Je m’oralise – Ghérasim Luca
Il m’est difficile de m’exprimer
en langage visuel
il pourrait y avoir dans l’idée même de création
quelque chose qui échappe à la description passive
telle quelle découle nécessairement d’un langage conceptuel
dans ce langage qui sert à désigner des objets
le mot n’a qu’un sens ou deux
et il garde la sonorité prisonnière
Qu’on brise la forme où il s’est englué
et de nouvelles relations apparaissent
La sonorité s’exalte
les secrets endormis au fond des mots surgissent
Celui qui les écoute est introduit dans un monde de vibrations
qui suppose une participation physique simultanée à l’adhésion mentale
Libérez le souffle, et chaque mot devient un signal
Je me rattache vraisemblablement
à une tradition poétique
tradition vague
et de toute façon illégitime
Mais le terme même de poésie me semble faussé
je préfère ontophonie
Celui qui ouvre le mot ouvre la matière
et le mot n’est que le support matériel d’une quête
qui a la transmutation du réel pour fin
Plus que de me situer par rapport à une tradition ou à une révolution
je m’applique à dévoiler ma résonance d’être
La poésie est un silensophone
Le poème, un lieu d’opération
Le mot y est soumis à une série de mutations sonores
chacune de ses facettes libère la multiplicité de sens
dont elles sont chargées
Je parcours aujourd’hui une étendue
où le vacarme et le silence s’entrechoquent
où le poème prend la forme de l’ombre
qu’il a mise en marche
Mieux,
le poème s’éclipse
devant ses conséquences
En d’autres termes
JE M’ORALISE
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