Théorie – Kenneth Goldsmith
Le futur de l'écriture, c'est la gestion du vide.
Le code alphanumérique, indissociable de l'écriture, est le
moyen par lequel Internet a solidifié son emprise sur la littérature.
La nouvelle autobiographie c'est l'historique de notre
navigateur.
L'authenticité est une autre forme d'artifice.
Écrire devrait être aussi facile que laver la vaisselle et
aussi passionnant.
Le futur de la lecture, c'est de ne pas lire.
Commencez à copier ce que vous aimez. Copiez, copiez,
copiez. Et à la fin du recopiage, vous vous trouverez vous mêmes.
Je trouve que l'idée de recycler le langage pour le
rendre politiquement et écologiquement durable, est une idée qui prône la
réutilisation et le reconditionnement, par opposition à la fabrication et la
consommation du neuf. C'est une attitude qui contrecarre la consommation
capitaliste globale en admettant que le langage ne peut pas être détenu ou
possédé — que c'est une ressource partagée. Donc dans ce sens, ces idées sont,
idéologiquement parlant, davantage dans la lignée des pensées marxistes que
n'importe quoi d'autre. Ainsi, à cause du volume considérable du langage — un
écosystème produisant des ressources illimitées — il n'y a aucun risque de
pénurie ; c'est un paysage d'abondance. Toutefois — et c'est là que ça devient
intéressant — l'obsession de l'écriture conceptuelle pour les nouvelles
technologies, l'accumulation du langage, sa célébration de l'excès, du baroque,
etc., le rapproche des tendances capitalistes globales souvent malveillantes.
De plus, il y a un aspect impérialiste dans ce mouvement ; par son
internationalisme, c'est le premier mouvement de poésie mondial depuis la
poésie concrète puisque les deux reposent sur un usage transnational du langage
(la poésie concrète étant visuelle, et la poésie conceptuelle étant illisible).
En conséquence, le mouvement se répand rapidement autour du globe, menaçant de
prendre les caractéristiques d'un gigantesque monstre multinational. Toutes ces
contradictions, j'en ai l'impression, font partie du discours du
conceptualisme, qui est un mouvement idéologiquement fluide incluant l'impureté
et les plaisirs coupables, boudant les notions reçues de pureté,
d'authenticité, ou de prétention absolue de vérité.
Le poète comme anti-héro.
Nous écumons, analysons, annotons, copions, collons,
transférons, partageons, et spammons. Lire est la dernière chose que nous
faisons avec le langage.
Aujourd'hui, nous passons beaucoup plus de temps à acquérir,
cataloguer et archiver nos artefacts qu'à entrer en relation avec eux. La
manière dont la culture est distribuée et archivée est devenue bien plus
intrigante que l'artefact culturel lui-même. Résultat, nous avons vécu un
inversement de la consommation, préférant les flacons à l'ivresse.
Si vous faites quelque chose de mal pendant assez longtemps
les gens finiront par croire que c'est bien.
Le facile est le nouveau difficile. C'est difficile d'être
difficile, mais c'est encore plus difficile d'être facile.
À ce moment de l'histoire, c'est dur de vérifier
l'authenticité, la singularité, ou la justesse des sources pour quoi que ce
soit. Au lieu de ça, dans notre monde digital, toutes les formes de culture ont
adopté les caractéristiques de la dance music et de la déclinaison. Tant de
mains ont touché et affiné ces produits que nous ne savons plus qui est, ou
était, l'auteur — et nous nous en fichons.
Je plaisante toujours en disant à mes étudiants que la
poésie ne peut pas être aussi difficile qu'ils le pensent, parce que si c'était
aussi difficile qu'ils le croient, les poètes n'en feraient pas. Vraiment, ce
sont les personnes les plus fainéantes, les plus stupides que je connais. Ils
sont devenus poètes en partie parce qu'on les a rétrogradés à ce poste,
n'est-ce pas ? Il ne faut jamais dire à ses étudiants d'écrire ce qu'ils
connaissent parce que, bien sûr, ils ne connaissent rien : ils sont poètes !
S'ils connaissaient quelque chose, ils auraient choisi cette discipline et
l'exerceraient : ils seraient en histoire ou physique ou maths ou management ou
n'importe quel domaine dans lequel ils excelleraient, comme disait Christian
Bôk.
Auto-tunez votre prochain recueil de poèmes.
Aimer l'art. Détester le monde de l'art.
La capacité d'attention limitée est le nouveau silence.
Écrire en mode sans échec
L'écriture contemporaine est une pratique qui se situe
quelque part entre la construction d'un ready-made à la Duchamp et le téléchargement d'un MP3.
Essorez-les, manipulez-les, maltraitez-les. Plus vous
travaillez vos textes, plus ils vous appartiendront.
J'ai découvert que ceux qui s'attardent rarement sur leurs
émotions savent mieux que quiconque ce qu'est une émotion.
Soliloquy est surtout une tentative de décrire les
difficultés du discours et l'impossibilité de la communication. Par conséquent
c'est une déclaration antihumaniste. À l'intérieur, on découvre que le
bavardage normatif de quelqu'un est tout aussi disjonctif que n'importe quelle
tentative moderne ou postmoderne de déconstruire le langage. En dépouillant le
discours de ses éléments non-référentiels, on peut isoler le discours de ses fonctionnalités,
formalisant et déformalisant ainsi ce même discours. C'est mieux d'admettre que
nous ne nous comprendrons jamais les uns les autres, parce que comment nous
disons les choses résonne à peine plus que du bruit blanc.
Les artistes mettent le bordel et laissent aux autres le
soin de le nettoyer.
Plagiez vos plagiaires. Trafiquez vos trafiquants. Piratez
vos pirates.
Je ne pense pas qu'il y ait un « moi » stable ou essentiel.
Je suis un amalgame de tellement de choses : les livres que
j'ai lus, les films que j'ai vus, les émissions de télévision que j'ai
regardées, les conversations que j'ai eues, les chansons que j'ai chantées, les
amours que j'ai aimés. En fait, je suis une création de tellement de gens et de
tellement d'idées que j'ai l'impression d'avoir eu très peu de pensées et
d'idées originales ; penser que n'importe laquelle de ces choses était
originale serait aveuglément égoïste. Parfois, je crois avoir une idée ou un
sentiment original et puis, à deux heures du matin pendant que je regarde un
vieux film à la télé que je n'avais pas vu depuis des années, le protagoniste
débite quelque chose que je pensais avoir inventé. En d'autres mots, j'ai pris
ses mots (qui, évidemment, n'étaient pas vraiment « ses mots »), les ai
intériorisés et les ai fait miens. Ça m'arrive tout le temps.
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