LE RÊVE DU TRAVAIL
SUR PÔLE EMPLOI, NE
QUITTEZ PAS DE NORA PHILIPPE PAR EMANUELLE COCCIA, PHILOSOPHE ET MAITRE DE
CONFERENCES à l’EHESS
Téléphones
« De l'écouteur sortait
un bourdonnement comme K. n'en avait jamais entendu au téléphone. On eut dit
que venant frapper l'oreille, comme si elle exigeait de pénétrer plus avant que
dans le misérable sens auditif, une voix te formait à partir de ce
bourdonnement comme fait d'innombrables voix d'enfants, mais ce bourdonnement
lui-même n’en était pas un, c'était le chant de voix lointaines, indiciblement
lointaines. » Franz Kafka, Le château
Il a été explicitement
créé pour réduire les distances. Il a aboli l’écart physiologique qui existe
entre l'oreille et la voix. Il a permis de dépasser l’éloignement géographique,
temporel et culturel qui existait entre les nations. Il a, enfin, anéanti la
séparation sociale et hiérarchique entre le chef et l’employé, car, grâce à
lui, toute communication implique le partage d’un espace d’intimité. Et
pourtant, en quelques décennies seulement, le téléphone s’est transformé en un
instrument de séparation, d'abstraction, de mise à distance. Au lieu d’ouvrir
grand le monde personnel de chacun, Il semble désormais enfermer les hommes
dans le clivage et l’hermétisme. Dans Téléphones (1995), le vidéo-artiste
Christian Marclay avait transformé le téléphone en un instrument qui relie les
hommes au sein d’un circuit fermé, monadique, mettant à distance le monde'.
Dans le long-métrage documentaire de Nora Philippe, Pôle emploi, ne quittez pas
I, le téléphone devient le prisme à travers lequel on peut observer la distance
qui s'est creusée entre la vie et le travail.
Non seulement le titre,
mais aussi les séquences les plus importantes et les plus violentes du film
sembleraient suggérer que si le téléphone est encore au centre du monde du
travail, ce n'est pas pour faciliter la communication mais surtout pour
produire de la distance et de l'Inégalité entre travail et travailleur.
Dans l'une des scènes
initiales, par exemple, une employée explique à l’un des usagers que pour
s'inscrire, il est nécessaire d'utiliser l'une des bornes téléphoniques à
disposition dans le hall d'accueil, et de dialoguer avec leur voix mécanique.
Parier directement avec un employé est interdit ; c’est par la médiation d'une
communication téléphonique avec une voix préenregistrée qu'on obtiendra le
droit d’accéder au monde du travail.
Dans une autre scène -
où la violence symbolique des lieux et des situations est plus évidente encore
-, la demande d'un document qui permettrait d'obtenir, enfin, un travail
déclenche une étrange profession d’agnosticisme de la part de l'employée
consultée (« Je ne peux pas savoir quand II sera prêt »), pour glisser
finalement vers une dispute sur les compétences, les rôles, les devoirs moraux
des uns et des autres dans le travail.
Le téléphone devient
donc l’instrument d'une machine paranoïaque qui produit humiliation,
mécanisation des rapports, dés humanisation et, surtout une inégalité
irréparable entre ceux qui ont un accès au savoir, au pouvoir, au travail, et
ceux qui ne l’ont pas. Mais il s’agit seulement d’une apparence. Le téléphone
est surtout le moyen de production et l’incarnation d’une distance plus
profonde encore, dont on ne connaît ni l'origine ni la cause. Dans l’une des
scènes centrales du film, une employée de Pôle emploi appelle une agence de
formation professionnelle. Depuis le haut-parleur du téléphone, on entend
d’abord un court entracte musical puis une voix mécanique qui ânonne les
horaires d’ouverture de l’agence, correspondant pourtant à l'heure de l’appel.
