brute ! Si vous n'ouvrez pas, il est vraiment capable de se déchaîner ! »

Les portiers, avec une circonspection comique à voir, allèrent furtivement tirer la barre, puis coururent — et même volèrent — se terrer chez eux. Les autres moines décampèrent également.

---

Lecteurs, écoutez ! Sans conteste, l’amour est ce qu'il y a de plus terrible ! Si l’autre vous trouve à son goût vous pouvez être couvert de lames, de sabres, d’eau, de feu, rien ne l’effraiera et rien ne l’arrêtera ! Mais s’il ne se sent aucune inclination pour vous, fussiez-vous assis sur une montagne d’or et d’argent, il ne vous prêtera pas la moindre attention ! Comme dit le proverbe : «S’il est au goût de la belle, le rustre a toutes les séductions; si le minois poudré est indifférent, le plus charmant prince n’est qu’un rustaud ! »

---

Wu Song s’approcha vivement, en traversant la forêt par-derrière; alors, il aperçut un gaillard aussi colossal que les Statues de Vajra qui gardent la porte des temples ! Vêtu d’une tunique de toile blanche, l’homme était affalé sur une grande cahière, un chasse-mouches à la main, et prenait le frais à l’ombre d’un sophora vert. Wu Song le dévisagea d’un œil torve, en contrefaisant l’ivrogne et le fol. Il se dit :

« Ce colosse est à n’en pas douter Jiang le Dieu-de- la-porte ! »

Aussitôt, il se rua en avant et, au bout de trente ou cinquante pas, avisa un grand cabaret, proche de la croisée des chemins; une hampe avec bouffiel était plantée au-dessus de l’auvent, et un fanion portait quatre caractères signifiant : à l’enseigne de « Brise et Lune au sud du Fleuve». Wu Song passa de l’autre côté et examina les lieux; devant la porte, il vit une balustrade laquée de vert avec, de part et d’autre de l’entrée, deux petites bannières mouchetées d’or portant en gros caractères dorés deux inscriptions parallèles :

Dans l'ivresse, le ciel et la terre sont plus grands.

Dans le vin, les jours et les mois sont plus longs

---

« Brave, peut-on savoir votre grand nom et votre noble pays d’origine ? »

L’homme répondit :

« Votre serviteur s’appelle Shi Xiu. Ma famille est originaire de la préfecture de Jian-kang1 de Jin-ling. Depuis mon enfance, je connais les rudiments du manie­ment du sabre et du bremas; je me suis toujours fait une règle, chaque fois que je constate une injustice, d’aller au secours de la victime, ce qui m’a valu le surnom de Brave-la-mort*. J’étais venu ici avec mon oncle pour faire le trafic des moutons et des chevaux, mais mon oncle eft mort en cours de route, et j’ai dépensé tout mon capital. Il m’a ensuite été impossible de rentrer dans mon pays natal, et j’ai fini par échouer à Ji-zhou, où je vivote en vendant du bois de chauffage. Puisque vous m’avez fait l’honneur de vous connaître, je ne pouvais que vous dire la vérité. »

Dai Zong reprit :

« Nous deux, êtres sans talent, nous sommes venus ici pour certaine affaire, et avons été assez heureux pour vous rencontrer. Mais, à -enterrer ici votre vaillance, et à végéter en vendant du combustible, comment pouvez- vous espérer mener l’existence que vous méritez ? Mieux vaudrait vous ressaisir et prendre le chemin des rivières et des lacs, où vous pourriez vivre heureux la seconde moitié de votre vie !

---

« Moi, Song Jiang, être sans talent, comment pourrais- je être infidèle à mon suzerain ? La réalité est que les magistrats cupides et les fonctionnaires corrompus m’ont si bien traqué et opprimé que j’ai été forcé de devenir hors-la-loi. Voilà pourquoi j’ai provisoirement cherché refuge dans ces marécages et fui les calamités, en atten­dant que la Cour nous amnistie et nous pardonne. Il n’était nullement dans mes intentions, général, de vous provoquer ni d’épuiser vos forces vraiment surhumaines, ccar en fait j’éprouve le plus grand respect pour votre prestige de tigre ! Ces derniers temps, je me suis rendu coupable de bien des offenses à votre endroit, et je vous supplie de me pardonner !

— Puisque je suis votre prisonnier, dix mille morts seraient encore un châtiment trop léger ! Preux, pourquoi donc me traiter avec tant d’honneur et me présenter des excuses ?

---

L’histoire conte donc que le Taoïste Gong-sun Sheng proposa à Song Jiang et au Clerc Wu Yong une tactique de bataille et leur dit :

« Il s’agit d’une tactique employée jadis par Zhu-ge Kong-ming1 à la fin des Han, lors du partage de l’empire en trois, et qui consiste en une disposition en damier.

