Le ciel brûle – Marina Tsvétaïéva
Être ce que nul ne veut être,
— ô, devenir de glace ! —
Sans savoir ce qui fut
Ni ce qui sera,
Oublier mon cœur qui se brisait
Et se recollait ensuite,
Oublier mes mots, ma voix
Et des cheveux l’éclat.
Oublier la turquoise ancienne
Qui ornait ma main —
Cette tige
Étroite et longue...
Oublier le petit nuage
Croqué de loin
Par le stylo de nacre
Saisi dedans la main,
Oublier mes jambes
Passant par-dessus haies,
Oublier mon ombre
Courant sur la route.
Oublier l’azur flamboyant,
Les journées de silence,
Les enfantillages, les orages —
Et tous mes vers aussi !
Mon miracle accompli
Chassera le rire.
Rose-éternelle, je serai
La plus pâle.
Et ne s’ouvriront pas — il le faut —
— ô, pitié ! —
Ni pour l'aube ni pour un regard,
Ni pour les champs —
Mes paupières baissées.
— Ni pour les fleurs ! —
O, ma terre, pardonne-moi
Pour l’éternité !
Et les lunes fondront
Et fondra la neige,
Quand s’enfuira, charmant,
Ce siècle adolescent.
1913.
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Les feuilles sont mortes sur votre tombeau,
Cela sent l’hiver.
Écoutez-moi, trépassé, écoutez, bien-aimé :
Vous êtes mien, quand même.
Vous riez sous votre pèlerine de voyage !
La lune est haute.
Mien : c’est aussi évident et immuable Que cette main.
Une fois de plus, le baluchon à la main
Je viendrai à la porte de l’hôpital.
Vous êtes parti dans les pays chauds,
Sur les grandes mers.
Je vous embrassais, je faisais la sorcière !
Je me moque des ténèbres éternelles !
Je ne crois pas à la mort. Vous viendrez de la gare —
Chez moi !
Tant pis pour les feuilles tombées ; sur les
couronnes
Les mots sont gommés, effacés.
Et si le monde entier vous croit mort,
Je suis morte aussi.
Je vois, je sens. — Je vous sens en tout.
Les feuilles tombent de vos couronnes.
Je ne vous ai pas oublié et ne vous oublierai
Jamais !
De ces promesses je sais la vanité
Et l’inutile.
Une lettre dans le néant. Une lettre dans l'infini — Une lettre dans le vide.
4 octobre 1914.
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