Le répondeur cède la place à un bip bip bip de non-recevoir, et l’employée est
obligée de recommencer. Même la personne qui non seulement possède déjà un
travail (à Pôle emploi), mais est aussi chargée de la tâche, politique et sociale,
de le dispenser, de le gérer, de le donner au reste de la population, semble ne
pas y avoir un accès direct. Tout au long du film, il prend ainsi un visage de
plus en plus fantomatique : le travail semble être une entité séparée,
injoignable y compris pour les agences Pôle emploi, au point que le spectateur
est amené à douter de son existence. Le vrai spectre qui hante notre monde
n’est peut-être plus le capitalisme. C’est le travail lui-même.
Il serait difficile
d’imaginer un renversement plus surprenant. Au lieu de se contenter de déployer
une critique de la violence interne à Pôle emploi ou d’élaborer à nouveau une
réflexion sur la transformation des logiques de l’exclusion - sur le passage de
la lutte des classes à la lutte des places, selon la formule consacrée du
sociologue Vincent de Gaulejac -, Nora Philippe réfléchit sur le rôle du
travail dans les termes les plus radicaux qui soient. En effet, la division
sociopolitique la plus profonde dont le film se veut à la fois la dénonciation,
la mise en scène et la phénoménologie n’est pas la ligne qui sépare ceux qui
cherchent un travail de ceux qui donnent le travail, mais le gouffre plus
difficile à nommer qui existe entre d’une part le travail, dans toutes ses
formes, et d’autre part, tous les hommes - peu importe la position dans
laquelle ils se trouvent. En est la preuve le fait que les personnages du
documentaire s’échangent régulièrement les rôles : une employée de Pôle emploi
récemment embauchée, en poste au guichet, rencontre un ancien collègue
d’entreprise, désormais chômeur ; des employés en CDD à Pôle emploi voient leur
contrat se terminer et retournent au chômage ; une employée dont les congés
maladie à répétition agacent le management se voit menacée de mise à pied,
c’est-à-dire de se retrouver jetée littéralement de l’autre côté de son bureau.
Ainsi, le travail, s’il
existe pour de vrai, semble être une chose qu’on ne peut jamais posséder, comme
s’il se retirait constamment à ceux qui tentent de s’y agripper.
Langue morte
« On raconte que c'est
à toi l'homme seul, le misérable sujet, la minuscule ombre face au soleil
impérial enfuie dans le lointain le plus lointain, on raconte que c’est à toi
justement que l’Empereur, depuis son lit de mort, a envoyé un message. Il a fait
s'agenouiller le messager et lui a murmuré le message dans l'oreille [...]. Le
messager s'est aussitôt mis en route. Mais ta foule est si grande ; leurs
maisons n’en finissent pas. [...] il lui faudrait traverser les cours ; et
après les cours, l’enclos du deuxième palais ; et de nouveau des escaliers et
des cours ; et de nouveau un palais ; et ainsi de suite pendant des siècles. » Franz
Kafka, Un message impérial
La distance qui sépare
l'humanité du travail n'est pas seulement physique : elle est aussi et surtout
cognitive. Une chose immédiate et évidente n'aurait pas besoin d'un effort
spécial de catégorisation pour être connue : il suffirait d'un nom, d’un vague
signe, d'un surnom. Le film démontre, au contraire, que le « travail » (qu’il
soit considéré abstraitement ou en tant qu’incarné dans les travailleurs)
devient dans toute agence Pèle emploi l’objet d'un exercice Infini de
nomination, qui conduit presque à la création d'une théorie des noms divins,
une litanie de chiffres et de sigles qui se fait incompréhensible même pour
leurs créateurs et qui déclenche très souvent des jeux de mots grotesques,
voire obscènes. Cet effort de nomination ne conduit pas à une meilleure
connaissance du travail. Ce qui se produit, au contraire, c'est l'Impression
que si le travail existe, il ne peut pas être connu : on peut le nommer de
mille manières, on peut le présenter sous mille masques, mais on ne peut jamais
le voir. D'un certain point de vue, il n'y a pas un seul geste de travail
véritable dans le film (si ce n’est, de façon éloquente, celui des agents de
nettoyage, le soir, à portes closes). Les noms que l'on donne au travail
peuvent être prononcés mais ils ne peuvent pas être compris, comme si le
travail était le mana dont nous parlent les anthropologues, le signifiant vide
qui doit exister seulement afin qu'il existe du sens. Le travail est devenu une
langue morte que l'humanité s'efforce de comprendre sans vraiment y parvenir.
