L'oiseau bariolé - Jerzy Kosinski
J’essayais d'imaginer comment s'y prenaient les esprits malins. L’âme des hommes était comme un champ, et les démons y semaient leurs mauvaises graines. Si elles germaient et s’épanouissaient heureusement, ils dispensaient sans compter leur aide, a condition qu’elle ne servît qu’à des fins égoïstes, et au détriment d’autrui. Dès que le pacte avec le Diable était signé, l’homme se devait d’infliger autour de lui le plus de maux, de misères et d’affronts possible.
Ces créatures qui habitaient l’âme humaine observaient attentivement non seulement les actes, mais les mobiles, et les sentiments. Il importait donc de faire le mal consciemment et d'y trouver plaisir. Seuls ceux qui étaient doués pour la haine, l'avidité, la vengeance et la torture, semblaient tirer profit de leur pacte avec le Malin. Les autres, partagés entre le blasphème et la prière, entre la taverne et l'église, se débattaient seuls dans la vie, abandonnés de Dieu et du Diable. Jusqu'alors j'avais été l’un de ceux-là. Je m’en voulais de ne pas l'a compris plus tôt.
Un homme qui s’était vendu aux Démons restait pour toujours en leur pouvoir et, de temps en temps, il devait faire la preuve de ses mauvaises intentions. Il était certes plus méritoire de s’en prendre à plusieurs qu'à un seul, à un jeune homme qu’à un vieillard, et encore plus de tourner une âme innocence vers le péché. Mais le plus grand des mérites consistait à répandre la haine sur un peuple tout entier. Quel prestige ne devait pas gagner celui qui parvenait à provoquer, chez tous les hommes blonds aux yeux bleus, la haine de leurs frères aux cheveux noirs !
Je commençais à comprendre l'extraordinaire réussite des Allemands. Le prêtre n’avait-il pas un jour expliqué aux paysans que même en des temps très anciens, les Allemands prenaient plaisir à semer la guerre ? Ils n’aimaient pas labourer la terre, et n avaient pas la patience d'attendre la moisson. Ils préféraient s'attaquer aux autres tribus et piller leurs récoltes. Les Démons avaient dû, dès cette époque, les remarquer et leur proposer un marché ; c'est pourquoi le peuple allemand était doué de tant de capacités et de talents ; c'est pourquoi il parvenait à imposer aux autres ses méthodes de destruction raffinées. La réussite était un cercle vicieux. Plus on faisait le mal, plus on accumulait de pouvoirs diaboliques. Plus on avait de pouvoirs, plus on répandait d'horreurs.
Nul ne pourrait arrêter les Allemands. Ils étaient invincibles, et accomplissaient leurs fonctions avec une maîtrise absolue. Ils insufflaient la haine aux autres nations, ils condamnaient des peuples entiers à l'extermination. Chacun d'eux devait avoir vendu, dès sa naissance, son âme au Diable. C'était là la source de leur puissance.
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