Rapport sur moi - Grégoire Bouillier
Les analyses révélèrent enfin que j'avais
contracté des staphylocoques dorés. Nouvellement commercialisées la
pénicilline eut vite raison de mon mal. J’y perdis cependant l'odorat, ce dont
personne ne se rendit compte. Moi-même le dissimulai longtemps, sous couvert de
stratégies que je développais. J’affirmais par exemple avec enthousiasme que la
salade sentait bon après avoir surpris un pépin dans la vinaigrette. Si jamais
je suis intelligent, c’est en trompant mon monde que je le suis devenu : que ne
devais-je étudier les apparences pour leur donner un sens que j’avais perdu.
C’est ainsi que je sus très tôt que le vraisemblable ne se confond pas avec la
vérité, ni le réel avec sa représentation, ce qui m'éloigna rapidement de mon
époque. Je devins d’ailleurs très tôt solitaire puisque non seulement il me
fallait garder secrète mon anosmie, mais cela au milieu de gens qui ne me
faisaient guère envie si je pouvais les abuser
si facilement.
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