Le parti pris des choses serait valable si l'homme lui-même n'était chose pour tout homme. La pensée est solitaire en chacun.
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Je vis en touriste. Je suis de passage par ici. Incapable de faire acte de présence. Je suis devant les hommes comme devant un paysage. J'en jouis à distance. Il n’y a guère que l'amour qui exige davantage. Hélas il n’en saurait être question. Depuis des mois j'ai perdu le sens du toucher amoureux. Depuis des années, celui de la possession d'un corps. Et je vieillis, sans emploi pour la longue caresse qui me brûle le sang. Le grec et le latin me manquent pour dire brièvement toute l'amertume souterraine d'une telle situation. Et tout l’involontaire.
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J ai conservé, sans le vouloir, cette naïveté: quand j’ouvre un livre, j’aime que ce soit un livre. Je m’attends à de la littérature. La vie, c’est-à-dire les autres et moi, la vie me suffit pour le reste. Mais lire, si c’est pour s’y retrouver, autant vaut téléphoner à son voisin et passer une soirée baliverneuse. Nous avons tous une idée de ce qu’est, devrait être, la littérature. Les uns lisent pour s’évader. (De quelles prisons?) Les autres pour s’instruire. (À quelles fins?) D’autres encore lisent parce qu’il vaut mieux fréquenter le langage écrit d’un homme que le langage parlé. D’où je ne déteste pas ma concierge; mais j’aime bien Mallarmé. Les deux, ma concierge et Mallarmé, me paraissent faire leur métier, avec les inconvénients d’usage.
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Est écrivain tout individu que la vie, c’est-à-dire les autres et lui-même, le ciel, les événements, ne finissent pas. Est écrivain tout individu qui n'ose pas vivre franchement. Tout écrivain valable est en mauvaise santé. (Rien à voir avec la santé physique.) Si cet homme dangereux ne s’en réfère ni aux autres, ni au ciel, ni aux événements, ni à lui-même, ou dira qu’il est poète. Si, enfin, il est à tel point détaché que l’alternative n’a lieu que sous lui, on pourra parler d'esprit.
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C’est dans la solitude (définir) qu’un homme pense le vrai de sa pensée. Le nu de sa pensée. Qui disqualifie tout le reste, et rend la vie intérimaire. Donner des exemples.
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Les hommes mentent. Le roman essaie d'expliquer pourquoi.Le théâtre, comment. La poésie, seule, et rarissimement, touche le ciel véridique.
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Écrire, c'est dire une vérité que la vie ne supporte pas. Quand on écrit à un ami qu'on est malheureux, la personne qui vit près de vous n'en sait rien. Le malheur se change en mots quotidiens, en humeurs, en "scènes".
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L'anéantissement du Je, sans se confondre avec lui. C’est comme les gens qui font du zèle. On leur demande vingt sous, ils nous en donnent cinquante, pour nous aliéner. C'est ce qu'on fait avec soi-même. Le Je demande à être détruit, mais librement, sans pour autant nous emmener avec lui. nous dont il n’a que faire. C’est ce décrochage indifférent qui est la chose la plus difficile du monde, et la seule qui fasse l'homme. Quand on demande à Dieu l'anéantissement du Je, on s’humilie par plaisir, et cette modestie est suprême feinte d’orgueil. Car on aurait pu y arriver tout seul, sans relation.
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J'essaie d'établir un rapport de conversation à distance, conversation impossible à l'état brut, qui exige l'intervention d'un heureux hasard; impossible aussi à partir du livre, puisqu'il y a tentative solitaire, irrécupérable. Je me sers d'un matériau sans transcendance, rampant, sans références; pari dangereux, voire imbécile. Mais je vais toujours, on dirait par vice, au mot le plus usé, le plus clochard, le plus chargé; ce n'est pas l'amour des mots entre eux que je recherche, non, mais plutôt leur aptitude à se refiler la même maladie. Les mots nous ressemblent. Il faut et il ne faut pas s'y fier. Un mot peut changer de couleur, d'être, tout comme nous. Car enfin, bien malin qui devinerait, à nous voir seulement dans la journée, dans nos bureaux, nos usines, comme aussi ces individus susceptibles de folies amoureuses... Incroyable.
S'il suffisait d'évoquer les choses quotidiennes, de le vouloir, pour les rendre intéressantes, ce serait trop facile, comme on a l'air d'y croire.
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Tout commence, tout finit par le langage. Grâce au langage. On n’y peut rien. La faute à qui ? Mais que le langage se venge de temps en temps ; qu’il nous trouve un peu vaniteux, ou excessifs, non, n’allons pas lui en faire grief. Ce n’est pas drôle d’être un homme, soit. Mais un mot? Rendez-vous compte. Toutes ces langues plus ou moins pâteuses qui vous broient vous jettent vous endorment vous aiment vous détestent Non, quel mépris ! Quelle insolence ! Et ces prières au silence - je parie qu’il en rougit le mot par affection pour le langage - et cette façon qu’on a de le mettre à toutes les sauces. Sans le consulter. Sans lui demander s’il marche. El ces discours, ces livres, ces conférences, ces sermons et serments, ces traités. À croire qu’il n’a jamais servi que la bassesse humaine. L’hypocrisie. Le bon à tout faire, en quelque sorte.
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Ce qu’on peut exiger de mieux d’un livre, c’est qu’il nous demande de le relire. Jusqu'à mourir. On ne l’aura jamais lu. Il y a dans le langage quelque chose d’intraduisible. C est sa force même. Comme celle de la nature. Il y a de la nature dans le langage. Aucun naturel. De la nature. Mais pourquoi diable signe-t-on ce qu’on écrit?
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On n'écrit pas comme on voudrait. On écrit comme on peut. On peut admirer Hölderlin et écrire dans une couche de langage opposée. Ce n'est pas la vie qui fait l'écriture; ce n'est pas l'écriture qui fait la vie. Il y a tout simplement une maladie de la vie qui se métamorphose en santé dès qu'un homme a le courage de vouer sa vie à quelque chose d'inutile. D'évidemment inutile. Or, voilà que cet inutile, pour peu qu'on s'y astreigne, prend toute la place, nous envahit. Que l'homme devienne le rêve qu'il fait de l'homme, et ne se sent plus qu'en état de rêve. J'ai tous les jours l'occasion de me sentir envahi de cette manière. Et bien sûr je me dépêche de rentrer, de me cacher, d'être seul. Aucun autre langage, aucune autre couche, ne seraient capables de me recouvrir si je restais à l'air, avec ma tête de l'autre côté des oreilles. Écrire c'est alors pénétrer dans la mine, où [est] très possible le coup de grisou. Un homme qui écrit, et qui s'y tient, est menacé. Et il ne comprend plus rien aux menaces qui effraient les autres hommes, menaces qui lui paraissent dérisoires. Écrire, s'y tenir, c'est refuser, non pas de vivre, au contraire, c'est le vouloir de tout son cœur, c'est frapper à la porte jamais ouverte, au seuil de laquelle se sentir comblée. Bref écrire est une chose grave. Pathétique. Et du même coup, lire. Écrire, c'est enregistrer les signaux d'un morse qui paraît nous concerner, mais dont le principe nous échappe. Aller parler de communication après cela, c'est rentrer dans une région de nostalgie inhabitable. C'est parce que l'homme n'est pas fait pour écrire que la littérature est passionnante.
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