Le travail et la critique du travail
Le monde du
travail est un élément très souvent présent dans les films de critique sociale,
au point qu’il est difficile d’imaginer un tel film dont le travail (y compris
sous la forme de son manque : le chômage, ou de sa recherche, liée à l’exil: Rocco
et ses frères), puisse être complètement absent : même si on n’y voit pas
forcément des cheminées d’usines fumantes, ou des machine-moloch mangeuses
d’hommes comme dans Metropolis, on y verra presque toujours des
personnages qui ont un lien avec le travail, sous une forme ou sous une autre,
et notamment sous la forme de l'aliénation engendrée par le mode capitaliste d'organisation du travail. Mais, là encore, si
la présence du travail (c’est-à-dire de ceux qui travaillent, de l’activité de
travailler, des lieux du travail : atelier, usine, bureau) est bien un élément
qui contribue à faire d’un film un film
social, elle ne conférera pas pour autant à ce film la fonction de
la critique sociale : pour que
la critique sociale s’exerce, il ne suffit pas que le travail apparaisse, il
faut en plus que soit mise en œuvre une critique
du travail. La question est alors de savoir comment on peut mettre cinématographiquement en œuvre une
critique du travail.
Tout l’intérêt d’un film comme L
’emploi du temps est justement
qu’une première lecture du film fera de lui simplement un film social au centre
duquel se trouve le travail, sous la forme négative des ravages que peut causer
pour un individu l’absence de travail, le non- travail ou le fait d’être exclu
du travail. Pourtant, quand on s’aperçoit que Vincent, le personnage principal,
non seulement ne fait rien pour retrouver du travail, mais que le fait d’en
retrouver à la fin du film a tout l’air d’être une immense catastrophe
pour lui et une irrémédiable défaite, on passe alors à une seconde lecture du
film : le film de Laurent Cantet apparaît non pas seulement comme un film
social, mais bien comme un film de critique sociale dont le propre est qu’il
actualise sa fonction de critique sociale sous la forme d’une critique du travail d’une
extraordinaire radicalité. Car l’histoire que met en scène Laurent Cantet est celle d’une résistance
au travail, voire même d’une révolte contre le travail et contre ce qui est
immédiatement associé au travail, à savoir la famille (dans la mesure où le
premier sert essentiellement à « faire vivre » la seconde). Vincent est un
adulte qui a délibérément choisi de sortir du monde du travail et qui retourne
au monde enfantin du jeu, comme le montre, au début du film, la course en
voiture contre le train : Vincent «joue au train », mais grandeur nature, avec
un vrai train et une vraie voiture, mais dans une campagne qui fait fausse et
miniature. Et qu’est-ce au fond pour un enfant que le monde du travail ? Ce
sont les histoires avec les collègues que les parents racontent à table le
soir. Le monde du travail ne sera donc plus que cela pour Vincent : des
histoires qu’on raconte le soir en rentrant.