Amants, heureux amants - Valery Larbaud
Du lierre et du verre, et partout le teint rose et délicat des briques sous le hâle noir lentement accumulé par l’air chargé de vapeurs, de fumées et de couchants rouges… Des rues calmes, et qui restent calmes malgré leurs passants : comme les quais du fleuve ; comme la rue de l’Église, qui fut au siècle dernier la grand-rue d’un village de banlieue, dont les arbres et les verts terrains vagues descendaient jusqu’à la rive.
Mais l'immense ville a rejoint le village et se l'est incorporé, et maintenant la rue de l'Eglise et l'église demeurent, dans ce quartier, comme de précieux restes du passé, soigneusement laissés à leur place, et respectés : la rue avec ses détours, et la petite église avec un fragment de son cimetière. Et il y a d'autres souvenirs, plus récents : la maison où vécut le prophète tonnant et grondant du culte des Héros. (Une malédiction est tombée sur elle : on en a fait un musée.)
Mais toutes les autres maisons vivent, autour de celle là : même celle qu'habita — une inscription le dit — ce charmant poëte qu'on ne retrouve que par échappées dans son œuvre et qui, père besogneux d'une nombreuse famille, porta en lui pendant toute sa vie, qui fut une longue enfance, le souvenir des Antilles où il était né et l'image d'une jeune fille de quatorze ans qu'il avait aperçue un jour et n'avait jamais revue.
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Elles vivent, mais il y a chez elles une telle volonté de calme et de paix que, dans ce coin de la ville, on dirait que des abîmes de silence séparent tous les objets, même les plus proches les uns des autres. Au XVIIIe siècle on fabriquait ici de la poterie ; mais à présent on y cultive, avec des soins infinis, le précieux silence. Ici, chaque chose est à part de toutes les autres : les jardins, les arbres citadins sous leur revêtement de suie humide, les chapelles, les hôpitaux, la station des taxis, toutes ces choses existent sans bruit, sans rien qui laisse voir au passant leur activité. Tout est solitaire et discret ; les couleurs même se taisent et demandent à être regardées plus attentivement qu’ailleurs, et ce n’est que de tout près, et les jours de soleil, qu’on s’aperçoit que le pont tendu sur ses hauts piliers comme une double guirlande d’une rive à l’autre a son armature peinte en vert. Et le fleuve ne se distingue de la brume que par une sourde lueur d’argent, ou de cuivre, selon les heures… A l’horizon rempli d’usines, un groupe de hautes tours, une famille de noires Babels, marque les limites de la ville — si elle a des limites, — du côté de l’Occident.
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