Ou encore, tout se
passe comme si les mots sans signification, vainement prononcés par les
employeurs et les candidats à l’emploi, étaient la prière quotidienne adressée
à un dieu qui n’a peut-être Jamais existé - le dieu lointain, obscur, de le
théologie gnostique. Et en visionnant le film, on éprouve l'étrange sensation
que tous les employés sont des messagers d’une divinité distante et inconnue,
comme des anges mineurs qui n’ont jamais regardé la Face de leur Dieu. Pôle
emploi ne serait lui-même qu’une immense hiérarchie théologique qui rend
possibles un culte et un mirage magnifiques : non seulement le travail existe,
mais il existe pour chacun parmi nous, et un jour il viendra sur Terre pour «
toi l’homme seul, le misérable sujet, la minuscule ombre face au soleil
impérial enfuie dans le lointain le plus lointain » (Kafka, Un message impérial).
Tout d'ailleurs, dans les espaces de cette agence, semble imbibé de théologie.
Les noms énigmatiques, les hiérarchies, les invitations au sacrifice, les
discours de responsabilisation adressés aux demandeurs d'emploi et aux
employés, mais aussi et surtout l’objet sacré et insaisissable auquel tous les
personnages du film, même sans le vouloir, prêtent leur culte. Le travail que
tous cherchent n’existe plus, et peut-être n’a-t-il d’ailleurs jamais existé ;
et s’il existe, ce n’est qu’en tant que grâce divine et lointaine, dont on ne
connaît pas l’origine, la nature, la réalité. Pôle emploi, ne quittez pas ! met
en scène le travail en tant que rêve, mais pas vraiment dans le sens de l'objet
désiré par tous et à peine atteignable, plutôt dans celui, curieux et âpre,
d’un cauchemar dont nous ne voulons pas nous réveiller.
Le film est amer non
pas parce qu’il nous montre la misère à laquelle l'humanité est condamnée une
fois qu’elle n’arrive plus à travailler. Au contraire, la douleur se concentre
entièrement dans l'étonnante compulsion de répétition (la Wiederholungszwangde
de Freud) qui anime les personnages. L’humanité continue à se ronger dans cet
effort inouï qui consiste à se penser en fonction d’activités les plus
improbables et les plus indéterminées, des activités qui ne pourront plus
jamais devenir un métier, encore moins une forme de vie. Et Pôle emploi
continuera à éduquer les vies dans cet ascétisme mortifiant, à les discipliner
dans des exercices d'abstraction progressive (« tu es un technicien des eaux,
un contrôleur des douanes, un électricien, un poète »). Il continuera à
demander, comme le titre du film le dit, de continuer à rêver, de rester en
ligne. De ne pas quitter.
Ballet mécanique
« Le grand théâtre d'Oklahoma
vous convoque ! Et ce sera aujourd'hui, et seulement aujourd'hui ! Qui rate
cette occasion, la rate pour toujours ! Qui se soucie de ton futur vienne nous
voir ! Chacun est bienvenu ! Qui veut devenir artiste se présente ! Nous sommes
le théâtre qui peut avoir besoin de chacun d’entre vous, chacun aura sa place !
» Franz Kafka, Le théâtre naturel d’Oklahoma
Le spectacle d’une
humanité qui s’efforce de croire à l’existence de quelque chose qui n'existe
pas comporte quelques traits comiques. On rit souvent en regardant le film.
Mais ia douleur n’est jamais loin. Il ne s'agit pas de l'amertume que l'on
éprouve en face du monde des chômeurs, des exclus, des pauvres. Certes, il y a
aussi de la violence, il y a de l’exclusion et - évidemment - du chômage. Mais
l’exclusion est plus grave et plus profonde que ce que l’on pourrait imaginer,
car elle ne concerne pas seulement une partie de l’humanité adulte. En ce sens,
si le travail est source d’aliénation, ce n’est pas parce que le travailleur
est privé du résultat de son travail ou de sa propriété, ni parce qu’il est le
hiéroglyphe de l’inégalité sociale dans laquelle il se trouve. Le travail est
aujourd’hui une expérience d’aliénation parce que quelqu’un ou quelque chose, à
l’improviste, après des siècles, l’a soustrait à l’humanité entière. Ou plus
simplement, parce que le travail aujourd’hui s’est soustrait lui-même dans un
dernier, définitif caprice. Si Pôle emploi, ne quittez pas est l’une des réflexions filmiques les plus
profondes des dernières années sur le travail, c’est parce que, refusant
l’étude sociologique littérale autant que la démarche militante, le regard de
la réalisatrice se pose sur ce qu’il est extrêmement difficile à voir et à
suivre avec une caméra : les formes d’une absence.
Ce que nous appelons
chômage aujourd’hui n’est pas une disparition temporaire, et l’absence de
travail n’est pas seulement le fruit plus ou moins hasardeux d’une contingence
économique. Cette absence définit au fond les traits d’une négativité
ontologique. Le génie du film est de comprendre que cette négativité revêt la
plus grande violence précisément dans l’institution qui a la tâche de nier
cette négativité, de supprimer ce manque, de le camoufler en un accident
secondaire des parcours individuels ou de la conjoncture nationale. SI
l’absence de travail est donc un fait métaphysique, le chômage apparaît dans sa
dimension ontologique. Ce n’est pas un groupe d'individus qui ne trouve pas de
travail. C’est l'homme qui n’arrive plus à articuler ses gestes et sa vie à
travers ou dans le travail. Charles Taylor a montré que la modernité s’est
construite en accordant une valeur morale à une sphère de l'existence - celle
de la common life, de la vie quotidienne -que le monde antique avait exclue de la
réflexion éthique. La vie quotidienne est celle qui se tisse autour de la
famille et précisément autour du travail. Moderne était la vie de l’homme qui
caractérisait sa propre existence à partir du lien affectif stable et surtout à
partir d’une activité professionnelle qui définissait sa propre identité. La
fin de la modernité n'est autre que la fin de cette double illusion. C'est sur
cette seconde illusion que le film se concentre, en se demandant comment tout
cela a pu naître, sur la base de quel rêve ou de quelle technique, l’humanité
en est arrivée à façonner sa vie à partir de cette bizarre collection de
gestes, pensées, désirs, activités que nous avons appelée travail.
Le film est ainsi une
mise en scène de l’impossibilité d’harmoniser être et faire, praxis et
ontologie. Une fois que nous voilà libérés du rêve moderne, tous les métiers
apparaissent pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire les masques difformes d'un
carnaval qui nous a permis de croire pendant des siècles que nous pouvions
vraiment être ce que nous faisons quotidiennement. Ou mieux, une curieuse danse
dans laquelle tous les hommes s’efforcent assidûment de réduire l’être au
faire, l’ontologie dans la praxis.
Dans la collection de
films 24 portraits, Alain Cavalier avait cherché à témoigner de la façon dont
le travail se dépose dans les corps, en marque l'identité, comment il
transforme et déforme une vie. Les portraits sont des portraits de métiers.
Pôle emploi, ne quittez pas ! démontre bien plutôt que la vie et le corps ne
peuvent désormais plus se définir à travers le travail. Quand cela arrive (nous
pensons à la séquence finale du film), quand les autorités prononcent un
discours qui voudrait célébrer cette union, la scène est une farce. La
modernité a transformé l’existence humaine en un carnaval de rôles arbitraires.
Travail et vie ont divorcé. Ils sont exilés en une sphère où ils sont
suspendus, et les personnages se meuvent dans un espace où ils attendent
éternellement
Ce paradoxe constitue
peut-être l’aspect le plus inquiétant du film. La sociologie, la philosophie,
mais aussi le cinéma ont cherché plus d’une fois à mettre en scène la
mécanisation des corps produite par le travail moderne. Nora Philippe semble
renverser ce lieu commun conceptuel et visuel. Donc Pôle emploi, ne quittez pas
! les corps bougent, construisent des relations, produisent des discours, de la
paperasse, des documents, des archives, Ils inventent de nouveaux noms, ils
organisent d'étranges célébrations autour d'événements ridicules.
Mais ce ballet
mécanique ne sert pas une quelconque description de la toxicité du travail ; il
rend en quelque sorte visible son inexistence même. Le film ne dénonce pas
exactement la façon dont le travail - dans ses facettes physique comme
psychique - déshumanise les corps, il observe plutôt l'effort renouvelé de
corps qui cherchent désespérément à faire exister le travail. Ou pour être plus
précis, qui cherchent à faire croire que le travail existe, qu'il soit vraiment
cette qualité qui adhère aux corps et aux sujets, qu'il soit capable de les
ennoblir, de leur donner une identité, et qu'il corresponde véritablement à nos
désirs, « aux projets personnels de chacun », C'est aussi dans le partage de
cette illusion qu’entre les demandeurs d’emploi, les employés de l'agence, le
maire, auteur du monstrueux prêche final, s'engage un inquiétant jeu de rôles.
La mauvaise conscience circule librement des uns aux autres, selon différentes
formes et différents degrés, mais elle ne disparaît jamais. Tous vivent et se
nourrissent de cette illusion, même quand la réalité de leur vie leur démontre
tous les jours le caractère Insensé de cette illusion.
Dans la mise en scène
de ce ballet, le film semble procéder en accumulant les apories et les
paradoxes, comme s’il s’agissait d’une obstination thérapeutique. Observer ce
menuet infini et ritualisé a aussi, au final, un effet cathartique. La critique
des conditions réelles du travail aujourd’hui en sort à la fois confirmée et
révolutionnée. Le film nous apprend que si le travail est abstrait, ce n'est
pas parce qu'il appartient à quelqu'un qui se l’est approprié et refuse de le
communiquer aux autres, mais parce qu’il faut du travail pour que le travail
existe dans les corps des sujets : il faut l’effort colossal d'une entreprise
comme Pôle emploi et il faut une organisation minutieuse, une bureaucratie, une
discipline quasiment militaire pour le faire exister. Pôle emploi, comme toute
bureaucratie, est un univers leibnizien : elle vit renfermée en elle-même et,
comme une monade, elle n’a pas de fenêtre. Selon Leibniz, toute substance
individuelle (ou monade) contient en elle-même la réalité du monde entier et
pour cela, écrit-il, elle n’a pas besoin de fenêtre. Il n’y a aucune
extériorité vers laquelle elle puisse porter son regard. Le film, qui se
déroule presque entièrement entre les murs d’une agence, semblerait suggérer
que ces agences n’ont plus besoin de fenêtres, puisqu’il n’y a plus rien à voir
à l’extérieur. Le Dehors auquel la monade n’a plus d'accès est, justement le
travail.
Tout se passe comme si
dans le moment de crise que nous traversons, le paradoxe propre à une agence
Pôle emploi devenait encore plus étrange et plus profond que les
contradictions, déjà connues, des bureaucraties en général. Et la beauté, la
singularité et l’importance du film résident aussi dans sa capacité à
transformer une série de pièces sinistres de banlieue parisienne en ce lieu
métaphysique où la politique, l’économie et les formes de vie contemporaines
révèlent leur secret le plus cher et inavouable, leur grain de folie. Le film
fait corps avec ce lieu dans une fidélité absolue, sans rien interposer entre
la caméra et cet espace métaphysique : il n’y a aucune voix off qui recouvre le
flux des événements. Du pur discours libre indirect de la réalité, comme Pier
Paolo Pasolini nommait le cinéma. Mais cette poétique de réalisme absolu a des
effets surréels. Comme pour dire qu’il suffit de parier de travail pour
produire du surréalisme, que le travail est aujourd’hui le monde du
surréalisme.
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