Traité
du style – Louis Aragon
Je n'ai
pas l’intention de discuter avec une couenne faisandée. Tu es une de ces
saloperies dont Vidée seule schlingue. Tes productions, par un trope hardi nous
dirons qu'elles ne sont pas tapées, mais qu'elles tapent, et que toi-même
faisant ta putain périodique tu cocottes. Enfin pour me faire comprendre de ta
science médicale, tu es assez comparable au fromage qui se développe dans les
nez tuberculeux. D’ailleurs je t’ai aperçu une ou deux fois : tu es ignoble.
Etron intellectuel, tu as le physique de l'emploi. Tu es une vieille chemise
oubliée dans un urinoir.
Donc je déclare qu’il est
possible de serrer la main d’un journaliste. Sous certaines réserves, s'entend.
Se laver ensuite. Et pas seulement la main contaminée, mais tout le reste du
corps, particulièrement les parties sexuelles, pour ce qu’on sait encore très
mal comment le journaliste empoisonne ses victimes, et qu’il n’est pas très sûr
qu’il ne dégage pas par tous les pores de la peau ou du vêtement une espèce de
venin volatile et singulièrement infecte qui serait d’une aptitude
extraordinaire à se loger dans les plis de flexion, même les mieux cachés par
l’habitude et la décence. Je parle maintenant pour ceux qui ont un domicile. Si
un journaliste se présente à votre porte, je vous conseillais jusqu’ici de le
jeter très promptement à la rue, sans rien entendre.
Eh bien, qu’ils m’en croient, il
est temps, il est grand temps de ressaisir les rênes flottantes de l’ascendant
moral. Et c’est faisable. Mais il faut bannir toute honte. Reprenez l’habitude
ancienne, quittez ce ton trop général. Etudiez la loupe à la main les textes
qui vous sont soumis. Pesez les mots. Analysez les phrases. Développez séparément
les images. N’hésitez pas à ricaner métaphoriquement. Revenez à la tradition scientifique
des annotateurs d’autrefois. Marquez les vulgarités à l’encre rouge, et si vous
eh trouvez par chance, expliquez longuement, lourdement les beautés. Avec les
marteaux de l’insistance laminez, laminez sans fin les propositions écrites de
vos incompréhensibles contemporains. Ainsi vous retrouverez dans l’univers
votre rôle grandiose, agents superbes de la destinée, qui toute sentimentalité
pendue au vestiaire éternel travaillerez inlassablement à la mort et à l’usure
de toute chose orgueilleuse et disproportionnée.
Je m’adresse aux gouvernements :
Gouvernements... mais c'est en vain ils ne pensent qu’à leur bifteck. Ils ont
bouffé du Chinois toute l'année, maintenant ils ont mal au cœur et chicotent
pour cure-dents des insurgés et des grévistes. Donc je m’adresse à la jeunesse,
mais voyez-moi les jeunes gens, comme ils supportent le train-train du monde.
Foireux comme jamais. Ayant trouvé le truc. Ils sont assis très paisibles au
milieu des machines infernales.
Je ne me suis pas tué, non faute
d’y avoir pensé. Tout à l’heure encore. Tenez, je me disais pourtant ce serait
d’une simplicité enfantine. Cela chasserait si bien plusieurs pensées. Et je
suis seul témoin de ce que cela comporte. Je ne me suis pas tué, et tout ceci
sombre dans un ridicule écrasant. Chère meule, ne t’éloigne pas ainsi de ma
tête. Qu’est-ce que je disais donc ? Ah oui. De toutes les idées celle du
suicide est celle qui dépayse le mieux son homme, après tout. Ceci dit,
n’est-ce pas, silence. Tuez-vous ou ne vous tuez pas. Mais ne traînez pas sur
le monde vos limaces d’agonies, vos charognes anticipées, ne laissez pas passer
plus longtemps de votre poche cette crosse de revolver qui appelle invinciblement
le pied au cul. N’insultez pas au vrai suicide par ce perpétuel halètement.
Plus bas, cent fois plus bas que celui qui s’étonne et demande pourquoi ce
fourneau à gaz ou cet ascenseur, est celui qui comme un pou vorace, ayant
compris la grandeur d’un tel destin, vil dans l’ombre du mancenilier sans
jamais s’endormir, celui qui vaquant à ses affaires se réserve une heure par
jour de funèbre désespoir.