 Dans les huit directions et quatre points cardinaux, on  divise les troupes en huit fois huit, soixante-quatre unités, le centre étant occupé par le commandement.

 L’ensemble a l’allure d’un corps à quatre têtes et à huit j queues, qui peut évoluer à gauche ou tourner à droite,

| les huit corps d’armée ainsi disposés étant baptisés “ ciel, terre, vent et nuage ” d’une part, “ dragon, tigre, oiseau et serpent ” d’autre part2. Il suffira d’attendre que  l’ennemi descende de sa montagne et charge; alors, nos deux armées s’ouvriront d’un même mouvement, comme si elles allaient à sa rencontre; puis, dès que l’ennemi  sera profondément engagé à l’intérieur de nos lignes,

 une bannière marquée des sept autres de la Grande Ourse donnera le signal; alors nos armées s’aligneront et prendront la forme d’une manière d’immense serpent. A ce moment, l’humble taoïste que je suis usera de magie et fera en sorte que les trois chefs adverses soient pris au milieu de nos troupes, sans voie de retraite en avant ou en arrière, sans issue à gauche ou à droite. Nous aurons creusé une fosse qui fera office de chausse-trape, où l’on acculera directement les trois hommes; des soldats armés de hanicroches et embusqués de chaque côté du piège surgiront, et n’auront plus qu’à les capturer. »

---

Li Gu répondit avec cautèle :

« Si l’on en croit le proverbe : “ Les traîtres ne se trahissent pas entre eux, les gens de qualité se disent la vérité ! ”... La petite affaire dont votre serviteur désire vous entretenir, vous devez déjà vous en douter, messire directeur ? Ce soir, à la nuit tombée, il faut, sans que personne en sache rien, “ effacer le passé et trancher P a venir2 ”, comme on dit. Bien que ce soit vous témoi­gner chichement mon obéissance, veuillez prendre ces lingots “ en gousse d’ail ” ; ce sont cinquante taels d’or qui vous sont destinés, directeur. Quant aux magistrats et fonctionnaires du tribunal, votre serviteur se charge de les amadouer. »

---

De même que toute entreprise peut être aisée ou ardue, de même tout homme peut être sage ou Stupide. Nous, dépositaire de l'illustre héritage transmis par Nos ancêtres, source de toute lumière et origine de toute gloire, sommes maître universel de tout ce qui existe sous le ciel et suzerain incontesté de toutes créatures. Depuis peu, Song Jiang et consorts s'étant rassemblés en bandes parmi monts et forêts, pillant et harassant villes et districts, Nous les eussions, en tout état de cause, réduits de toute Notre radieuse puissance si Nous n'avions sincèrement craint d'éprouver Nos populations. Nous donnons donc présentement mission au grand maréchal Cben Zong-shan de se rendre sur place pour les inviter à se soumettre, ordonnant que, dès le jour d'arrivée de Notre man­iement, la totalité des réserves d'or, de vivres, d'armes, de chevaux et de bateaux, soit livrée sur-le-champ à l'autorité ; que le nid et repaire des factieux soit démantelé et détruit ; que les coupables enfin soient déférés a la métropole, où leurs crimes seront remis.

<< Si l'on fait encore preuve de duplicité ou de perfidie, si l’on n'obtempère pas à ce mandement, l'intervention des Armées célestes ne laissera pas le moindre survivant. Telles sont Nos volontés, que Nous publions par le présent édit, afin que nul n’en ignore !

---

Or, dit l’histoire, de l’avant-garde de Song Jiang, trois colonnes s’élancèrent sur l’armée ennemie et, à coups de grands sabres et de fortes haches de guerre, bousculèrent de leur élan les trois armées de Tong Guan; dans les rangs ennemis, ce fut une belle débâcle, faisant penser à des nuages poussés par le vent, à des étoiles filantes ! Il y eut, comme on dit, sept victimes et huit blessés, les soldats jetèrent leurs armes et abandonnèrent leurs tam­bours, se débarrassèrent de leurs lances et laissèrent choir leurs épieux, qui cherchant son fils, qui en quête de son père, qui appelant son aîné, qui clamant le nom de son cadet... C’est plus de dix mille hommes qui disparurent, et l’armée gouvernementale recula pour planter le camp à quelque trente lis en arrière. De l’autre côté, Wu Yong fit battre les gongs pour rappeler ses troupes, et donna ses consignes :

« Pour le moment, traquez-les, mais ne les forcez pas  C’est seulement un premier avertissement que nous

leur donnons

 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire