La leçon inaugurale –
Roland Barthes
Ainsi, par sa structure
même, la langue implique une relation fatale d’aliénation. Parler, et à plus
forte raison discourir; ce n’est pas communiquer, comme on le répète trop souvent,
c’est assujettir : toute la langue
est une rection généralisée.
Mais la langue, comme
performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ;
elle est tout simplement : fasciste, car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher
de dire, c’est d’obliger à dire.
Dès qu’elle est
proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la lange entre au
service d’un pouvoir. En elle, immanquablement, deux rubriques se dessinent :
l’autorité de l’assertion, la grégarité de la répétition. D’une part la langue
est immédiatement assertive : la négation, le doute, la possibilité, la
suspension de jugement requièrent des opérateurs particuliers qui sont
eux-mêmes repris dans un jeu de masques langagiers; ce que les linguistes
appellent la modalité n’est jamais que le supplément de la langue, ce par quoi,
telle une supplique, j'essaye de fléchir son pouvoir implacable de
constatation. D’autre part, les signes dont la langue est faite, les signes
n’existent que pour autant qu'ils sont reconnus, c’est-à-dire pour autant
qu'ils se répètent; le signe est suiviste, grégaire; en chaque signe dort ce
monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu'en ramassant ce qui
traîne dans la langue. Dès lors que j’énonce, ces deux rubriques se rejoignent
en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter
ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je
dis, j’affirme, j’assène ce que je répète.
Dans la langue, donc,
servilité et pouvoir se confondent inéluctablement. Si l’on appelle liberté,
non seulement la puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout
celle de ne soumettre personne, il ne peut donc y avoir de liberté que hors du
langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur ; c’est un huis
clos.
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