Il est vrai que très naturellement
je ne puis que penser à la première personne quand il s’agit du suicide. fl est
vrai que quand je vois les ignorantins qui se cherchent des raisons de vivre,
je m’indigne et je dis : Gomme s’il y avait des raisons de vivre !
Les mots humains, la pensée, ne
peuvent que par des allusions vagues et terribles et toutes chargées d’un
esprit de démenti, exprimer les choses de l'anéantissement de celui qui parle.
Tout le langage employé, la paix du tombeau, se reposer et même se détruire,
suppose la persistance d'un être, et pas de n'importe quel être, de moi,
inchangé, moi que je touche, le même, avec ses malheurs, ses malheurs, ses
insomnies et les affreuses mouches des hantises vainement fuies, pauvre cheval,
inutile de galoper.
Le rêve
passe de toute antiquité pour une forme de l’inspiration. C'est en rêve que les
dieux parlent à leur victime, etc. H est à observer cependant que pour ceux qui
ont pris à noter leurs rêves un soin, pur de préoccupations littéraires ou
médicales, jusqu'à ces derniers temps absolument sans égal, ne l’ont pas fait
pour établir des relations avec un au-delà quelconque. On peut dire qu’en
rêvant, ils se sont sentis moins inspirés que jamais. Ils rapportent avec une
fidélité objective ce qu'ils se souviennent d’avoir rêvé. On peut dire même que
nulle part une objectivité plus grande ne peut être atteinte, que dans le récit
d'un rêve. Car ici rien, Comme dans l’état éveillé ce qu'on nomme censure,
raison, etc., ne s'interpose entre la réalité et le dormeur. Supposez qu'à
transcrire cette réalité ils apportent les sottises d’un style imparfait, les
voilà traîtres. Ils ne racontent plus un rêve, ils font de la littérature. J’exige
que les rêves qu'on me fait lire soient écrits en bon français. Et à cette
occasion je parlerai plus longuement du rêve.
Ni l’un ni l’autre, mon cher. La
forme je viens de le dire. Le fonds, j’y viens ensuite. Que l’homme qui tient
la plume ignore ce qu’il va écrire, ce qu’il écrit, de ce qu’il le découvre en
se relisant, et se sent étranger à ce qui a pris par sa main une vie dont il
n’a pas le secret, de ce que par conséquent il lui semble qu’il a écrit
n’importe quoi, on aurait bien tort de conclure que ce qui s’est formé ici est
vraiment n’importe quoi. C’est quand vous rédigez une lettre pour dire quelque
chose, par exemple, que vous écrives n’importe quoi. Vous êtes livrés à votre
arbitraire. Mais dans le surréalisme tout est rigueur. Rigueur inévitable. Le
sens se forme en dehors de vous. Les mots groupés finissent par signifier
quelque chose, au lieu que dans l’autre cas ils voulaient dire primitivement ce
qu’ils n’ont que très fragmentairement exprimé plus tard. De même l’observation
familière à ceux qui se sont adonnés au surréalisme, qu’un mot peut fort bien y
remplacer un autre, sous certaines conditions physiques d’homologie, que
souvent la main écrit un mot bien différent de celui que l’expérimentateur
s’entend alors dicter, que le sens de la phrase en est bouleversé, mais sans
que cela gêne aucunement l’homme qui écrit, on a tendance à admettre l’indifférence
absolue de ce sens cristallisé, dont on n’assume point la responsabilité.
Grossière erreur. D’abord pourquoi la main se tromperait-elle, et non pas
l’oreille ? Mais surtout ce genre d’appréciation dénonce une notion absurde et
superficielle de la réalité du langage. Le sens des mots n’est pas une simple
définition de dictionnaire. On sait, ou l’on devrait savoir, qu’ils portent
sens dans chaque syllabe, dans chaque lettre, et il est de toute évidence que
cet épellement de mots qui conduit du mot entendu au mot écrit, est un mode de
pensée particulier, dont l’analyse serait fructueuse. Ainsi le fond d’un texte
surréaliste importe au plus haut point, c’est ce qui lui donne un précieux
caractère de révélation. Si vous écrivez, suivant une méthode surréaliste, de
tristes imbécillités, ce sont de tristes imbécillités. Sans excuses. Et particulièrement
si vous appartenez à cette lamentable espèce de particuliers qui ignorent le
sens des mots, il est vraisemblable que la pratique du surréalisme ne mettra
guère en lumière autre chose que cette ignorance crasse. Ne venez pas nous
montrer ces élucubrations vicieuses. Vous ne savez pas le sens des mots. Je
parie que ce que vous écrivez est bête,
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