mardi 3 septembre 2024

Amants, heureux amants - Valery Larbaud

 
Amants, heureux amants - Valery Larbaud

Du lierre et du verre, et partout le teint rose et délicat des briques sous le hâle noir lentement accumulé par l’air chargé de vapeurs, de fumées et de couchants rouges… Des rues calmes, et qui restent calmes malgré leurs passants : comme les quais du fleuve ; comme la rue de l’Église, qui fut au siècle dernier la grand-rue d’un village de banlieue, dont les arbres et les verts terrains vagues descendaient jusqu’à la rive.

 Mais  l'immense  ville  a  rejoint  le  village  et  se  l'est incorporé,  et  maintenant  la  rue  de  l'Eglise  et  l'église demeurent,  dans  ce  quartier,  comme  de  précieux  restes du  passé,  soigneusement  laissés  à  leur  place,  et  respectés :  la  rue  avec  ses  détours,  et  la  petite  église  avec un  fragment  de  son  cimetière.  Et  il  y  a  d'autres  souvenirs, plus  récents  :  la  maison  où  vécut  le  prophète tonnant  et  grondant  du  culte  des  Héros.  (Une malédiction  est  tombée  sur  elle  :  on  en  a  fait  un  musée.)

Mais  toutes  les  autres  maisons  vivent,  autour  de  celle là  :  même  celle  qu'habita  —  une  inscription  le  dit  — ce  charmant  poëte  qu'on  ne  retrouve  que  par  échappées dans  son  œuvre  et  qui,  père  besogneux  d'une nombreuse  famille,  porta  en  lui  pendant  toute  sa  vie, qui  fut  une  longue  enfance,  le  souvenir  des  Antilles  où il  était  né  et  l'image  d'une  jeune  fille  de  quatorze  ans qu'il  avait  aperçue  un  jour  et  n'avait  jamais  revue. 

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Elles vivent, mais il y a chez elles une telle volonté de calme et de paix que, dans ce coin de la ville, on dirait que des abîmes de silence séparent tous les objets, même les plus proches les uns des autres. Au XVIIIe siècle on fabriquait ici de la poterie ; mais à présent on y cultive, avec des soins infinis, le précieux silence. Ici, chaque chose est à part de toutes les autres : les jardins, les arbres citadins sous leur revêtement de suie humide, les chapelles, les hôpitaux, la station des taxis, toutes ces choses existent sans bruit, sans rien qui laisse voir au passant leur activité. Tout est solitaire et discret ; les couleurs même se taisent et demandent à être regardées plus attentivement qu’ailleurs, et ce n’est que de tout près, et les jours de soleil, qu’on s’aperçoit que le pont tendu sur ses hauts piliers comme une double guirlande d’une rive à l’autre a son armature peinte en vert. Et le fleuve ne se distingue de la brume que par une sourde lueur d’argent, ou de cuivre, selon les heures… A l’horizon rempli d’usines, un groupe de hautes tours, une famille de noires Babels, marque les limites de la ville — si elle a des limites, — du côté de l’Occident.

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